«Il existe énormément d’industries qu’on peut attirer au Luxembourg et qui sont compatibles avec l’économie verte», estime le président du CSDD, Romain Poulles. «Cela est possible dans plein de secteurs: la permaculture, le bâtiment, la mobilité, la recherche ou encore dans le secteur de l’investissement financier.» (Visuel: Maison Moderne)

«Il existe énormément d’industries qu’on peut attirer au Luxembourg et qui sont compatibles avec l’économie verte», estime le président du CSDD, Romain Poulles. «Cela est possible dans plein de secteurs: la permaculture, le bâtiment, la mobilité, la recherche ou encore dans le secteur de l’investissement financier.» (Visuel: Maison Moderne)

Le projet d’implantation de l’usine Fage au Luxembourg a soulevé une importante polémique du fait de son potentiel impact sur l’environnement. De quoi s’interroger sur la nécessité de définir des critères de durabilité clairs pour l’industrie.

«Ce projet a-t-il vraiment du sens, alors que nous voulons à présent une économie plus durable et circulaire?», s’interrogeait, , le bourgmestre de Bettembourg, (CSV), à propos du projet d’implantation de l’usine Fage sur le territoire de sa commune.

La polémique avait enflé au sujet du potentiel alors que la lutte contre la crise climatique et environnementale est plus que jamais à l’ordre du jour.

Fage a finalement . Mais la question de Laurent Zeimet reste d’actualité. La croissance économique, la création d’emplois ou des revenus fiscaux supplémentaires doivent-ils primer sur les exigences environnementales?

(CSDD), «Créer des emplois est-il un objectif en soi? Posons la question. Car cela est lié au besoin de croissance. Et avec cette croissance, ce modèle, où veut-on aller? Un ou deux millions d’habitants? Déjà, nous n’arrivons pas à loger les 650.000 résidents que nous sommes, donc c’est une fuite en avant. Si une industrie n’a pas de réelle valeur ajoutée et est très utilisatrice de ressources, alors il faut voir le problème de manière systémique et holistique et ne pas juste le réduire à 100 emplois et des revenus fiscaux.»

Se réinventer

Selon Romain Poulles, l’industrie doit se réinventer. Fonctionnant actuellement sur un modèle linéaire – extraction, production d’un bien, utilisation puis production de déchets –, l’usine doit devenir un élément d’une chaîne de valeur circulaire, où elle produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme.

Ainsi, elle n’émet pas de CO2 mais l’absorbe, réutilise l’eau de pluie, abrite des hôtels à insectes ainsi que des façades végétalisées pour favoriser la biodiversité. La chaleur qu’elle émet est réutilisée par les bâtiments voisins via un système de réseaux, et l’édifice s’insère dans un écoparc au sein duquel la mobilité douce est favorisée.

Il est bien sûr aussi facile de décrire cette utopie qu’il est difficile d’y parvenir. Mais, selon le président du CSDD, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit avant tout d’une opportunité: «Chacun doit voir les opportunités que ce nouveau modèle procure. Et, à l’inverse, comprendre que celui dans lequel nous sommes comporte d’énormes risques.»

Changer de perspective

Pour opérer cette délicate transition, un changement de perspective est nécessaire. «Il est crucial pour les entreprises de raisonner en termes d’impact positif», conseille Romain Poulles. «Trouver des modèles dans lesquels je réduis les impacts négatifs, ce n’est pas motivant. Par contre, créer un produit qui génère de l’impact positif sur l’Homme, sur la nature, sur la société, sur les générations futures, cela génère une dynamique tout à fait différente et est générateur de créativité.»

Et les exemples d’entreprises qui ont entamé cette démarche sont nombreux au Luxembourg, assure le fondateur de Progroup. «Parfois, il s’agit seulement d’un premier pas, mais qui marque une nouvelle intention, où la motivation première n’est plus le bénéfice», constate-t-il.

Et de citer quelques exemples non exhaustifs: Ramborn, un producteur de cidre qui cherche à favoriser la biodiversité; Peintures Robin, qui a développé une gamme de peintures sans solvant toxique; CDCL, qui tâche de substituer dès que possible les matériaux polluants pour s’orienter vers des choix durables et écoresponsables; Kidsbox, qui a développé une solution de location de jouets pour enfants; Food4All, qui référence sur son application gratuite les produits en date courte dans les magasins partenaires; ou encore Innpact, un spécialiste du financement d’impact.

«Ce ne sont pas forcément des entreprises exemplaires, mais elles ont commencé à changer leur façon de voir», constate Romain Poulles. «Il s’agit d’un premier pas, mais qui marque une nouvelle intention, où la motivation première n’est plus le bénéfice.»

Savoir où aller

Et, en plus des entreprises locales, attirer des industriels verts depuis l’étranger est tout à fait envisageable, selon lui. «Il existe énormément d’industries qu’on peut attirer au Luxembourg et qui sont compatibles avec l’économie verte», assure-t-il. «Cela est possible dans plein de secteurs: la permaculture, le bâtiment, la mobilité, la recherche ou encore dans le secteur de l’investissement financier. En dehors des industries hyper carbonées, pour lesquelles il est difficile d’intégrer la logique de l’économie verte, chaque industrie peut potentiellement avoir un modèle vert.»

Mais il est nécessaire de se poser au préalable les bonnes questions en termes de gouvernance pour savoir précisément vers quoi se diriger. «Qu’est-ce qu’on veut? Qu’est-ce qu’on ne veut pas?», se demande Romain Poulles. «Et aussi, qu’est-ce qu’on peut faire? Car on ne peut pas tout faire, il y a des régions davantage prédisposées que d’autres pour certaines activités», reconnaît-il.

Ce qui permettrait d’établir des critères de sélection des industries qui soient clairs. Et d’éviter ainsi des polémiques comme celles autour de l’usine Fage, où la question de son impact sur l’environnement est survenue après la vente du terrain.

«Un entrepreneur a besoin d’un cadre clair, dans lequel il peut choisir de développer son entreprise ou non», estime Romain Poulles. «Si on déclare l’eau potable, ou l’air qu’on respire, ou la terre qu’on cultive comme un bien commun qui est disponible prioritairement à ses citoyens, alors c’est clair. Mais ce principe n’est aujourd’hui pas inscrit dans une stratégie qui permette à l’entreprise de le savoir dès le début.»

Un check de durabilité prévu

Un constat que reprend à son compte la ministre de l’Environnement, (Déi Gréng), à propos des procédures d’autorisation d’établissement: «Si on prend au sérieux les responsabilités du ministère de l’Environnement, il faut introduire des appréciations en termes d’eau, de qualité de l’air, tout ce qui concerne le milieu environnemental. Nous avons des objectifs environnementaux, avec des bases légales, qui doivent être pris en considération. Cela doit être fait de manière coopérative entre les différents départements du gouvernement. Et là, il y a des améliorations à faire.»

Dans ce sens, un check de durabilité, ou «sustainability check», sera introduit en amont de la procédure. «Le gouvernement est en train d’élaborer des critères durables pour des établissements désirant s’implanter sur le territoire du Grand-Duché», explique l’Administration de l’environnement à ce propos. «Ce ‘screening’ préalable sera assuré par un groupe de travail interministériel (Économie, Environnement et Travail) permanent affilié au Trade & Investment Board (TIB) du Trade & Invest Steering Committee (TISC).»

Alors que – semble-t-il – tout reste à faire, il s’agit d’un premier pas timide vers une industrie plus verte. Avec l’idée d’éviter «de mettre l’intérêt de la santé humaine, de la biodiversité et du climat contre le développement du pays», espère Carole Dieschbourg.