Nicolas Buck a laissé sa marque lors de son passage à la présidence de l’UEL. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Nicolas Buck a laissé sa marque lors de son passage à la présidence de l’UEL. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

«Son passage à l’UEL a été rapide et violent, mais il a réussi à laisser sa marque qui, comme celle de son prédéces­seur, continuera à imprégner la vénérable institution», résume le jury du Paperjam Top 100. Nicolas Buck livre, pour l’occasion, un entre­tien sous forme de bilan de sa présidence.

Vous allez quitter la présidence de l’UEL au 31 décembre pour vous consacrer entièrement à votre entreprise, Seqvoia. Qu’est-ce que ce mandat vous a permis de comprendre sur le Luxembourg?

– «Quand les enjeux sont particulièrement importants, ceux qui ont des responsabilités – politiques, syndicales, patronales – arrivent à dépasser leurs clivages pour régler les problèmes immédiats d’une crise telle que celle que nous traversons. À titre personnel, ce fut une grande satisfaction de contribuer à cet effort, bien que la crise ne soit pas terminée.


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Faut-il une crise pour que tous s’unissent dans un même but?

«Pendant les 10 dernières années, l’État surfait sur des recettes fiscales tout à fait exceptionnelles, dans un climat de création d’emplois, de confiance dans l’économie. Les postures étaient donc différentes. Il ne faut pas non plus surestimer les désaccords que nous avons eus en public. Beaucoup de postures tiennent du rôle tenu par chacun. Mais en réalité, tout le monde se parle. C’est un jeu.

Un jeu parfois difficile?

«Parfois c’est pesant, parfois c’est amusant, parfois c’est grisant aussi lorsque les enjeux sont plus grands que nous, qui ne sommes que les témoins privilégiés des décisions politiques, sur lesquelles nous exerçons de l’influence. Parfois, nous sommes même associés à la prise de décision et nous dépassons alors l’influence.

Comment avez-vous voulu influer à titre personnel sur les décisions prises depuis le début de la crise?

«Je suis resté sur la ligne que je m’étais fixée lors de ma prise de fonction à la présidence de l’UEL: élever le niveau de professionnalisme des prises de position patronales. Mon souhait a toujours été que l’on tienne nos promesses.

Contribuer au bien commun, c’est une vraie fierté?

«Au-delà d’exercer une forme d’influence, pouvoir contribuer en formulant une idée et en la partageant aux décideurs politiques est une fierté. Cette idée doit trouver son sens en rencontrant à la fois les intérêts des syndicats et du patronat. On parle alors de bonne influence, via une approche équilibrée si chère à (directeur de la Fedil, ndlr), auprès de qui j’ai appris par la pratique cette approche lorsque j’étais président de la Fedil.

Je remarque que le patronat n’a jamais été autant uni sous ma présidence.
Nicolas Buck

Nicolas BuckCEOSeqvoia

Au sein de l’UEL, comment avez-vous opéré votre influence?

«J’avais à l’esprit de servir les Chambres et les fédérations, qui sont en quelque sorte les actionnaires de l’UEL. En tant que structure, l’UEL est donc apparue plus unie que jamais, et les entreprises ont montré toute leur solidarité depuis le début de la crise. Je remarque que le patronat n’a jamais été autant uni sous ma présidence. Les circonstances n’y sont pas étrangères, mais je crois que le style de leadership que j’avais amené dès le début n’y est pas pour rien non plus.

Un leadership «sans filtre»?

«Absolument, avec les côtés positifs que cela induit et d’autres aspects où nous aurions peut-être dû associer davantage les présidents des Chambres et fédérations à certaines prises de décision.

Le dialogue social est-il en meilleure forme depuis votre arrivée et celle de à la présidence de l’OGBL?

«Les acteurs ont changé et l’ambiance a évolué. J’ai beaucoup d’affection pour Nora Back. C’est quelqu’un qui a amené un côté beaucoup plus pragmatique, difficile en négociation, mais avec un sourire angélique! Ça passe mieux! Ce qui a fondamentalement changé aussi est la relation positive entre Nora Back et le président du LCGB, . Nous avons désormais, autour de la table du Comité permanent pour l’emploi, des personnes qui ont de l’humour, du recul sur elles-mêmes. Ce qui facilite les discussions.

Quelle est la différence entre le leadership en entreprise et dans une organisation patronale?

«C’est toujours du leadership. Il faut apporter les idées. Ce sont les idées qui, in fine, amènent l’influence, ce n’est pas la négociation. Je pense aux idées que nous avons essaimées lorsque j’étais à la présidence de la Fedil, et que poursuit: l’importance des cursus universitaires techniques, l’idée du ‘Grand Luxembourg’ ou encore de la fiscalité… Parfois, on peut amener des idées prématurément, mais à un moment, on se rend compte de leur sens. Pensez à l’idée de la start-up nation que j’ai lancée en 2015 sur base de l’exemple israélien. Combien de fois a-t-elle été reprise par les responsables politiques? Et tant mieux!

