Laurent Schonckert: «Le leadership ‘à l’ancienne’, avec un chef qui détient la vérité absolue, ne correspond pas non plus à ma vision du leadership.» (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Laurent Schonckert: «Le leadership ‘à l’ancienne’, avec un chef qui détient la vérité absolue, ne correspond pas non plus à ma vision du leadership.» (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

En quatre décennies chez Cactus, Laurent Schonckert s’est forgé une place de choix dans la famille du leader de la grande distri­bution. L’esprit sportif est toujours présent chez celui qui n’a jamais caché son ambition, sans prétendre jouer un rôle qui ne serait pas le sien.

Quelle est votre définition du leadership?

– «Si je pense au ‘Prince’ de Machiavel ou à ‘L’Art de la guerre’ de Sun Tzu, j’ai une approche plus terre à terre du leadership. Il y a plusieurs sortes de leadership, à commencer par le leadership négatif, voire dangereux, comme celui exercé par certains élus à l’international.

Le leadership ‘à l’ancienne’, avec un chef qui détient la vérité absolue, ne correspond pas non plus à ma vision du leadership. Je me considère plutôt comme un team player, probablement du fait de ma pratique du sport, en l’occurrence du football durant ma jeunesse. Avant de pouvoir s’estimer être un leader, il faut aussi être conscient de ses propres forces et faiblesses et rester humble. C’est ma ligne de conduite. Je la dois probablement en partie à ‘l’école de M. Leesch’ (actionnaire du groupe Cactus, ndlr). Cette approche convient aussi à notre métier, qui reste énormément lié au travail humain.

Un facteur humain qui rime avec confiance dans le style de leadership?

«Il faut donner cette confiance, être authentique et ne pas jouer un rôle. Ma porte de bureau symbolise mon état d’esprit: elle est toujours ouverte. J’essaie aussi de visiter autant que possible des magasins pour rester en contact avec les équipes, mais, malheureusement, pas autant de fois que je le voudrais, loin de là!

L’image de l’entraîneur d’une équipe vous convient donc?

«Elle me convient, le sport m’a éduqué de cette manière. J’écoute, j’essaie d’accompagner. Je n’ai pas non plus l’habitude d’élever la voix, j’ai une approche plutôt diplomatique, qui correspond mieux, je pense, à l’entreprise dans laquelle je travaille. Je crois, avec un certain recul, avoir réussi à naviguer dans des eaux pas toujours calmes en gardant cette ligne de conduite.

Mais à la fin, il faut prendre des décisions

«On peut évidemment écouter tout le monde, il faut quand même prendre des décisions. Pour le faire, je m’appuie sur un équilibre – toujours relatif – entre émotionnel et rationnel. J’essaie en tout cas d’éviter d’être ‘unisens’.

Je fais ce que je dis et si ce n’est pas possible, je le dis aussi. Cet état d’esprit est d’autant plus important dans un petit pays comme le Luxembourg, car il est connu que vous faites souvent des affaires avec les mêmes personnes tout au long de votre carrière.
Laurent Schonckert

Laurent Schonckertadministrateur-directeurCactus

Comment parvenir à se faire respecter dans un monde de la grande distribution qui reste très concurrentiel?

«À nouveau, tout tient à la confiance et à l’authenticité dont vous faites preuve à l’égard de vos interlocuteurs. Je pense n’avoir jamais trahi personne. Je fais ce que je dis et si ce n’est pas possible, je le dis aussi. Cet état d’esprit est d’autant plus important dans un petit pays comme le Luxembourg, car il est connu que vous faites souvent des affaires avec les mêmes personnes tout au long de votre carrière. Ça ne sert à rien d’enfoncer des clous, il vaut mieux parfois donner du temps au temps pour trouver des solutions.

Comment perdurer lorsque l’on exerce de telles responsabilités?

