Bruno Houdmont et Bruno Colmant expliquent une part du succès de la banque par son modèle intégré. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Bruno Houdmont et Bruno Colmant expliquent une part du succès de la banque par son modèle intégré. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

La banque belge Degroof Petercam, présente au Luxembourg depuis plus de 30 ans, a 150 ans. L’occasion de faire le point sur cette institution toujours aux mains de ses actionnaires historiques, avec son CEO, Bruno Colmant, et le CEO pour le Luxembourg, Bruno Houdmont.

La banque Degroof Petercam fête ses 150 ans cette année. Quelles ont été, en quelques dates, les grandes étapes de son développement?

Bruno Colmant (B. C.). – «Cette banque a été créée au milieu de la révolution industrielle, à une époque de bouleversements très importants vu que les années 1870-71 ont été marquées par la première guerre franco-allemande. La banque Degroof née en 1871 a, tout comme la société de bourse Petercam, dont les ­origines remontent à 1919, accompagné tout le développement industriel de la Belgique. Elle a traversé deux guerres et a failli disparaître au cours de la Seconde Guerre mondiale. Elle a gardé son cœur de métier de banque d’investissement, mais, depuis les années 1980, elle a développé la gestion privée et la gestion ­collective jusqu’à en devenir le principal acteur en Belgique. C’est une banque qui a plusieurs implantations géographiques et plusieurs métiers. Nous proposons donc un modèle intégré, qui comprend le private banking, la gestion ­collective via Degroof Petercam Asset Management (DPAM), l’activité asset services, présente au Luxembourg, et l’investment banking, essentiellement présent en Belgique et en France.

La présence à l’étranger est-elle ancienne également?

B. C. «Ce n’est pas un développement ancestral, mais relativement ancien quand même. Nous sommes au Luxembourg depuis 1987, et en France depuis une trentaine d’années également. La logique, qui prévalait dans les années 1980, d’avoir des relais en matière de courtage d’actions dans différents pays et des implantations de private banking, a été suivie. C’est une implantation qui a suivi un courant, mais aussi la clientèle. En ce qui concerne notre entité de gestion institutionnelle, DPAM, celle-ci a développé, au cours de la dernière décennie, huit pôles commerciaux pour écouler ses fonds d’investissement et ses expertises de gestion de mandats, sachant que la recherche intel­­lectuelle et la gestion des fonds restent centralisées en Belgique et en France.

Aujourd’hui, le chemin parcouru est donc important.
Bruno Houdmont

Bruno HoudmontCEO LuxembourgDegroof Petercam

Bruno Houdmont (B. H.). – «Au Luxembourg, la banque a commencé ses activités en 1987, il y a donc 34 ans, dans un petit bâtiment, place d’Armes, avec seulement deux personnes. Avec pas loin de 400 personnes aujourd’hui, le chemin parcouru est donc important. Il s’agit du pôle du groupe le plus important après la Belgique. Il a également été développé sur base du business model intégré, même si, dans les années 1980, la priorité avait été donnée à l’activité de banque privée.

Depuis, nous avons mis un fort accent sur le ­développement de l’industrie des fonds et les métiers liés à l’administration de fonds et à la banque dépositaire. Nous les avions développés pour servir le groupe, mais nous les développons aussi pour le compte de tiers. En 2020, nous avons d’ailleurs atteint le chiffre record d’actifs sous administration de 50 ­milliards d’euros.

Si vous deviez citer une particularité de la banque qui a été préservée à travers le temps, quelle serait-elle?

B. C. «Nous avons su préserver l’esprit entrepreneurial. La multiplicité des métiers fait que nous n’avons pas développé de modèle industriel. Chaque métier dispose de son autonomie malgré une certaine intégration, et cela crée une émulation interne. Comme chaque métier est le point de départ et d’arrivée d’un autre, tout doit fonctionner simultanément.

Les concurrents d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier.
Bruno Colmant

Bruno ColmantCEODegroof Petercam

Aujourd’hui, qu’est-ce qui différencie Degroof Petercam des autres banques?

B. C. «Pour le private banking, la grande évolution observée est que, dans le sillage des mutations démographiques et donc de l’accès à la retraite de la classe moyenne, les concurrents d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Ce sont des banques de détail, entre autres, et cela conduit donc les banques privées à développer des modèles plus denses en termes de produits, moins industriels. Cette concurrence accentue la nécessité du caractère artisanal du private banking à travers un ensemble de solutions que les banques de détail ne peuvent pas offrir, comme des conseils en matière d’art, du private equity ou des activités de family office. Nous nous sommes déplacés de l’asset management vers le wealth management.

