La double mention du Luxembourg dans le rapport «The State of European Tech 2021» est un cadeau empoisonné… puisque les chiffres qui permettent d’arriver à ces conclusions ne sont pas justes. (Photo: Shutterstock)

La double mention du Luxembourg dans le rapport «The State of European Tech 2021» est un cadeau empoisonné… puisque les chiffres qui permettent d’arriver à ces conclusions ne sont pas justes. (Photo: Shutterstock)

La double mention du Luxembourg dans le top 5 du «State of European Tech 2021», présenté comme un rapport de référence, est un cadeau empoisonné: les deux chiffres qui servent de base à ce classement sont complètement fantaisistes.

«Il était une fois, dans un charmant petit pays, coincé entre la France, l’Allemagne et la Belgique…»

Ça commencerait comme ça. Les plus avertis entendraient même, saison oblige, les clochettes du traîneau chargé de cadeaux du père Noël. Les enfants luxembourgeois de la tech auraient des étoiles dans les yeux et tourneraient en rond autour des sapins brillant de mille feux.

Ce serait l’histoire merveilleuse des start-up racontée par Atomico dans son conte de Noël intitulé «The State of European Tech 2021». Institution qui se veut de référence en Europe en matière d’innovation, le Conseil européen de l’innovation, sorte de marraine ou de fée de ces polissons en charge de réinventer le secteur financier, le commerce, l’industrie ou encore la santé, validerait les conclusions de cette étude largement saluée d’un coup de baguette magique.

Ce serait Noël.

Le Luxembourg compte 851 start-up pour un million d’habitants. Elles auraient reçu 978 dollars par habitant en 2021, selon l’extrait du State of European Tech 2021. (Source: State of European Tech 2021)

Le Luxembourg compte 851 start-up pour un million d’habitants. Elles auraient reçu 978 dollars par habitant en 2021, selon l’extrait du State of European Tech 2021. (Source: State of European Tech 2021)

Un chef de file à 107 millions ou à 14,4 millions?

Ce serait Noël, à moins qu’un sale gosse prenne sa calculatrice. Comment le Luxembourg pourrait-il se retrouver dans le top 5 des pays où les start-up ont attiré le plus l’attention des business angels, investisseurs et autres venture capitalists alors que le plus gros tour de table annoncé cette année, le 11 janvier, est celui de ? Comment les start-up auraient-elles été «arrosées» de 978 dollars par habitant? Comment auraient-elles pu engranger 236 millions de dollars depuis le début de l’année?

Dans son prestigieux conte de Noël – pardon, dans sa prestigieuse étude –, Atomico fait référence aux données, pour cette question, de Dealroom. Que nous avons contactée à deux reprises pour obtenir la totalité des données qui ont servi à établir ce chiffre et qui n’a pas rechigné à nous offrir gracieusement le meilleur abonnement pour les avoir.

Et là, badaboum. Le premier et plus gros deal de l’année au Luxembourg est celui de… Prytek. Prytek? , basé à Singapour et qui investit principalement dans des start-up russes, affirme leur profession de foi. La luxembourgeoise Prytek SCA a été mise en liquidation volontaire en mai dernier et sa «holding» luxembourgeoise, Prytek GP, suit le même chemin: il y a trois jours, ses parts ont été revendues à une holding chypriote dans un pacte d’actionnaires tenu secret. Autrement dit, bye bye Prytek, qui n’a jamais eu la moindre substance au Luxembourg. Ce deal n’a rien à voir avec les start-up du Luxembourg.

Les deux Russes n’ont pas disparu pour autant du pays, mais leur autre protégée luxembourgeoise, Global Fintech Solutions, n’a pas plus d’activité au Luxembourg et devrait suivre la voie de la première.

Après que nous ayons demandé à Dealroom de nous confirmer la dimension luxembourgeoise de ce deal, il a été retiré du total.

Une enveloppe réduite à 69 millions de dollars

À cet instant, il nous manque donc déjà 107 des 236 millions de dollars de ce qui aurait été la meilleure année de tous les temps pour les start-up luxembourgeoises. Peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut déjà dire beaucoup…

La deuxième levée de fonds la plus spectaculaire, , dont la spécialité est de racheter des «magasins virtuels d’Amazon» pour en multiplier le potentiel en baissant les coûts par des achats de gros. Rien non plus de luxembourgeois, pas plus que de start-up, pour cette entreprise immatriculée en début d’année et qui appartient au Brésilien Guilherme Steinbruch, .

Dans les 29 transactions retenues par Dealroom pour le Luxembourg et qui permettent d’arriver au total de 236 millions de dollars, signalons aussi les , le fonds d’investissement pour l’Afrique saharienne, certes soutenu par le ministère des Finances; 4 millions de dollars pour RDX donnés à cette société de service de tokénisation des investissements alternatifs basée à Bertrange (et non régulée au Luxembourg)  et six levées de fonds aux montants non définis (les Laboratoires Réunis, Telecom International, Tetrao, Clubee, Fineon Exchange et HQLAx). Manquent aussi quelques tickets, entre le love money et l’amorçage…

Encore une fois, Dealroom a reclassé Regmifa parmi les fonds et non les start-up et indique considérer que Factory14 est certes jeune au Luxembourg mais s’inscrit dans une tendance de fond. Quant à RDX, pas plus que nous, elle n’a d’autres informations. , introuvable dans la base de donnée des entités surveillées de la CSSF.

Si l’on retire ces 167 millions de dollars au total des 236 millions de dollars parce qu’elles n’ont rien à voir avec l’écosystème des start-up au Luxembourg, on parvient à la somme de 69 millions de dollars. Contre les 38,8 millions de dollars en 2020 sur 33 transactions que nous avons également vérifiées une par une, ce serait déjà une hausse de près de 100%. Et ça se comprend: lors des premiers confinements, les start-upper se sont retrouvés coupés de tout investisseur, ce qui était à l’époque un vrai sujet d’inquiétude et qui a coûté cher aux entrepreneurs luxembourgeois de la tech.

19e performance européenne seulement

Puisque la calculette était «chaude», nous avons abordé le sujet différemment. 236 millions de dollars permettent au Luxembourg d’être parmi les pays les mieux financés en Europe continentale avec, selon le State of European Tech 2021, 978 dollars investis dans une start-up par habitant. 236 millions. 978 dollars. Ça nous permet de connaître le nombre d’habitants du Luxembourg. 241.308, selon ce rapport de référence.

Les chiffres du Statec pour 2021 évoquent 634.730 habitants. À 236 millions de dollars, cela ferait 371 dollars par habitant. Mais à 69 millions de dollars, cela ne fait plus que 108,70 dollars, soit la 19e «performance» européenne.

À la lecture de cette remise à plat des chiffres, gageons que les enfants se seront endormis. Les parents de la famille luxembourgeoise des start-up devront sérieusement réfléchir à la question du financement de ces entrepreneurs prêts à prendre tous les risques pour que le Luxembourg ne soit pas «largué» dans la course à la digitalisation.

Un aussi beau sujet pour le dîner de Noël, à la veille d’une année électorale, que le Covid…