Nicolas Schmit évoquera ce jeudi ses priorités pour la poursuite de la  mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. Le sommet social de Porto, en mai, sera un autre moment important de cette ambition. (Photo: EU)

Nicolas Schmit évoquera ce jeudi ses priorités pour la poursuite de la  mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. Le sommet social de Porto, en mai, sera un autre moment important de cette ambition. (Photo: EU)

Ce jeudi, la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen aura un échange de vues avec le commissaire Nicolas Schmit au sujet du plan d’action pour la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, adopté mercredi par le collège des commissaires. 

L’Europe sera (aussi) sociale ou ne sera pas. C’est un peu le message que , alors président de la Commission européenne, fait passer quand le socle des droits sociaux est signé et proclamé en novembre 2017. Définissant 20 principes et droits essentiels devant contribuer au bon fonctionnement et à l’équité des marchés du travail, sa mise en œuvre a en partie commencé.

, commissaire européen aux Affaires sociales, veut maintenant accélérer et a proposé un plan de mise en œuvre adapté aux réalités actuelles. Il a été adopté ce mercredi par le collège des commissaires et figurait à l’ordre du jour de la commission de l’emploi et des affaires sociales ce jeudi à Bruxelles. Le commissaire espère ensuite donner tous les détails de ses ambitions lors du sommet social de Porto, au mois de mai.

Peut-on dire «enfin» au sujet de la mise en œuvre du socle des droits sociaux européens, proposé en 2017, et validé par vos collègues commissaires européens ce mercredi?

Nicolas Schmit. – «Pas tout à fait, car la mise en pratique a déjà commencé. Et je dois être juste et indiquer que cette mise en œuvre avait même déjà un peu débuté sous la précédente commission, avec notamment la directive sur les conditions de travail transparentes et prévisibles. Ici, ce qui se passe est l’annonce d’une mise en œuvre la plus large possible et sur les 10 ans à venir. La volonté est d’avoir aussi un regard plus prospectif sur comment l’Europe sociale devra se construire. 

C’est donc surtout une accélération?

«Oui, mais cela reste aussi un ‘chantier en cours’. 

Vous êtes quelque part l’héritier de ce socle européen des droits sociaux proclamé lors du sommet de Göteborg, en novembre 2017. C’est tout de même un dossier de taille. Comment l’appréhende-t-on?

«C’est un héritage, oui, mais tout de même un héritage assez heureux. C’est en effet Jean-Claude Juncker qui l’a lancé et je lui tire mon chapeau, car, moi-même, j’étais un peu sceptique au début, je me disais que c’était encore juste une nouvelle déclaration. En réalité, cela nous a donné un véritable appui pour promouvoir l’Europe sociale.

Est-ce une pièce importante pour la continuation de la construction européenne ou son renforcement?

«J’ai reçu les chiffres d’un récent Eurobaromètre. On nous a toujours dit que le social était du ressort des États membres, que l’Europe n’avait pas grand-chose à y voir.

Mais là, je remarque que plus de 80% des Européens ont des attentes fortes à l’égard de l’Europe en matière sociale, que la protection sociale soit mieux garantie grâce à l’Europe – dont 85% des Luxembourgeois qui souhaitent que les conditions de travail s’améliorent…

Mon but est, grâce à ce socle et ce plan d’action, mais aussi à un débat qui devra se poursuivre, que l’Europe prenne sa part de responsabilité, montre que le social fait partie intégrante de son projet et apporte des réponses en cette période de crise, plus encore que lors des crises précédentes. Les droits sociaux, c’est une évidence, font partie intégrante du projet européen.

Pour pouvoir continuer à construire le modèle social européen, on doit travailler à la convergence des systèmes, et à une convergence vers le haut.
Nicolas Schmit

Nicolas Schmitcommissaire européen aux Affaires sociales

Mais dans ce même Eurobaromètre, on découvre aussi que les Européens connaissent mal ou peu le socle européen des droits sociaux…

«Il y a sans doute besoin de plus informer. Mais il ne faut pas se tromper: l’Europe ne va pas se substituer aux États membres dans le domaine social. La sécurité sociale luxembourgeoise va rester luxembourgeoise. Mais pour pouvoir continuer à construire le modèle social européen, on doit travailler à la convergence des systèmes, et à une convergence vers le haut.

Il faut donc réduire les écarts?

«On ne peut plus les tolérer. Le salaire minimum en est un exemple, on en est à un écart de 1 à 7, entre le Luxembourg, où il y a le plus élevé, et un pays comme la Bulgarie. Il faut travailler sur la convergence sociale comme on travaille sur la convergence économique, les deux sont d’ailleurs liées. 

La subtilité est donc de trouver des solutions propres à chaque chapitre du socle, et pour chaque pays?

«Il faut la bonne réponse à chaque question qui se pose.

Quelles sont les priorités qui vont être mises en œuvre, le socle en comptant 20?

«Outre ce qui a déjà été engagé, on a aussi travaillé sur deux grands sujets, le troisième est en cours et le quatrième se profile. Le premier a trait à la formation, sur lequel on était déjà très focalisés avant la pandémie. Nos économies sont en pleine mutation, notamment avec la révolution verte, la réduction des émissions de gaz à effet de serre… C’est très ambitieux et cela implique de beaucoup investir dans la formation, la requalification des personnes. Même chose avec le digital, qui demande aussi que l’on investisse. Second élément: la nécessité de travailler sur la convergence sociale notamment au niveau des salaires. Il y avait une demande forte d’un cadre pour le salaire minimal en Europe. Des pays ont un salaire minimum, d’autres appliquent des conventions collectives. On a donc créé une directive mêlant le cadre d’un salaire social minimum, mais aussi des incitants pour renforcer la négociation de conventions collectives. 