B. H. «On peut aussi résumer ça par l’‘exper­tise’. Une banque comme la nôtre doit être beaucoup plus pointue et spécifique sur tous les développements que l’on connaît dans le domaine de la gestion patrimoniale.

L’implication des familles historiques dans l’actionnariat joue-t-elle un rôle important dans l’évolution de la banque?

B. C. «Oui, c’est fondamental. Il est très rare de voir une entreprise où les familles fondatrices sont toujours présentes dans l’actionnariat et dans la gestion de l’entreprise depuis 150 ans. Mais cela a permis de maintenir des valeurs, telles que l’entrepreneuriat et l’écoute des clients. C’est extrêmement rassurant de voir une entreprise où les familles ont gardé leur patrimoine au sein de leur propre institution. Elles associent leur propre gestion financière à celle de la banque. À titre personnel, j’y suis extrêmement sensible. C’est sécurisant pour les clients et le personnel de voir que le flambeau se transmet en maintenant des valeurs morales éminemment respectables.

B. H. «La pérennité de l’ancrage familial au sein du groupe reflète aussi le caractère humain au cœur de nos valeurs.

Pour continuer à performer au cours des 20 prochaines années, à quoi devrez-vous être particulièrement attentifs?

B. C. «À garder un niveau de moralité, d’écoute entrepreneuriale et d’intelligence supérieur. À rester centrés sur le client, autant que nous le sommes actuellement, et à continuer la migration vers les services financiers particuliers destinés à une tranche de clientèle qui cherche une véritable banque privée. Au niveau du private banking, nous devrions devenir le family office des clients en proposant une multiplicité de services. Nous le sommes déjà en partie.

Nous devons aussi être capables de gérer en même temps l’évolution du cadre réglementaire et de l’environnement dans lequel on évolue en tant que banque privée au sens large.
Bruno Houdmont

Bruno HoudmontCEO LuxembourgDegroof Petercam

B. H. «Le type de clientèle très particulier qui est le cœur de notre groupe est en attente de cette expertise qui doit proposer une approche la plus large possible, dépassant le pur aspect financier, même s’il reste ­important.

Par ­ailleurs, nous devons aussi être capables de gérer en même temps l’évolution du cadre réglementaire et de l’environnement dans lequel on évolue en tant que banque privée au sens large. Il faudra pouvoir relever ce défi de manière à se maintenir dans des positions de solidité et de viabilité qui ne soient pas affectées par l’ampleur que cette demande réglementaire exige aujourd’hui.

L’accélération subie au cours des 20 dernières années, ­surtout depuis la crise de 2008, est un choc pour le secteur et pour une institution comme la nôtre. Les changements en deux décennies ont été bien plus rapides qu’au cours des 130 premières années du groupe. Enfin, pour assurer cette pérennité, nous avons pris des décisions d’investissement significatives pour le futur, notamment en matière d’informatique. Dans le courant de l’année 2020, le groupe a lancé un investissement conséquent pour une nouvelle plateforme informatique, qui sera déterminante pour l’avenir de nos activités.

Il y a eu, ces dernières années, des rumeurs de rachat concernant Degroof Petercam, que vous avez démenties. Votre banque a-t-elle les reins suffisamment solides pour poursuivre sa route en toute autonomie?

B. C. «Oui, très largement. Le niveau de capitalisation réglementaire de la banque dépasse 20%. Nous sommes une banque extrêmement liquide, qui affiche un petit bilan consolidé, entre 8 et 9 milliards d’euros, mais parfaitement sécurisé. Il y a effectivement eu des rumeurs de rachat, mais qui n’ont jamais émané de ­l’entreprise elle-même. Elles ont d’ailleurs été déstabilisatrices. Elles ont été bien plus ­nuisibles en termes d’incertitudes auprès de la clientèle que les problèmes de compliance – documentation des comptes – auxquels nous avons aussi été confrontés il y a deux ans en Belgique. Ce problème-là a pu être géré assez facilement en y mettant les moyens. Celui lié aux rumeurs de rachat montre donc bien que la clientèle est intrinsèquement attachée à la stabilité actionnariale.

La fusion entre Degroof et Petercam   est une fusion efficacement réussie.
Bruno Colmant

Bruno ColmantCEODegroof Petercam

La fusion entre Degroof et Petercam a cinq ans. Quel bilan en tirez-vous?