Quid de la vision?

«Je ne pense pas que la vision sur le développement économique du pays soit figée. La vision économique ne peut jamais être une fin en soi, mais offre des moyens financiers à un État qui seront ensuite redistribués ou investis. Le développement économique permet surtout l’ascension sociale, la création de nouvelles richesses et la destruction de rentes économiques, même si ceux qui détiennent les rentes feront tout leur possible pour ralentir ce processus. Ce qui justifie donc que l’État ait le rôle d’intervenir.

Pourquoi le Luxembourg ne pourrait-il pas acheter des terrains en dehors du pays pour y construire de nouveaux projets industriels?
Nicolas Buck

Nicolas BuckCEOSeqvoia

Qu’est-ce qui est vraiment la «fin en soi» au niveau économique, lorsqu’on doit trancher sur un dossier d’implantation d’une usine, comme celui du producteur de yaourt Fage?

«Je suis en totale opposition avec l’idée de mettre des notes ou des appréciations en tant que critères pour définir le bien-fondé de l’implantation d’une usine. Le problème dans ce dossier est que les gens qui l’ont géré ne comprennent pas ce qu’est une politique industrielle. Une politique industrielle nécessite trois éléments: des terrains, une énergie bon marché et un écosystème qui produit des gens qu’on peut mettre dans ces entreprises. Tout en sachant que chaque activité industrielle va avoir un impact sur l’environnement.

Ensuite, ce n’est pas comme si 25 projets étaient en lice pour venir au Luxembourg. Tous ceux qui sont venus résultent d’opportunités. Les autres viendront aussi par opportunité. Cela ne veut pas dire qu’on doit tout prendre, mais on doit plus prendre que ne pas prendre, comme c’est le cas maintenant pour des raisons de politisation de l’administration de l’environnement. Nous avions le CSV-Staat, nous avons le ‘Déi Gréng-Staat’, avec une sorte de prosélytisme éclairé par des convictions très fortes. Je comprends leurs objectifs, mais le cheminement pour y parvenir doit pouvoir être discuté. Ces écologistes purs et durs me rappellent les communistes du début du 20e siècle.

Ces derniers ont fini par accepter le monde comme il était. Je ne désespère pas que les écologistes luxembourgeois aient leur propre Bad Godesberg (en référence au congrès du Parti social-démocrate allemand organisé le 13 novembre 1959 dans cette ville sur le Rhin, où le renoncement au marxisme a été prononcé et le ralliement à l’économie de marché acté, ndlr). En outre, la vision industrielle dont nous devrions nous doter pour le pays devrait comprendre les territoires en dehors de nos frontières, à nouveau le Grand Luxembourg. Là aussi, ce sont des idées que nous avons lancées il y a deux ans. Pourquoi le Luxembourg ne pourrait-il pas acheter des terrains en dehors du pays pour y construire de nouveaux projets industriels?

Ce qui vous fait dire que la politique vit toujours dans un vase clos?

«Pas forcément. On peut le dire d’une autre façon en considérant que toutes les discussions entre politiques, syndicats et patronat – un peu moins pour ce dernier maintenant – sont des discussions qui sont menées entre Luxembourgeois. À un moment, nous devrons ouvrir et intégrer toutes les forces vives de la société pour qu’elles puissent être associées au fonctionnement du pays. Je pense aussi à la fonction publique. Chaque haut fonctionnaire est Luxembourgeois. Or, nous avons un manque criant de ressources au sein de la haute administration.

C’est un vœu pieux?

«Ça prendra du temps, mais c’est le dernier bastion qui sautera, avec celui du foncier.

Pourquoi est-ce que le changement ne se produit pas dans la fonction publique?

«Il ne faut pas pointer la fonction publique. Il faut aller vers ses représentants – syndicaux notamment – avec considération pour dialoguer sur cette problématique.

La crise a-t-elle ramené l’importance de l’économie sur le devant de la scène pour que l’État social puisse continuer à être généreux?

«On ne comprend vraiment cette importance que lorsque les recettes viennent à baisser. Tout le monde s’est rendu compte que c’était très fragile. Au-delà de la crise, pour préserver notre train de vie, nous devrons continuer à nous améliorer. C’est dur d’imaginer, après 25 ans de succès, que les pays voisins puissent vous rattraper. Ce qui est le cas. Nous étions bons, ils étaient en mauvaise posture. Nous allons à présent devoir être très bons.

Sur quoi faut-il travailler pour être très bons?

«Nous devrons travailler sur la sécurité juridique – avec comme corollaire la stabilité législative et politique – et ce qui est probablement le plus important: le dialogue avec l’administré. Je prends à nouveau l’exemple de Fage: ce n’était pas un dialogue professionnel entre le porteur de projet et l’administration. Nous devrons développer la notion de service de l’administration à l’égard des administrés pour être capables de rendre des décisions claires et compréhensibles.

