Sur le chantier de Rout Lëns, les terres rouges réapparaissent. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Sur le chantier de Rout Lëns, les terres rouges réapparaissent. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Dans le cadre de nos séries d’été, paperjam.lu vous propose de découvrir les chantiers emblématiques à travers le pays. Aujourd’hui, partons à Esch-sur-Alzette à la découverte du chantier Rout Lëns qui deviendra un nouveau quartier urbain durable.

C’est tout un nouveau quartier qui est en train d’être construit par le développeur Iko Real Estate sur l’ancienne friche sidérurgique Rout Lëns (Lentille rouge) à Esch-sur-Alzette. À terme, autour de 2035, ce terrain de 10,5 hectares accueillera 3.000 nouveaux habitants (1.400 logements) et ce qui était autrefois un site industriel dédié à la sidérurgie sera devenu un nouveau quartier urbain durable. Afin de perpétuer l’histoire du site, cinq bâtiments historiques sont conservés et vont être restaurés pour accueillir une nouvelle fonction. Autour de ces marqueurs de mémoire vont être construits des rues, des places, des espaces verts, des bâtiments de bureaux, des résidences collectives, des commerces, des restaurants, des lieux d’art conçus et développés dans la perspective d’un urbanisme durable, carbone neutre, répondant aux enjeux liés au réchauffement climatique, à la qualité de vie, à la préservation des ressources, et à l’intégration des nouvelles technologies. Mais, avant cela, il faut préparer le terrain, et le chantier d’assainissement a débuté mi-mai 2020.


Lire aussi


Traiter le terrain

Actuellement, le site est en remédiation, 95% des démolitions sont achevées et les excavations sont en cours. «Tout le site a été construit sur un vaste remblai qui est aujourd’hui pollué par l’ancienne activité industrielle. Nous sommes donc occupés en ce moment à retirer les éléments pollués pour pouvoir repartir sur une base saine. Aujourd’hui le site est assaini à environ 66%, et il est prévu que cette étape soit finie pour la fin de l’année», explique Sandra Huber, responsable du projet chez Iko. «Dans les excavations, on retrouve les fameuses terres rouges qui ont donné leur nom à cette région. Ce travail permet de retrouver le niveau du terrain naturel, d’enlever le remblai qui a été créé il y a 150 ans pour créer ce site industriel. On met à jour aussi les anciens canaux de refroidissement nécessaires au fonctionnement du haut-fourneau.»

Grâce à l’expertise et au savoir-faire des entreprises Lingenheld Environnement et Microhumus, une expérimentation est menée sur la réhabilitation des sols et leur réemploi. Les sols de la partie française du site, là où il n’y avait pas d’activité sidérurgique, subissent un traitement spécifique pour voir si de l’«urban farming» y est possible.  «Quand nous sommes arrivés ici, la terre était complètement morte, l’herbe n’y poussait même plus», confie Sandra Huber. En mars dernier, des échantillons de terre ont été prélevés pour y appliquer un processus de régénération. «Cette terre est régulièrement analysée afin de connaître son niveau de pollution. Dès à présent, nous avons atteint un niveau suffisant pour pouvoir y réaliser des plantations», dévoile la chef de projet. À l’avenir, l’activité d’«urban farming» sera confiée au collectif Merci Raymond, avec une parcelle de 6.000m2 à cultiver en permaculture, ce qui devrait permettre de nourrir une centaine de foyer.

Un chantier en économie circulaire

En plus de la terre, le chantier présente de grands volumes d’anciens bétons et d’éléments métalliques. Mais comment traiter ces déchets de chantier tout en respectant une démarche de projet durable, privilégiant l’économie circulaire et les circuits courts? Pour ces deux matériaux précisément, des solutions sont trouvées: «Les anciennes fondations en béton sont concassées et, plutôt que de les évacuer dans des décharges, nous relevons le défi de les réutiliser sur le site, en sous-couche pour la voirie», annonce Sandra Huber. Par chance, le terrain est suffisamment vaste pour stocker de grands volumes sur place sans avoir besoin de les transporter.