B. C. «C’est une fusion efficacement réussie. À ce niveau, je dois rendre hommage à mon prédécesseur, Philippe Masset, qui est parvenu à très rapidement réaliser cette fusion. Elle a été favorisée par la très bonne osmose entre les familles fondatrices des deux entités, mais il a su assurer cette fusion de manière très rapide, tant en termes de business que d’équipes. Pour être clair, depuis des années déjà, je n’entends jamais personne qualifier un autre employé d’‘ex-Degroof’ ou d’‘ex-Petercam’. Nous avons assisté à une convergence assez rapide. Chacun a apporté ses atouts. Il s’agit vraiment du ‘meilleur des deux mondes’.

D’autres fusions sont-elles envisageables à moyen terme?

B. C. «Ce qui nous occupe avant tout, c’est le développement informatique, comme nous l’avons expliqué précédemment. Il est fondamental, et c’est un gage de confiance quant à la pérennité de l’entreprise. Nous nous attelons aussi à la remédiation en termes de documentation des comptes. Cela va encore nous occuper pendant toute l’année 2021. Notre priorité vise à renforcer l’entreprise de manière interne, et ce n’est dans la volonté d’aucun organe de gestion de procéder à l’une ou l’autre acquisition, même si tout dossier mérite d’être vu.

Les grandes fortunes sont de plus en plus éloignées d’Europe. Faut-il créer de nouvelles structures sur d’autres continents pour aller les séduire?

B. C. «Notre modèle traditionnel de private banking reste centré sur la Belgique, la France, le Luxembourg et la Suisse. Si une expansion doit se produire, elle concernera avant tout la gestion institutionnelle et de fonds. DPAM dispose déjà d’une présence importante en Europe continentale et poursuit son développement en Scandinavie.

B. H. «Nous disposons aussi d’un petit bureau au Canada — à Montréal. Il s’agit d’une opportunité qui s’est réalisée dans la prolongation d’une joint-venture, en 2013, avec un partenaire canadien en termes de private equity. Nous constatons que certains de nos clients européens souhaitent trouver des solutions de diversification d’actifs dans d’autres zones géographiques et que le Canada peut répondre à cet attrait. Nous voulons donc accompagner certains de nos clients sur ce marché, mais plus à la manière d’un family office. En sens inverse, nous observons aussi un intérêt de la part de certains résidents canadiens par rapport aux types de services et d’expertises qu’un groupe comme le nôtre peut apporter.

DPAM a clairement été parmi les pionniers de l’inves­tissement durable.
Bruno Houdmont

Bruno HoudmontCEO LuxembourgDegroof Petercam

Quelle est l’implication de Degroof ­Petercam par rapport à la finance durable?

B. H. «C’est un thème sur lequel nous sommes positionnés depuis longtemps, surtout au sein de notre pôle de gestion collective, DPAM. Il a clairement été parmi les pionniers de l’inves­tissement durable, qui fait désormais partie du cœur de son univers d’investissement. Cette conviction s’est étendue à ­l’ensemble des autres activités du groupe, dont la banque privée, pour progressivement arriver à un univers d’investissement qui réponde de plus en plus aux enjeux de la durabilité. Tout d’abord, parce que nous sommes convaincus que cela correspond à l’évolution du monde et de l’environ­nement dans lesquels nous opérons. Il y va de notre responsabilité sociétale. Mais, de plus en plus, cela correspond aussi aux attentes de nos clients qui veulent s’assurer d’une approche durable dans la gestion financière de leurs biens.

Quel bilan global tirez-vous de l’exercice 2020, année de pandémie, pour l’ensemble de vos activités?

B. C. «Il y a différentes leçons à tirer. Outre le fait que nous n’avons pas eu une minute ­d’accroc informatique lors du basculement en télétravail, cette période a montré que notre personnel est dans une relation de confiance, ce qui a permis à l’entreprise de continuer à travailler dans une communauté d’intérêts et de comportements parfaitement alignés. La taille réduite de notre banque a prouvé sa valeur dans ce cas précis. Les collaborateurs se connaissent et ont pu agir en toute confiance malgré la distance. Cette crise a aussi montré la force de notre modèle intégré. Si nous avons connu des mo­ments plus difficiles dans notre département Private Banking, cela a pu être compensé, en partie, par une forte croissance en gestion institutionnelle et par une activité très performante des salles de marchés financiers. Le modèle intégré a donné un résultat d’une chimie différente de ce qui avait été anticipé, mais, au final, l’exercice 2020 est assez satisfaisant. Nous n’avons pas à rougir, les chocs financier et sanitaire ont été absorbés de manière assez efficace.

