Pour Didier Borowski, le couple croissance-inflation est en train de changer de nature. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour Didier Borowski, le couple croissance-inflation est en train de changer de nature. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour Didier Borowski, l’affaiblissement inévitable de la croissance mondiale menace directement les profits des entreprises. Inévitablement, le rendement du capital sera moindre dans les mois qui viennent.

Didier Borowski est Head of Macro Policy Research au sein de l’Amundi Institute. Créé en février dernier, cet institut veut renforcer le conseil, la formation et le dialogue continu des clients d’Amundi – distributeurs, institutionnels et entreprises – sur les évolutions des marchés, indépendamment des encours qu’Amundi gère ou non pour leur compte.

Cette nouvelle division regroupe notamment ses activités de recherche économique et quantitative, de stratégie de marché et de conseil en allocation d’actifs.

Comment voyez-vous évoluer les marchés dans les mois qui viennent?

Didier Borowski. – «Le scénario actuel est un scénario d’affaiblissement de la croissance mondiale assez net. En Europe – Royaume-Uni compris – cette récession est là et menace d’être très sévère dans certains pays, car aggravée par la crise énergétique. Aux États-Unis, un net ralentissement de la croissance se profile aussi. Pour 2023, le risque d’une récession y oscille entre 30% et 40%. Ce qui est très significatif. Et la croissance chinoise, freinée par la correction du marché immobilier et la politique zéro covid – qui ne sera vraisemblablement pas abandonnée de sitôt – restera molle en comparaison de ses performances passées, aux alentours de 4,4%.

En définitive, le ralentissement de la croissance touche les pays avancés comme les pays émergents et on anticipe une croissance mondiale de l’ordre de 2,2% l’an prochain. Soit un demi-point en deçà des dernières prévisions du FMI et très faible au regard des dernières décennies! Cela porte en germe un vrai risque de récession des marges et des profits des entreprises.

Jusqu’à présent, la bonne résilience des marges des entreprises reposait sur le ‘pricing power’ de ces dernières, soutenue par les tensions post-covid et l’excédent d’épargne qui a permis aux entreprises de répercuter la hausse de leurs coûts sur le consommateur final. Plus on va rentrer dans l’hiver, plus on va s’apercevoir que les revenus réels des ménages baissent, que l’épargne accumulée s’érode et que donc le pouvoir d’achat va diminuer, ce qui va diminuer le ‘pricing power’ des entreprises.

Dans cet environnement, un ajustement des anticipations des marges des entreprises nous semble inévitable.

Cette récession qui pointe aura-t-elle le mérite de faire baisser l’inflation?

«Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que dans un choc stagflationniste tel que nous le vivons, c’est l’inflation qui pèse sur la croissance que ce soit directement ou indirectement en raison du durcissement monétaire opéré par les banques centrales pour endiguer la hausse des prix. Dans ce type de configuration, les petites récessions que l’on anticipe ne vont pas être suffisantes pour juguler les pressions sur les prix. L’inflation va rester très élevée l’année prochaine et ne reviendra que très lentement dans les cibles des banques centrales. Qui ne pourront dès lors plus se montrer accommodante pour accompagner la récession.

Les banques centrales peuvent certes ralentir le rythme de la hausse de leurs taux directeurs, mais elles resteront déterminées à ne pas se montrer accommodantes.
Didier Borowski

Didier BorowskiHead of global viewsAmundi Institute

Nous ne sommes pas dans le scénario classique où la récession s’accompagne d’un assouplissement monétaire. C’est le contraire: la récession vient de l’inflation et les banques centrales n’ont pas fini de monter leurs taux. C’est ce qu’elles disent dans leur communication monétaire.

Les marchés anticipent pourtant un assouplissement des politiques monétaires. Ont-ils tort?

«Il y a sur ce sujet une réelle incompréhension de la part des investisseurs. Les banques centrales peuvent certes ralentir le rythme de la hausse de leurs taux directeurs, mais elles resteront déterminées à ne pas se montrer accommodantes.

Le risque aujourd’hui, c’est que les banques centrales en fassent trop, qu’elles aillent trop loin dans le resserrement après avoir été trop loin dans l’assouplissement monétaire. Une surréaction de la Fed pèserait inévitablement sur la conjoncture européenne.

Justement, les augmentations successives des taux, banques centrales après banques centrales, donnent l’impression qu’elles se courent après plus qu’elles ne se coordonnent. Coordonner la politique de resserrement ne serait pas la solution pour limiter les risques de surréaction?

«Je pense que les banquiers centraux se parlent à défaut de se coordonner explicitement. Il est important pour les banques centrales de prendre en compte l’effet des durcissements monétaires opérés dans le reste du monde. S’il n’y a pas de coordination explicite, il y a une coordination de facto parce que chacune des banques centrales voit bien que ses consœurs sont en train de remonter et qu’il lui faut prendre en considération dans son durcissement l’effet de bouclage mondial qui transite par le durcissement monétaire des autres pays.

Il faut bien comprendre que le couple croissance-inflation est en train de changer de nature. Nous entrons dans un régime de croissance potentielle affaibli par le vieillissement de la population et la diminution des gains de productivité et structurellement plus inflationniste, avec la transition énergétique et la re-régionalisation de certains segments de production.

Pour relancer la croissance, il faudrait privilégier des programmes d’investissements ambitieux – on pense notamment à la transition énergétique – ce qui nécessiterait une approche mieux coordonnée à l’échelle européenne, notamment du côté des politiques budgétaires.


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Dans l’actuel contexte de crise, d’incertitude et de volatilité, que conseillez-vous à vos clients?

«D’abord, nous les prévenons qu’en moyenne, la décennie qui vient, le rendement du capital sera plus faible.

Sur les marchés actions, la pression baissière sur les marges évoquée plus haut n’est pas (encore) reflétée dans les cours. Le récent rebond des bourses en Europe ne prend pas suffisamment en compte cela. De notre point de vue, le marché est assez complaisant sur l’évolution des marges bénéficiaires des entreprises, notamment en Europe, mais aussi dans une certaine mesure aux États-Unis. Les investisseurs doivent comprendre que les effets économiques de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique – que ce soit sur la croissance ou sur les profits des entreprises – ne se sont pas encore pleinement matérialisés.

Les investisseurs doivent donc rester très vigilants: il nous paraît prématuré de se positionner pour chercher à bénéficier d’une exposition très directionnelle des bourses. Il faut rester par ailleurs extrêmement sélectif car les entreprises naviguent en eaux inflationnistes avec des fortunes diverses.»