Le béton concassé servira pour les sous-couches de voirie. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Le béton concassé servira pour les sous-couches de voirie. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour les éléments métalliques, un accord a été trouvé avec ArcelorMittal qui récupère ces déchets pour les fondre et les remettre dans le circuit.

Ce qui ne peut être réutilisé est finalement évacué vers une décharge qui n’est pas en Belgique, en France ou en Allemagne, mais bien au Luxembourg, à Differdange. 

Jusqu’à présent, 140.000m 3  ont été excavés.   (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Jusqu’à présent, 140.000m 3  ont été excavés.  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Le lien avec l’histoire

 «Le site n’est pas soumis aux fouilles préventives car il a été trop manipulé précédemment», explique Sandra Huber. Par contre, un important travail sur la mémoire industrielle est fait avec l’aide de l’historien Thomas Lutgen, en collaboration avec le Service des sites et monuments nationaux.

«Il faut savoir que de nombreuses démolitions ont déjà eu lieu au moment de la cessation d’activité. Quand nous avons pris le site en charge, il ne restait pas grand-chose des anciens bâtiments industriels. La plupart des démolitions avaient déjà eu lieu avant nos interventions, sans mener de réflexion en amont sur la conservation de ce patrimoine. À présent, nous essayons de mieux comprendre l’histoire de ce site qui est très mal documenté. Cela prend du temps, mais c’est important pour nous que les futurs habitants du site puissent connaître l’histoire de leur quartier et que cela soit fait avec toute la rigueur scientifique nécessaire», affirme Sandra Huber.

Parmi les grands vestiges, il y a les portiques de la Mollereï qui doivent encore faire l’objet d’interventions au printemps 2022 pour retirer le plomb et l’amiante. Un budget de 1,5 million est d’ores et déjà prévu pour cette action. Le magasin TT va devenir, dans les mois à venir, la maison du projet. Avant cela, il faudra réconforter certaines parties du bâtiment et y apporter des aménagements pour que le public puisse y accéder en toute sécurité. «Pour ce bâtiment, nous allons restituer le plus possible les éléments d’origine, comme les pavés en bois qui servaient autrefois à recouvrir le sol et absorber les huiles des engins.» Par la suite, la Halle des turbines, la Halle des soufflantes et le poste d’aiguillage feront aussi l’objet d’interventions en vue de leur réhabilitation.

Un travail sur les biotopes

Également, dans une démarche de préservation et de respect de l’environnement, un important travail a été réalisé sur les biotopes. «Avant le lancement des travaux, nous avons réalisé, avec l’aide d’étudiants, un recensement exhaustif de toutes les espèces présentes sur le site. Une zone de compensation a été mise en place, et les espèces ont été déplacées. Une fois que les aménagements seront finalisés, de nouvelles conditions d’habitat sur site seront recréées, et les biotopes trouvés sur place seront réintroduits, dont des orchidées pyramidales.»

Tout ceci est fait selon une démarche volontaire. «Nous aurions pu nous contenter de payer l’amende de compensation, mais cela ne correspond pas à la démarche du projet. Certes, cette démarche coûte plus cher que de simplement suivre le règlement, mais elle a beaucoup plus de sens que de simplement payer la compensation», affirme Sandra Huber.

L’eau est également au cœur des réflexions. Un travail sur l’utilisation des eaux grises est en cours, en vue d’une intégration dans le projet.

En juillet, la partie centrale reste encore à assainir. La dernière étape sera les interventions sur les vestiges industriels qui sont des éléments plus sensibles et qui requièrent donc un environnement stabilisé avant de pouvoir intervenir dessus.

À partir de 2022, les travaux de viabilisation du site démarreront, avec la mise en place des réseaux, de la voirie provisoire et, par la suite, la construction des premiers immeubles. Cette phase de viabilisation va durer environ 9 à 12 mois. Dans une perspective un peu plus lointaine, les premiers logements seront livrés en 2025-2026.