Jean Linden a cédé sa production au domaine Schumacher-Knepper. Un mariage d’entreprises. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Jean Linden a cédé sa production au domaine Schumacher-Knepper. Un mariage d’entreprises. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Transmission, gestion quotidienne… Cet été, Paperjam vous emmène dans les coulisses d’entreprises familiales luxembourgeoises. La dixième génération n’a pu se résoudre à laisser le domaine Schumacher-Knepper, auquel elle a apporté sa touche de modernité.

307 années ont passé depuis que la première cave du domaine Schumacher-Knepper, toujours utilisée, a été construite à Schengen. C’est pourtant depuis une salle de dégustation neuve et lumineuse, à deux pas des vignes et des tonneaux de vin, que Martine Herrmann-Schumacher et son frère Frank Schumacher racontent l’histoire de l’entreprise familiale, qu’ils dirigent depuis 2003.

«Un de nos ancêtres, qui s’appelait Körig, s’est installé ici en 1714. Sa petite-fille s’est mariée à un Schumacher, Valentin, puis les générations se sont enchaînées de père en fils. Je suis la première qui coupe la tradition», résume la sœur de 50 ans, qui représente, avec son frère de sept ans son cadet, la dixième génération. Au moment où démarraient les ventes en bouteille, «notre grand-père a décidé de rester avec une seule marque, pour ne pas avoir à changer de successeur en successeur. Ce n’est pas bon vis-à-vis de la clientèle. Il a ajouté le nom de sa mère, Knepper, parce qu’il y a d’autres Schumacher en Moselle.»

Heureusement, car sans cette empreinte, il y aurait de quoi s’emmêler les pinceaux, rient-ils. En épousant un Herrmann, Martine Schumacher a pris le nom de famille de son mari magistrat, alors que son frère Frank s’est marié… à une Martine, professeure d’allemand, lui donnant, à elle aussi, le nom de famille Schumacher.

Un mariage qui a mené à un autre. Le domaine Schumacher-Knepper a repris, en 2020, au père de Martine, le domaine Jean Linden-Heinisch. Soit six hectares de vignes venus s’ajouter aux 11 que possédait déjà l’entreprise familiale. Le montant de la transaction n’est pas précisé.

Un vent de modernité

Cet agrandissement n’est pas la seule note qu’est venue apporter la dixième génération. «Nous avons fait un pas vers le client.» Martine et Frank ont mis en place un site de vente en ligne et un espace de dégustation. «Avant, il fallait sonner, il n’y avait même pas de panneau.» Côté produits, «nous avons augmenté la production de vin rouge».

Pourtant, plus jeunes, le frère et la sœur n’avaient pas manifesté l’envie de reprendre. «Notre père voulait nous laisser le choix», explique Martine Herrmann-Schumacher. Un choix qu’à l’époque, on ne lui avait pas laissé. «Lui voulait devenir instituteur. Mais de son temps, l’aîné reprenait le domaine.» Il y a finalement travaillé avec son frère. «Après, il était content. Mais ce n’est pas marrant de ne pas avoir sa liberté», relativise Frank Schumacher.

Lui voulait devenir instituteur. Mais de son temps, l’aîné reprenait le domaine.
Martine Herrmann-Schumacher

Martine Herrmann-Schumachercopropriétairedomaine Schumacher-Knepper

Un besoin d’indépendance

Frank Schumacher vient de passer son bac et sa sœur travaille depuis deux ans quand leur père les interroge: vendre le domaine ou le leur transmettre? «À ce moment, tu remarques que c’est ton héritage, pas financier, mais familial, qui se perd», justifie Martine Herrmann-Schumacher. Elle venait justement d’être promue directrice d’une association paraétatique. «Il y avait quand même quelqu’un au-dessus de moi, il fallait demander pour acheter une imprimante. Il me manquait cette indépendance que l’on trouve dans une entreprise familiale. Si une machine cassait, mon père la remplaçait.»

La peur de perdre ce domaine, dans lequel il se souvient avoir roulé sur les genoux de son père en tracteur et goûté, à six ans, les premiers jus du pressoir, pousse Frank Schumacher à prendre la même décision. «Jusqu’ici, je voulais faire, je ne sais pas, de la médecine», dit-il avec nonchalance. L’offre de formation pour le métier de vigneron le remotive. «J’ai vu qu’il y avait une grande diversité, un jour on travaille dehors, un autre dans la cave, avec les clients, sur les réseaux sociaux…»

Leur sœur aînée avait, quant à elle, déjà choisi sa voie dans le secteur bancaire.

Il me manquait cette indépendance que l’on trouve dans une entreprise familiale. Si une machine cassait, mon père la remplaçait.
Martine Herrmann-Schumacher

Martine Herrmann-Schumachercopropriétairedomaine Schumacher-Knepper

Une fois la décision actée, Martine Herrmann-Schumacher travaille cinq ans au domaine avec son père. Son frère la rejoint après ses études d’œnologie en Allemagne, en 2002. Ils rachètent ensuite, avec leur père, les parts de leur oncle pour reprendre officiellement un an plus tard. Frank s’occupe plutôt de la production et Martine de la comptabilité et des ventes. Ils se partagent, à 50% chacun, l’actionnariat et emploient cinq salariés. Le chiffre d’affaires, non communiqué, «dépend des années».

Distinguer l’actionnariat et la gestion

La prochaine génération semble se décider plus rapidement. «Mon fils de 16 ans aimerait faire ses études en Espagne, dans la viticulture», dévoile Martine Herrmann-Schumacher. L’aîné, âgé de 18 ans, vise plutôt un poste d’ingénieur. «Nous avons, nous aussi, décidé de ne pas les influencer.» Les deux garçons de Frank Schumacher, de quatre et sept ans, cultivent le mystère. «Le plus jeune aime rouler dans le tracteur, c’est tout», sourit-il.

S’ils admettent qu’une continuation familiale leur plairait, ils ne s’opposent pas à un autre modèle. «Avant, les domaines étaient mixtes, ils faisaient aussi de l’agriculture. Au fil des années, ils se sont spécialisés dans le vin. Chez nous, les dernières vaches sont parties en 1966. Nos parents y habitaient, alors que mon frère et moi avons refusé d’y vivre», détaille Martine Herrmann-Schumacher. Laissant la possibilité, si besoin, de «distinguer gestion et propriété».