C’est avant tout un état d’esprit?

«Ce que je demande ne nécessite pas d’investissement. Vous recevez un e-mail, vous répondez. Une réunion est organisée, son compte rendu est rédigé à temps. Malgré le fait que les fonctionnaires travaillent beaucoup, il manque une forme de rigueur professionnelle pour tenir des engagements. Je travaille depuis plus de 20 ans dans l’industrie des fonds d’investissement. Nous tous, dans ce secteur, avons énormément appris en côtoyant des acteurs internationaux. Croyez-moi, quand vous servez des acteurs comme BlackRock, J.P. Morgan ou Blackstone, la rigueur professionnelle, vous l’apprenez très vite ou…

Pourquoi le secteur privé serait-il plus enclin à développer ce professionnalisme?

«Nous le développons non pas parce que nous sommes meilleurs, mais parce que nous avons peur de perdre le client. Si nous perdons un client, il va chez un concurrent. Si une entreprise part ou décide de ne pas s’établir ici, elle va dans un autre pays avec une sanction pour la collectivité. Comment résoudre cela? Avec du leadership politique qui doit considérer que ‘rien n’est acquis’.

Ceux qui ont de fortes convictions sont aussi souvent ceux qui ont le plus de courage politique.
Nicolas Buck

Nicolas BuckCEOSeqvoia

On peut influencer des ministres qui ont de fortes convictions politiques?

«D’abord, je n’avais pas d’autre choix que de m’entendre avec les ministres en charge des dossiers qui concernent l’UEL. Dans le cas contraire, j’aurais été perçu comme un poids pour le patronat. Pour le reste, celui qui n’a pas de fortes convictions se laissera influencer par tout le monde et ne prendra jamais de décisions. Le plus efficace est celui qui a de très fortes convictions, car il pourra plus facilement discerner parmi les propositions qui lui sont formulées celles qui peuvent contribuer à la prise de décision politique. Ceux qui ont de fortes convictions sont aussi souvent ceux qui ont le plus de courage politique.

Qu’est-ce que cette présidence de l’UEL vous a permis d’apprendre sur vous-même?

«Moins de certitudes, mais autant de convictions.

C’est-à-dire?

«Ce n’est jamais blanc, ce n’est jamais noir, c’est beaucoup plus subtil. L’économie c’est tout, mais ce n’est pas tout. Si, j’ai aussi eu une confirmation: plus vous vous engagez dans un travail, plus vous allez gagner en influence, à condition d’être bien entouré, de bien vous préparer. Je tire mon chapeau à l’UEL, j’avais les meilleurs conseillers.

Vous pensez avoir secoué le cocotier dans le bon sens?

«Mon objectif n’était pas de secouer le cocotier, mais bien de faire entendre la voix des entreprises. Je voulais que le grand public s’intéresse à ce que nous mettions comme sujets sur la table. Mon souhait de parler à la presse allait dans ce sens, pour ne pas limiter le débat à un public d’initiés en adoptant un langage que les gens comprennent. Certains disaient sans filtre, moi je dirais plutôt clairement.

Qu’est-ce qui vous a permis d’avoir cette facilité de contact?

«J’ai commencé le foot à 10 ans dans un club qui n’existe plus aujourd’hui, le Spora. Le foot m’a permis de jouer dans tous les clubs du pays et donc de rencontrer des gens du Sud dans les équipes nationales des jeunes. Celui qui aura joué à Rumelange ou Lasauvage comprendra ce que je veux dire. Le ministre du Travail, , vient du Sud, tous les syndicalistes aussi. Je connaissais bien leur mentalité et le besoin de respect – qu’ils méritent – quand ils traitent avec quelqu’un ‘de la ville’. J’aime, dans cette mentalité, le fait qu’ils se disent et disent les choses clairement. Un état d’esprit que j’avais connu aussi avec mon expérience dans l’artisanat avec notre ancienne imprimerie familiale.

À quoi souhaitez-vous désormais consacrer votre influence?

«C’est fini, j’ai donné, j’ai été au bout du cheminement dans les cercles patronaux. Après la période 2000-2012 durant laquelle je me suis consacré au fort développement de Victor Buck Services puis l’investissement dans le patronat qui se termine, je veux désormais retourner à l’environnement de l’entreprise. Ce qui constitue un objectif passionnant pour le dernier chapitre de ma vie professionnelle sur le sujet phare de demain: la donnée et sa gestion au sein de l’entreprise.

Nicolas Buck obtient la 3e place du classement du Paperjam Top 100 2020, présenté dans le numéro de janvier 2021 du magazine Paperjam, en kiosque à partir du 17 décembre.

Ce que dit le jury de Nicolas Buck

C’est l’entrepreneur par excellence. Avec un grand ‘E’. Il avance tellement vite qu’on se demande parfois s’il arrive lui-même à suivre.
Jury du Paperjam Top 100 

Jury du Paperjam Top 100 

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