Jean-Laurent Bonnafé: «Même si nous sommes en retard par rapport aux Gafa, nous sommes prêts à apprendre et à réapprendre.» (Photo: Patricia Pitsch/ Maison Moderne)

Jean-Laurent Bonnafé: «Même si nous sommes en retard par rapport aux Gafa, nous sommes prêts à apprendre et à réapprendre.» (Photo: Patricia Pitsch/ Maison Moderne)

L’adaptation, dans un monde où le changement n’a fait que s’accélérer, était au cœur des discours prononcés lundi soir au siège de BGL BNP Paribas, à l’occasion du centenaire de la banque.

«Ambidextre». L’assistance ne s’attendait probablement pas à un tel adjectif pour qualifier une entreprise centenaire. C’est pourtant l’une des caractéristiques choisies par Pascal Picq pour qualifier celles qui passent ce vénérable cap, à l’instar de BGL BNP Paribas, fondée en 1919.

Le paléoanthropologue français, maître de conférences au Collège de France, était l’orateur invité de la séance officielle organisée lundi pour l'anniversaire de la banque, au siège du Kirchberg.

Devant le , le Premier ministre , ainsi qu’une assistance fournie composée de nombreux représentants politiques et décideurs d’entreprise, M. Picq a résumé les valeurs et caractéristiques des entreprises qui ont connu au moins un siècle d’activité: «une certaine sobriété», «une dimension humaine vécue par les collaborateurs», «une stabilité au niveau de la gouvernance», «une compréhension des enjeux», «elles sont aussi ambidextres. (…) Elles investissent dans des nouveaux projets quand tout va bien.»

Une forme d’anticipation pour éviter «l’effet Kodak», autrement dit de disparaître. Pour le paléoanthropologue, le vrai enjeu n’est pas la continuité du passé, mais bien de gérer la descendance en tenant compte des modifications du monde qui nous entoure.

La transformation numérique est une transformation totale de l’entreprise.
Pascal Picq

Pascal Picqpaléoanthropologue et maître de conférences Collège de France

Dix ans après la crise bancaire, et surtout dix ans après la montée en puissance du digital dont peu soupçonnaient les effets économiques sur nos sociétés, Pascal Picq parle d’un espace digital darwinien dans lequel l’offre de services apparaît sans forcément qu’elle corresponde à une demande existante. Avec une sélection par les consommateurs a posteriori.

Smart cities, green cities, cryptomonnaies, puissance de la Chine, disruption technologique et de marchés… le changement est en marche et mieux vaut s’adapter pour survivre.

Écorchant au passage la profession de futurologue et Jeremy Rifkin, , Pascal Picq prévient: «Une transformation numérique est une transformation culturelle totale de l’entreprise, avec ses clients et avec ses partenaires.» Une transformation qui passe par des «écosystèmes» dans lesquels il vaudra mieux être le leader pour «structurer le champ des possibles» autour de soi.

Un «bébé» de 100 ans

Intervenant en clôture de la séance, le CEO de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, avait bien reçu le message du paléoanthropologue.

Soulignant, comme le président du conseil d’administration, , ou le CEO, , ainsi que son prédécesseur, , la place importante de la banque dans l’histoire et l’évolution économiques du pays, M. Bonnafé a choisi l’image du «bébé» BGL BNP Paribas qui entame quasiment une nouvelle vie après 100 ans.

«C’est une refondation.» «Il faut considérer intellectuellement que nous allons passer la main. Ce deuxième bébé, déjà mature, qui hérite d’une belle génétique – composée de confiance, de sens du risque, de proximité et de loyauté –, ce n’est ni moi ni ceux de ma génération qui allons le faire grandir», a déclaré M. Bonnafé. Une manière de passer le relais aux nouvelles générations – davantage sensibles à la RSE –, qui sont d’ailleurs en passe d’être majoritaires sur le marché du travail, indiquait quelques minutes plus tôt Pascal Picq.

Ce qui va nous sauver est que l’Europe n’a rien d’autre que des banques.
Jean-Laurent Bonnafé

Jean-Laurent BonnaféCEOBNP Paribas

Jean-Laurent Bonnafé n’en avait pas oublié le pragmatisme du banquier: disposer du cash-flow nécessaire pour gérer ce fameux changement et concourir dans une compétition mondiale. Aux côtés d’acteurs non régulés et qui proposent une nouvelle technologie.

Les Gafa sont dans toutes les têtes des acteurs européens de la finance, qui partent avec deux handicaps, selon le patron de BNP Paribas: la réglementation et la politique de taux bas.

Mais l’horizon pourrait se dégager dans une économie où la donnée sera le nouveau pétrole.

«Ce qui va nous sauver est que l’Europe n’a rien d’autre que des banques», soulignait Jean-Laurent Bonnafé. «Qui gère des données fines en Europe? L’univers européen va devenir plus amical et plus affectueux avec les banques qui ne perdent pas tant de données que ça.»

Et en pointant les Gafa qui perdent des données d’utilisateurs et peut-être demain leur argent, le patron de BNP Paribas assure que les banques seront prêtes à s’ouvrir à d’autres services: «Même si nous sommes en retard par rapport aux Gafa, nous sommes prêts à apprendre et à réapprendre.»

Un nouveau cycle sans renier le passé

En prenant la parole, le Premier ministre s’est rappelé quant à lui de la conception de l’amphithéâtre de la banque à l’époque où il était encore bourgmestre de la capitale. Et de l’inauguration, en 2016, du nouveau siège.

«Quel signe important quand vous rentrez à Luxembourg de voir ce quartier en évolution, d’être accueilli par une banque, mais aussi une maternité de l’autre côté.» Rires dans la salle.

Je suis fier que le Luxembourg ait réussi cette transformation au niveau du secteur financier.
Xavier Bettel

Xavier BettelPremier ministre

Si les portes de l’ancienne forteresse n’étaient pas loin autrefois, Xavier Bettel a voulu insister sur l’ouverture comme condition sine qua non de la réussite du pays.

«Il ne faut jamais oublier ce qu’a été notre pays, il n’a pas toujours été le pays avec tant de banques, où le budget était positif, c’était un pays pauvre, agricole, mais qui a toujours su saisir les opportunités. (…) Nous n’avons jamais voulu nous reposer sur nos lauriers. Je suis fier que le Luxembourg ait réussi cette transformation au niveau du secteur financier, qui n’est plus le même qu’il y a 10 ans et qui dans 10 ans sera encore différent.»

Ajoutant le Brexit, le changement climatique ou encore l’importance du dialogue social à l’incontournable sujet du digital, qui a aussi émaillé tous les discours, Xavier Bettel a résumé un agenda qui s’annonce aussi prometteur que chargé pour les banques en général et BGL BNP Paribas en particulier.

Pas de quoi altérer l’optimisme affiché par son CEO, Geoffroy Bazin, sur scène. Celui qui est  avait d’ailleurs invité  pour évoquer la volonté récurrente de la banque d’innover.

Dix ans après une crise financière qui est encore dans toutes les mémoires et durant laquelle la BNP et l’État luxembourgeois se sont trouvés partenaires , Geoffroy Bazin voit dans la nouvelle décennie qui s’ouvre le symbole du renouvellement d’un cycle: «Nous fêtons le redémarrage d’un cycle tout en commémorant le passé.»