Olivier Goemans, head of investment services and innovation à la Bil. (Photo: Bil)

Olivier Goemans, head of investment services and innovation à la Bil. (Photo: Bil)

Nous célébrions samedi la Journée de l’Europe (9 mai), qui symbolise la paix et la cohésion entre les États membres de l’UE. Pourtant, alors que les autorités monétaires et budgétaires du monde entier continuent de déployer des mesures sans précédent pour limiter les dégâts de l’une des pires crises économiques que nous ayons jamais traversées en temps de paix, l’unité européenne est une fois de plus remise en question.

La semaine dernière, la Cour constitutionnelle allemande a rendu un jugement selon lequel le programme d’achat d’obligations de la Banque centrale européenne (BCE) pourrait constituer une infraction au droit allemand. Saisie en vue de statuer sur le caractère illégal de ce programme baptisé PSPP (Public Sector Purchase Programme), la Cour de Karlsruhe a mis en demeure la BCE de le justifier par le biais d’une «évaluation de proportionnalité». Pourtant, en décembre 2018, la Cour de justice européenne avait jugé le PSPP acceptable en tant qu’instrument de politique monétaire.

Dans le cadre de ce programme lancé en mars 2015, la BCE a absorbé plus de 2.000 milliards d’euros d’obligations d’entreprises. Le mois dernier, elle a mis en place un nouveau plan de relance rattaché au PSPP, à savoir le «programme d’achats d’urgence face à la pandémie» (PEPP), qui prévoit l’achat de 750 milliards d’euros de dette privée dans l’optique de sortir l’économie européenne du marasme suscité par la pandémie de coronavirus. Il ne s’agit là que d’une mesure parmi d’autres, la BCE ayant également gonflé les réserves des établissements bancaires européens afin d’encourager les prêts aux petites entreprises. La Cour de Karlsruhe a annoncé que la banque centrale allemande cesserait d’apporter son concours à l’effort de relance de la BCE dans les trois mois, à moins que cette dernière n’apporte la preuve qu’il n’est pas excessif.

Ce jugement accentue la fracture entre les États les plus riches et ceux qui ont les reins moins solides, à l’heure où la cohésion s’impose plus que jamais.
Olivier Goemans

Olivier Goemanshead of investment services and innovationBIL

Si l’institution de Francfort avancera sans nul doute des arguments convaincants, cela n’en constitue pas moins un nouvel obstacle dans la recherche perpétuelle d’un consensus européen, sapant au passage l’autorité de la BCE et menaçant le bon déroulement des processus politiques alors que l’urgence est de mise. D’après les prévisions de la Commission européenne, l’économie du Vieux Continent pourrait en effet se contracter de 7,4% en 2020 et le taux de chômage atteindre 9%. Ce jugement accentue par ailleurs la fracture entre les États les plus riches et ceux qui ont les reins moins solides, à l’heure où la cohésion s’impose plus que jamais. L’incapacité à trouver des solutions consensuelles donnera du grain à moudre aux partis nationalistes et populistes, toujours bien présents dans la sphère politique.

Dans un tel contexte, le marché de la dette souveraine nécessite de l’attention. Nous avons d’ores et déjà ajusté notre exposition aux emprunts d’État européens, en délaissant ceux des pays périphériques, dont la volatilité pourrait augmenter, au profit de leurs homologues des pays «core». S’agissant de notre exposition à la dette privée et souveraine au sens large, nous avons par ailleurs rééquilibré en faveur des États-Unis, où la Réserve fédérale bénéficie d’une plus grande indépendance et apporte un large soutien. La décision de la Cour constitutionnelle allemande ne devrait pas avoir d’impact significatif dans l’immédiat, mais sans union budgétaire, le financement de la BCE restera crucial, ce qui complique la perspective d’une «reprise symétrique».