«À nouveau, l’esprit sportif reste très présent chez moi. Il faut quand même vouloir gagner pour perdurer, tout en apprenant parfois à perdre. Si vous êtes tout le temps sur la défensive, vous n’avancez pas. J’ajoute que la relation avec l’actionnaire familial permet aussi de durer dans un tel poste. La famille Leesch, propriétaire du groupe Cactus, m’a toujours soutenu et je me félicite de ne jamais avoir eu d’opposition formelle ou du côté du personnel. Les nouveaux projets, la remise en question pour avancer participent aussi à cette capacité à durer. Je m’imagine que cela est plus difficile à vivre dans des secteurs déclinants. Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en ligne de compte, y compris la santé et la chance.

Comment se renouveler en tant que leader?

«Nous sommes dans une entreprise avec une moyenne d’âge relativement jeune. Je suis à l’écoute des jeunes qui exercent une pression positive pour changer les choses. C’est aussi une question d’état d’esprit. Je reste ouvert à beaucoup de choses sur les plans professionnel et privé pour me nourrir.

L’influence figure au centre du clas­­sement du Paperjam Top 100. Quelle est votre définition de l’influence?

«Tout le monde use de son influence à différents niveaux. Je me suis beaucoup investi par le passé dans les organisations professionnelles, partant du principe qu’il vaut mieux influencer les choses dans le sens que vous souhaitez en agissant plutôt que de râler après coup. Pour étendre le sujet de l’influence, je suis inquiet de voir ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux, notamment aux États-Unis, dans le contexte politique, voire électoral. Dans ce cas, je considère qu’il s’agit d’une mauvaise influence. La presse joue aussi un rôle dans ce contexte. Or, la lecture de la presse diminue chez une partie de la population. Tout ceci nous amène à nous interroger.

Sans penser à la retraite dans un avenir proche, préparez-vous d’ores et déjà votre succession?

«J’ai encore quelques années devant moi chez Cactus, mais nous y réfléchissons sans urgence. Est-ce que le modèle avec un directeur externe à la famille sera conservé? Une partie de la troisième génération est entre-temps entrée dans l’entreprise. C’est une décision qui revient in fine à l’actionnaire.

Vous faites partie de la grande famille Cactus, mais votre position «en dehors de la famille» vous a justement permis d’apporter un autre regard

«Nous sommes plusieurs cadres externes à accompagner les représentants de la troisième génération de la famille qui sont entrés dans l’entreprise. Nous pouvons leur transmettre les subtilités internes. Il est important de transmettre un vécu, d’expliquer pourquoi des décisions ont été prises de telle ou telle manière. À eux de décider par la suite si les choses doivent être modifiées ou non.

N’est pas sincère celui qui me dit qu’il n’essaie pas d’influencer ses interlocuteurs de la vie quotidienne. C’est un jeu qui doit, dans le meilleur des cas, être profitable à tout le monde, même si ce n’est pas toujours évident.
Laurent Schonckert

Laurent Schonckertadministrateur-directeurCactus

Que faire pour encourager l’esprit d’entreprendre?

«Un de nos managers siège au conseil d’administration des Jonk Entrepreneuren, une association en laquelle nous croyons beaucoup. Cactus leur offre une plateforme une fois par an pour exposer leurs projets, notamment. À mon avis, le rôle d’un entrepreneur ne se limite pas à faire profiter son entreprise, ce rôle comprend aussi une dimension sociale, en l’occurrence l’aide aux jeunes et la promotion de l’entrepreneuriat. Nous essayons aussi d’aider les initiatives et les producteurs locaux dans une optique des ‘trois parties gagnantes’: le producteur, le distributeur et le client. Notre indépendance nous permet de décider plus facilement de travailler avec tel ou tel producteur.

L’influence est-elle une conséquence de l’ambition?

«Oui, c’est bien résumé. Si on n’a pas d’ambition, on n’a pas besoin de l’influence (positive). N’est pas sincère celui qui me dit qu’il n’essaie pas d’influencer ses interlocuteurs de la vie quotidienne. C’est un jeu qui doit, dans le meilleur des cas, être profitable à tout le monde, même si ce n’est pas toujours évident. Je considère l’ambition comme saine. Je n’ai, en revanche, jamais été obnubilé par le fait de ne pas avoir atteint un certain objectif ou une ambition. J’ai toujours essayé d’en comprendre la raison ‘de l’échec’ pour mieux avancer par la suite ou comprendre où étaient mes limites.

