Le Royal-Hamilius revendique une zone de chalandise de 675.000 personnes à 30 minutes et 20% d’attractivité supplémentaire avec son ouverture. (Visuel: Codic International)

Le Royal-Hamilius revendique une zone de chalandise de 675.000 personnes à 30 minutes et 20% d’attractivité supplémentaire avec son ouverture. (Visuel: Codic International)

Les ouvertures de centres commerciaux s’enchaînent en Grande Région. La concurrence fait rage dans un bassin de population qui gravite autour du Luxembourg. Mais l’offre correspond-elle bien à la demande?

Avec les ouvertures dans les prochaines semaines du Royal-Hamilius en centre-ville et d’ au Kirchberg, la capitale comptera deux nouveaux paquebots commerciaux supplémentaires sur son territoire, après que Cloche d’Or a été mis en service en mai dernier. En 2016, le cap symbolique du million de mètres carrés dédiés au commerce avait déjà été franchi. Face à cette avalanche d’ouvertures, la question de la saturation de l’offre se pose plus que jamais.

«Pas encore de saturation»

«Le Luxembourg est le troisième pays européen en ce qui concerne le rapport entre le nombre d’habitants et le nombre de mètres carrés de surfaces commerciales, observe d’emblée , le directeur de la Confédération luxembourgeoise du commerce. Ce qui est impressionnant, c’est la rapidité avec laquelle ces surfaces commerciales se sont installées. Mais au vu de la croissance démographique, le paysage n’est toujours pas saturé.»

Même constat pour Gilles Scholtus, conseiller de gouvernement au ministère de l’Économie: «Le problème, c’est qu’on prend toujours les chiffres par résident, et on se dit que c’est énorme. Mais on oublie une donnée fondamentale: les 200.000 frontaliers. Croyez-moi, il y aura saturation le jour où plus aucune grande surface ne voudra venir ici.» On en est loin...

L’offre commerciale aujourd’hui est à un niveau qui est en phase avec la croissance de la population.
Vincent Bechet

Vincent Bechetmanaging directorInowai

Le Luxembourg fait partie des pays au plus fort pouvoir d’achat en Europe par habitant. Ce qui en fait un terrain de jeux incontournable pour les enseignes. «L’offre commerciale aujourd’hui est à un niveau qui est en phase avec la croissance de la population, veut croire , managing director et partner du cabinet immobilier Inowai. Nous arrivons donc à un certain équilibre entre l’offre et la demande. Mais il est vrai que dans le sud du pays, par exemple, on ajoute beaucoup de mètres carrés, et il possible qu’il y ait peut-être un excès d’offre à l’avenir, mais je pense que la loi du marché va réguler cela.»

Et si certaines aventures s’avèrent infructueuses, la demande très forte en foncier peut constituer une porte de sortie appréciable. «Le bien peut très bien être ­transformé en un autre projet, comme des logements ou des bureaux notamment, et on ajuste ainsi le tir», poursuit Vincent Bechet. De la poursuite de cette croissance découlera l’adéquation de l’offre de la de­mande.

«Il est certain que si la population devait s’arrêter de croître maintenant, à l’ouverture du Royal-Hamilius, ou d’Infinity en décembre prochain, nous aurions une suroffre. Mais si elle suit les tendances de ces ­dernières années, c’est au final une ville comme Arlon que l’on doit intégrer et satisfaire tous les deux ans.»

Soit 60.000 résidents supplémentaires sur les cinq prochaines années qu’il faudra nourrir, loger, équiper, distraire, habiller, etc. «Donc, ces centres commerciaux ne devraient pas voir leur affluence baisser», estime le managing director d’Inowai.

La Fnac et les Galeries Lafayette «polarisantes»

L’offre en Grande Région est également forte et soutenue, notamment sur les agglomérations de Metz, de Thionville et de Mont-Saint-Martin côté français ou de Messancy et d’Arlon côté belge. Ces secteurs concentrent en effet des bassins importants de frontaliers au pouvoir d’achat plus élevé que leurs compatriotes travaillant dans leur pays d’origine – une cible prisée par les centres commerciaux. Le Royal-Hamilius, de son côté, revendique une zone de chalandise de 675.000 personnes à 30 minutes et 20% d’attractivité supplémentaire avec son ouverture.

La présence de certaines marques ou l’exclusivité d’un rooftop vont faire la différence, et faire venir des personnes qui n’étaient jamais venues au Luxembourg.
Vincent Bechet

Vincent Bechetmanaging directorVincent Bechet

«Les arrivées de la et des seront effectivement très polarisantes. Certes, ces deux grandes enseignes françaises sont, par exemple, déjà ­présentes à Metz, mais pas du côté de la frontière belgo-luxembourgeoise. La présence de certaines marques ou l’ vont faire la différence, et faire venir des personnes qui n’étaient jamais venues au Luxembourg», ajoute Vincent Bechet. Selon lui, Luxembourg se situe également comme une destination touristique, où les visiteurs viennent toute une journée pour visiter et faire du shopping.

Le modèle de grand centre commercial est-il adapté à la ­physionomie du Luxembourg? «Je pense qu’une version Cloche d’Or telle qu’elle est aujourd’hui ne se fera plus à l’identique à l’avenir. Son hypermarché est pourtant assez novateur dans son offre et son organisation, avec notamment un restaurant au milieu. Il n’est pas aussi classique que celui du Kirchberg, qui pourtant était lui-même innovant à son ouverture, mais ce modèle évoluera encore», complète Vincent Bechet, qui évoque les nouveaux malls aux États-Unis, «qui ressemblent à des parcs d’attractions. Il est donc fort probable que les besoins des consommateurs d’aujourd’hui ne soient pas les mêmes dans quelques années.»

«Un mouvement important vers la transformation des centres commerciaux en lieux de vie, avec une importante fonction de loisir, émane de l’étranger, déclare Nicolas Henckes, directeur de la CLC. Il devrait atteindre également le pays.» Un changement qu’il ­faudra prendre en compte pour rester dans la course et ne pas être relégué en queue de peloton. Voire abandonner.

«Pas de menace pure»

Comment les responsables de centres commerciaux situés de l’autre côté de la frontière perçoivent-ils le paysage luxembourgeois? Éléments de réponse avec Stéphane Thil, directeur du centre outlet McArthurGlen Luxembourg à Messancy en province du Luxembourg belge.

Il admet être «vigilant sur ces centres commerciaux et leurs pouvoirs d’attractivité et de curiosité, qui sont indéniables». Mais M. Thil croit aux éléments différenciateurs de chacun. «Ce ne sont pas des menaces pures, car le Royal-Hamilius, par exemple, est plutôt destiné à une population de centre-ville ou aux touristes. Notre typologie de clients est notamment constituée de frontaliers belges, français, allemands, mais aussi de résidents luxembourgeois, et notre atout est d’être un outlet, et donc d’avoir à la fois des marques et des prix plus bas qu’en centre-ville.»

Mais face à ces ouvertures constantes au Grand-Duché, le directeur de McArthurGlen Luxembourg avoue toutefois que des campagnes de communication vont être menées dans les prochains mois «pour renforcer [leur] visibilité et [leur] pouvoir d’attractivité». Même sans menace directe, on ne fait jamais assez parler de soi.