Sandrine Pingeon (Les Paniers de Sandrine), ici avec le chef Cyril Molard.  (Photo: Mike Zenari/Archives Maison Moderne)

Sandrine Pingeon (Les Paniers de Sandrine), ici avec le chef Cyril Molard.  (Photo: Mike Zenari/Archives Maison Moderne)

La crise du coronavirus a révélé les limites de notre système d’approvisionnement. Les consommateurs se tournent aujourd’hui de plus en plus vers les produits locaux. Les ressources du pays restent encore très insuffisantes dans certains domaines.

Après une heure de queue pour entrer dans un magasin, se retrouver face à des rayons vides a dû faire réfléchir plus d’une personne. La peur de manquer de nourriture a causé une ruée dans les grandes surfaces dès les premiers jours de la crise du Covid-19. Certains ont cherché une alternative chez des producteurs locaux comme Sandrine Pingeon, gérante des Paniers de Sandrine. Elle propose la vente à la ferme de produits frais (fromage, viande, etc.) ou la livraison de paniers de fruits et légumes. Elle complète sa production par celle de fournisseurs régionaux.

«Nous avons eu une réelle demande», constate-t-elle. D’abord de la part de ses clients habituels, «qui consomment plus avec les enfants à la maison». Mais aussi de nouveaux, qui ont fui les grandes surfaces bondées. «Au départ, nous avons essayé de proposer la vente en ligne», raconte-t-elle. La jeune femme est rapidement revenue sur ses pas et a même arrêté la livraison de paniers. «J’ai eu des demandes de partout, comme des piranhas qui se jetaient sur de la viande. Notre structure de sept salariés n’est pas adaptée.» La hausse des ventes au magasin compense la perte liée à l’arrêt de la livraison des paniers. Au total, elle compte 20% de clients en plus avec la crise. «Si j’avais continué les paniers, j’aurais doublé la clientèle. Mais je veux garder ce modèle intime», confie-t-elle.

Le Chat Biotté a été lui aussi chargé. L’entreprise propose la livraison de fruits et légumes, en partie locaux. Le nombre de clients particuliers a augmenté de 50% selon Françoise Di Betta, sa gérante. D’habitude, ils ne représentent que 35% de sa clientèle, contre 99% en ce moment. «Cer­taines personnes disent qu’elles viennent juste pour la crise, d’autres affirment qu’elles vont revenir. On a peut-être la moitié qui va rester», se projette-t-elle. «Les gens prennent conscience que le local est une force pour un pays, et que délocaliser toutes les productions pour tout, ce n’est pas une bonne chose», analyse Gilles Gérard, CEO de Luxlait. La coopérative laitière continue de fournir les Luxembourgeois en produits laitiers pendant la période de crise.

Solidarité

Soutenir les entreprises du cru, c’est ce qu’appliquent aujourd’hui nombre de Luxembourgeois. Par exemple Kaaft Lokal, un site lancé par la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC) qui permet d’acheter des bons dans les magasins à utiliser lors de leur réouverture. En une semaine et demie, il a enregistré 200 dons pour une valeur de 15.000 euros. «Ce n’est pas vraiment nouveau», observe Claude Bizjak, directeur adjoint de la CLC. Beaucoup se sont mis à acheter local pour diminuer leur empreinte carbone.

«Mais la tendance écologique est certainement renforcée par la crise. De plus en plus de consommateurs et d’entreprises se tourneront vers le local.» Un phénomène soutenu par les grandes surfaces. Auchan Luxem­bourg affirme déjà s’approvisionner pour 50% de ses produits chez des fournisseurs de la Grande Région, et pour un tiers au Luxembourg.

«Ce sont des gages de qualité et de sécurisation des approvisionnements», commente Cyril Dreesen, directeur général de l’enseigne dans le pays. Ces fournisseurs ont «juste été confrontés aux limites qu’imposent les structures, comme pour les industriels étrangers», témoigne-t-il. Pour les aider en cette période où une partie de leur production ne va plus aux restaurants, l’enseigne a décidé d’augmenter leur visibilité sur ses tracts publicitaires. Une initiative qu’elle compte poursuivre, même après un retour à la normale. «L’offre locale doit perdurer et s’accélérer», pense Cyril Dreesen.

Même si, selon lui, la disponibilité des produits peut freiner certains acheteurs. Car s’ils veulent con­sommer local, ce sera de saison. Et tous ne sont pas prêts à ne pas pouvoir manger de tomates toute l’année. Pour lui, si ces produits peuvent être plus chers, «le rapport qualité/­prix est équivalent ou meilleur».

Peu de ressources

Pourtant, la Chambre d’agriculture modère cet enthousiasme. «La majorité des consommateurs vont reprendre leurs habitudes», redoute Ghislaine Soisson, chef de projet Sou schmaacht Lëtze­­buerg («Le goût du Luxem­bourg») à la Chambre d’agriculture. Elle admet que les capacités du pays sont limitées en termes de production de fruits et légumes. «En lait et en viande, nous produisons certainement assez pour tout le Luxem­bourg», ajoute-t-elle cependant.

«Ce qui est intéressant, c’est que le coronavirus a développé chez beaucoup une attitude qui con­siste à stocker plus», analyse en parallèle Louis Chauvel, sociologue. La peur de manquer ne mènerait donc pas les gens vers l’achat local? «Du point de vue alimentaire, le Luxem­bourg n’a pas de ressources infinies. Le climat ne s’y prête pas», rappelle-t-il.

En revanche, . «Les gens se sont mis à douter de l’ensemble du système de production», relate-t-il. «L’enjeu, pour le pays, réside dans ces produits chimiques et pharmaceutiques stratégiques, dont la production a été envoyée très loin il y a plusieurs années.»

Il s’agit d’une revendication de Danielle Becker-Bauer, vice-présidente du Syndicat des pharmaciens luxembourgeois: «Le pays doit être moins dépendant de ses voisins.» Cette pharmacienne fait état de ruptures de stock régulières chaque année sur des médicaments qu’elle reçoit, pour la majorité, d’autres pays. Elle imagine: «Il faudrait créer un groupe de travail avec les grossistes, les pharmaciens et le gouvernement pour évaluer la situation.»

Reste à savoir si toute cette bonne volonté des consommateurs ou des entreprises perdurera.