Figurer dans ce classement représente une forme de reconnaissance?

«Là aussi, le monde ne s’écroulerait pas si j’étais rétrogradé. Si je me retrouve en bonne position, je me dis que ce que j’ai fait a été remarqué par d’autres et que cela n’était peut-être pas si mauvais que cela. À chacun de juger.

La crise a-t-elle remis en cause le modèle de croissance luxembourgeois?

«Je suis de près les projections du Statec ou l’évolution des finances publiques. D’un point de vue optimiste, les choses pourraient commencer à s’améliorer l’année prochaine, et surtout en 2022. Par ailleurs, des dépenses vertigineuses ont été effectuées par le gouvernement. Elles étaient nécessaires, mais, tout comme dans une entreprise, si de l’argent est sorti, il faut que de l’argent rentre. Je suis curieux de voir comment ce trou va être comblé. Ni la hausse des impôts ou des cotisations sociales ni la baisse des retraites ne semblent être au programme. Tout dépendra de la dynamique et de la rapidité de la reprise.

On se dirige vers une période d’incertitude

«Ce ne sera plus le monde que nous avons connu, mais il faut se dire qu’il y aura un monde après le Covid. C’est l’optimiste qui parle à nouveau. Il faut prendre ce virus très au sérieux pour le faire disparaître, mais il faut aussi dire que la civilisation a déjà connu pas mal de crises par le passé. C’est dans la nature humaine de renaître, de se remettre en question pour survivre.

Que restera-t-il de cette crise?

«Les philosophes et autres spécialistes sont divisés sur cette question. Certains disent qu’il y aura une fracture vis-à-vis de tout ce que l’Homme fera à l’avenir. Je ne le pense pas. Je suis certain que les gens vont quand même retourner au restaurant, partir en vacances… On dit aussi que le local va avoir le vent en poupe. Je m’en réjouis, mais certaines personnes ne peuvent pas changer de mode de consommation, car elles n’en ont tout simplement pas les moyens.

Peut-on tout de même, en maintenant ce niveau de vie, progresser sur la question environnementale?

«C’est un des grands défis qui planent au-dessus de nos têtes. Tout comme pour la crise du Covid, chacun doit prendre ses responsabilités. Chacun peut adopter des gestes quotidiens qui vont dans le bon sens. L’entreprise peut aussi le faire, je pense par exemple au packaging. Je suis certain qu’on peut trouver un compromis entre l’économie et l’environnement.


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On a redécouvert avec cette crise l’importance de certains métiers «en première ligne». Outre le personnel soignant, je pense aux caissières et caissiers dans la grande distribution. Est-ce que cela vous a surpris?

«Ça m’a positivement surpris, je dois l’admettre, et je dois redire merci à toutes ces personnes. J’ai énormément apprécié que beaucoup de monde ait relevé leur importance.

Le débat sur la manière dont ces métiers sont valorisés doit-il être rouvert?

«Tout dépend de ce qui doit être valorisé. Si cela signifie augmenter les salaires, je ne suis pas forcément ouvert à cette discussion – c’est l’économiste qui parle. Nous avons une convention collective en place qui est généreuse et qui sert d’ailleurs d’étalon pour le secteur de la grande distribution. Ce sont des métiers qui sont durs, d’où l’importance de faire preuve d’une certaine souplesse.

Quel est votre prochain défi?

«Je souhaiterais mettre à profit mes dernières années dans la société pour faire en sorte qu’au moment de mon départ, on puisse dire que j’ai arrêté au bon moment sans faire trop de bêtises.»

Laurent Schonckert obtient la 4e place du classement du Paperjam Top 100 2020, présenté dans le numéro de janvier 2021 du magazine Paperjam, en kiosque à partir du 17 décembre.

Ce que dit le jury de Laurent Schonckert

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Jury du Paperjam Top 100 

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