Vos différentes activités vous ont-elles amenés à prendre des risques particuliers par rapport à la crise sanitaire?

B. C. «Non, au contraire. Nous avons apporté une attention extrême à la sécurisation du bilan des actifs. Nous avons opté pour une gestion très prudente et nous n’avons connu aucune perte de crédit pendant toute cette période. Je pense, par contre, que les banques traditionnelles, qui affichent un bilan imposant, vont connaître plus de problèmes.

La dilution du coût [du coronavirus] se fera au cours des prochaines générations.
Bruno Colmant

Bruno ColmantCEODegroof Petercam

Qui va payer la facture du coronavirus au cours des prochaines années?

B. C. «La dilution du coût se fera au cours des prochaines générations, parce qu’aujourd’hui, la facture est financée par la Banque centrale européenne, et on a la chance de vivre dans un monde très peu inflationniste. Une très légère inflation érodera néanmoins la valeur des dettes au cours des prochaines années. Elle s’érode d’ailleurs déjà aujourd’hui avec les taux ­d’intérêt négatifs. Tout cela se fera donc par un appau­vrissement de la valeur de la dette publique.

Quelles sont vos principales perspectives pour l’année qui démarre?

B. C. «Il s’agira d’une année caractérisée par la continuation du refinancement des dettes publiques par les banques centrales. La géométrie économique est totalement transformée. Contrairement à la situation d’il y a 15 ou 20 ans, moment où la dette publique devait être financée par de l’épargne existante, aujourd’hui, elle est financée indirectement par la création monétaire. À côté de ce ­soutien monétaire, les États vont poursuivre leur ­soutien budgétaire. Nous sommes donc dans une configuration tout à fait différente: les États et les banques centrales se rapprochent et marquent un tournant important dans ­l’histoire de la fi­nance d’après-guerre. L’année 2020 a été une année charnière entre certains dogmes monétaires en matière d’endettement et une réalité qui nous a tous submergés. Cela conduira au fait que l’épargne sans risque sera probablement érodée par l’inflation. Quelqu’un qui veut préserver son patrimoine doit donc se constituer un portefeuille très diversifié.

Au niveau des banques, les taux bas restent-ils très pénalisants?

B. C. «Pour Degroof Petercam, cette situation n’est pas problématique, nous sommes neutres par rapport aux taux d’intérêt. Par contre, une augmentation serait la bienvenue pour les banques de détail. Elles bénéficient du fait que les dépôts ne coûtent rien, mais elles placent leurs liquidités aussi à des taux extrêmement bas. Une augmentation des taux d’intérêt qui ne se répercuterait pas dans l’augmentation des coûts des dépôts serait favorable aux banques. Mais on n’en est pas encore là.

Dans quoi conseilleriez-vous d’investir en 2021?

B. C. «Il faut avoir une vision holistique de son patrimoine. Il faut aussi avoir sécurisé son immobilier et disposer d’un portefeuille très diversifié d’actions multisecteurs et multi­régions. C’est la seule façon de pouvoir absorber tous les chocs conjoncturels qui peuvent toucher l’économie.

Pour les marchés boursiers, la crise semble déjà oubliée. À quoi un tel optimisme est-il lié?

B. C. «Les marchés sont optimistes parce qu’ils regardent devant eux. Aujourd’hui, ils sont positifs grâce à une conviction raisonnable et partagée du fait que les taux d’intérêt seront maintenus bas autant que possible par les banques centrales. On pourrait connaître des augmentations de taux d’intérêt, notamment aux États-Unis, mais il existe un mouvement d’ensemble selon lequel les taux d’intérêt doivent rester bas pour permettre d’absorber l’augmentation des dettes publiques par une rémunération qui, après inflation, est négative.

L’UE discute toujours d’une taxe sur les transactions financières. Comment vous positionnez-vous par rapport à cette idée?

B. C. «Je ne pense pas qu’elle connaîtra un grand succès: toute taxe fera que les flux financiers se déplaceront vers d’autres régions. Selon moi, c’est une taxe qui n’a pas lieu d’être dans la mesure où elle ne taxe pas un enrichissement ou une valeur ajoutée, contrairement aux principes du droit fiscal. Taxer une transaction financière revient à simplement taxer la mutation d’un capital. Cela ne crée pas de richesse. Taxer un flux n’a, selon moi, pas beaucoup de sens.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  qui est parue le 27 janvier 2021.

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