C’est une révolution?

«Oui, car rappelez-vous, lors de la dernière crise, le débat était de savoir comment on pouvait faire pour baisser les salaires, notamment le salaire social minimum, ce qui a d’ailleurs été fait dans quelques pays. 

Quelle est la troisième priorité?

«Les conditions de travail au sens large. Aussi bien pour les anciennes formes que les nouvelles. Par exemple: comment peut-on garantir à ceux qui travaillent pour une plateforme comme Uber les mêmes droits sociaux, la même protection sociale, la même protection légale, que tous les autres travailleurs? C’est un très vaste dossier que j’ai lancé la semaine passée avec Mme Vestager via une consultation des partenaires sociaux. Mais les conditions de travail, c’est plus large, car cela touche aussi à la sécurité et à la santé.

L’égalité salariale entre les hommes et les femmes est inscrite dans le Traité de Rome. On a donc un peu de retard.
Nicolas Schmit

Nicolas Schmitcommissaire européen aux Affaires sociales

Cela, c’est aussi un très ancien dossier européen…

«L’Europe s’est beaucoup occupée de ces deux points. L’exposition aux substances dangereuses est un exemple, mais il y a aussi l’équilibre vie professionnelle et vie privée. Un autre grand dossier est l’égalité entre hommes et femmes, avec notamment la transparence des salaires, qu’on traîne depuis des décennies. L’écart en Europe est de 16% alors que l’égalité est déjà inscrite dans le Traité de Rome, on a donc un peu de retard. Une directive concernera donc la transparence des salaires.

La garantie pour les enfants vous tient particulièrement à cœur…

«Un enfant sur cinq est soumis au risque de pauvreté en Europe! Et doit, avec toutes les difficultés pour se construire, acquérir des connaissances… Cette garantie, qui sera mise en œuvre, par les États, doit les aider, notamment au niveau financier. Ce qui permettra par exemple d’offrir la gratuité de services qui ne sont pour le moment même pas assurés. 

Le chômage des jeunes est aussi un vrai défi?

«Évidemment, et il faut là aussi penser en termes de requalification ou de formation. Il y a des secteurs demandeurs de talents, mais on ne les trouve pas. Le numérique jouera un rôle essentiel à ce niveau, et l’Europe doit y veiller.

Mais la balle n’est-elle pas aussi dans le camp des entreprises?

«Si, et avec le commissaire Thierry Breton, nous avons lancé le pacte sur les compétences, c’est-à-dire mettre Europe, industriels, États membres, syndicats, partenaires sociaux… ensemble pour se demander comment aborder en commun ce défi de la formation. Pour une fois, l’Europe dispose de fonds considérables avec un fonds social de 86 milliards sur sept ans. Mais aussi le fonds de relance et de résilience de 750 milliards, et dont une partie peut être utilisée pour mieux qualifier et requalifier les personnes.

La formation est importante, mais ce n’est pas tout…

«Il faut des formations orientées vers les emplois. Et donc, engager des entreprises à donner des possibilités, même en cette période difficile, à engager des jeunes et à leur donner des perspectives, donc un emploi, payé et stable. Il y a aussi un aspect précarisation du travail qu’il ne faut pas perdre de vue non plus.

Cette crise est dangereuse pour la santé des personnes âgées, et très dangereuse pour l’emploi des jeunes. Nous devons leur donner des perspectives.
Nicolas Schmit

Nicolas Schmitcommissaire européen aux Affaires sociales

La crise du Covid a-t-elle eu un impact sur cette mise en œuvre des droits sociaux? A-t-elle modifié vos plans?

«La crise a avant tout montré l’importance d’une action publique forte. Cette théorie de tout laisser aux mécanismes du marché nous aurait conduits dans une impasse totale. Il faut des services publics forts, efficaces… Et investir dedans. Tout cela donne encore une autre valeur au socle des droits sociaux. Ensuite, cette crise est aussi en partie sociale, car elle ne frappe pas de façon égale, et a des conséquences asymétriques sur les pays et sur les gens. Elle est dangereuse d’un point de vue santé pour les personnes âgées et très dangereuse d’un point de vue emploi, notamment pour les jeunes. Il faut donc agir sur les deux plans: la vaccination d’une part, et donner une perspective aux jeunes d’autre part.

La crise a aussi remis en valeur l’importance de l’Europe?

«Plus que jamais, il est devenu évident que si le marché intérieur se bloque, c’est un danger pour toutes les économies européennes. Il y a eu en effet une prise conscience que la seule voie pour sortir de cette crise était la voie de la solidarité européenne. On a aussi compris que l’Europe était aussi très dépendante pour certaines choses. On travaille donc sur le renforcement des capacités industrielles en Europe. 

Et là, on rejoint à nouveau la nécessité de formation…

«Car si on veut produire davantage, aller vers des productions de pointe, on a besoin d’experts, de personnes bien formées… Il faut donc investir dans cela. Il y a une remise en question de la mondialisation et l’Europe ne peut pas rester à l’écart, et on doit donc augmenter nos capacités de production dans certains secteurs-clés. Le lien avec les compétences est évident, comme avec le numérique. 

L’Europe a été à la hauteur?

«On aime voir quand l’Europe ne l’est pas, mais je crois que là, elle a été assez à la hauteur. Les reproches ne devraient d’ailleurs pas s’adresser à l’Europe, mais aux États membres. Ce n’est pas l’Europe qui ferme les frontières, mais les États membres. Il faut être de bon compte: la réaction et l’action européennes ont été plus que satisfaisantes.