Bruno Colmant, head of private banking chez Degroof Petercam et professeur d’économie et de finances aux universités de Louvain et Bruxelles est aussi auteur. Speaker lors de la conférence Horizon organisée par Deloitte Luxembourg, il a fait le lien entre la théorie de l’École de Chicago et le changement de paradigme que vit actuellement l’économie. (Photo: Matic Zorman/archives Maison Moderne)

Bruno Colmant, head of private banking chez Degroof Petercam et professeur d’économie et de finances aux universités de Louvain et Bruxelles est aussi auteur. Speaker lors de la conférence Horizon organisée par Deloitte Luxembourg, il a fait le lien entre la théorie de l’École de Chicago et le changement de paradigme que vit actuellement l’économie. (Photo: Matic Zorman/archives Maison Moderne)

L’économiste Bruno Colmant, head of private banking au sein de Degroof Petercam, a partagé sa vision du futur de la monnaie lors de la conférence Horizon organisée par Deloitte Luxembourg, mardi 28 septembre. L’occasion de l’interroger sur le changement de paradigme économique que nous vivons actuellement.

La croissance rebondit, tout en étant liée à l’endettement public. Cela redonne donc un rôle prépondérant aux banques centrales?

Bruno Colmant. – «La croissance a subi un choc important en 2020. On aura une petite croissance cette année-ci, car globalement on est en croissance négative depuis deux ans. Et ce qui a soutenu l’économie, c’est l’endettement public. Cet argent est venu des banques centrales dont le rôle devient donc, en effet, prépondérant.

Vous parlez d’un changement de forme de l’économie globale lié à cette prise de pouvoir des banques centrales. Mais de quel système à l’autre sommes-nous occupés à passer?

«Progressivement, on quitte l’économie de marché pour entrer dans une économie plus nationalisée. Dans cette configuration, la dette publique, qui est l’expression des États, n’est plus financée par les marchés mais par les banques centrales qui ont pris aujourd’hui le contrôle d’une partie des circuits monétaires à court terme et financiers à long terme, mais aussi le contrôle de toute la courbe des taux d’intérêt. Donc, nous ne sommes plus dans une économie spontanée, où le marché décide de sa formulation et de sa quantité de monnaie. C’est vraiment la banque centrale qui a le rôle principal. Et c’est un changement de paradigme extraordinaire… mais qui a déjà sauvé l’économie par le passé (Bruno Colmant fait référence à l’École de Chicago, mère de la théorie quantitative de la monnaie, qui explique les mouvements des prix par la variation de la masse monétaire, inflation remise au goût du jour dans les années 80, ndlr).

Lorsque les monnaies digitales seront imposées par les banques centrales, il y aura une concurrence violente entre des monnaies cryptodigitales décentralisées et des monnaies digitales centralisées.
Bruno Colmant

Bruno Colmanthead of private bankingDegroof Petercam

Dans ce cas, comment les banques privées pourront-elles survivre?

«Si cette théorie de l’École de Chicago devient réalité, la monnaie prendra une autre forme – digitale – et sera directement émise par les banques centrales. Cela va poser un problème de rentabilité pour les banques non diversifiées, de type retail, et un problème existentialiste. C’est pour cela que l’on voit aujourd’hui les banques de détail les plus innovantes devenir des plateformes commerciales, véritables fournisseurs de toute une série de services non bancaires comme l’achat de tickets de train, d’avion… On peut très bien imaginer qu’un jour, elles se rapprochent du modèle d’Amazon ou autre, et qu’il y ait une sorte de juxtaposition entre des banques d’envergure et les grandes plateformes commerciales. Je pense que l’avenir des banques se situera en partie là.


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Vous faites une différence entre monnaie digitale et cryptomonnaie?

«Crypto, étymologiquement, veut dire ‘caché’. Les cryptomonnaies sont des monnaies occultes qui n’ont pas de cours légal. C’est une notion que l’on a un peu oubliée… C’est-à-dire que l’on ne peut pas refuser une monnaie ayant un cours légal en remboursement d’une dette. On peut refuser de l’or, des diamants, mais pas des euros. Or, les monnaies digitales qui seront proposées par les banques centrales auront un cours légal. Elles seront majoritaires et imposées par défaut, pas les cryptomonnaies. Lorsque les monnaies digitales seront imposées par les banques centrales, il y aura une concurrence violente entre des monnaies cryptodigitales décentralisées et des monnaies digitales centralisées. Les États ne vont pas tolérer très longtemps ces monnaies à la marge et je pense qu’à terme, il y aura – comme en Chine actuellement – l’interdiction d’utiliser des bitcoins par exemple. Finalement, c’est un peu normal car un État veut avoir le contrôle de sa monnaie pour deux raisons: lever des impôts et s’endetter.

Donc, pour vous, l’avenir de la monnaie ne passera pas par les cryptos?

«Certains l’affirment pourtant! C’est un vaste débat. Je crois que, dans l’histoire, on n’a pas vu beaucoup d’expérience monétaire parallèle tolérée à long terme par les États. Actuellement, il y a une tolérance de fait car les États observent, s’interrogent... Peut-être que cela pourrait changer si un pays décidait d’emprunter en bitcoins et qu’une banque acceptait. Mais intuitivement, et ayant exercé des fonctions dans le domaine public, je ne vois pas cela arriver.»