Bruno Colmant, head of macro research chez Degroof Petercam Bruxelles et professeur auxiliaire à la Luxembourg School of Finance. (Photo: Degroof Petercam/Archives)

Bruno Colmant, head of macro research chez Degroof Petercam Bruxelles et professeur auxiliaire à la Luxembourg School of Finance. (Photo: Degroof Petercam/Archives)

Les experts l’annoncent pour bientôt, les professionnels du secteur s’y préparent. La prochaine secousse financière est-elle vraiment inévitable? La réponse de Bruno Colmant, head of macro research chez Degroof Petercam Bruxelles et professeur auxiliaire à la Luxembourg School of Finance.

Lors des krachs, le monde doit surmonter tant d’angoisses, car les éclatements de bulles boursières suscitent des traumatismes collectifs. Les crises financières ramènent à des peurs existentielles portant sur le système économique. Elles suscitent un sentiment de dépression, au contraire des périodes d’enchantement financier, au cours desquelles les Hommes sont plus crédules parce que plus euphoriques.

Le krach de l’année 2008 fut le signe annonciateur de la véritable mondialisation. Ce fut la mutation d’une économie de services vers les réseaux de la connaissance digitale. Dans cet environnement, l’invention et le progrès sont fluides géographiquement. À l’intuition, le krach de 2008-09 fut d’ailleurs la réplique sismique de l’éclatement de la bulle internet, en 2000. À l’époque, nous aurions dû prendre la mesure de la révolution de l’information et du commerce. Les autorités monétaires américaines ont cru devoir la camoufler.

Dans les secteurs primaires et industriels, les Hommes sont désormais mobiles. Par contre, dans le secteur tertiaire, qui emploie la majorité des populations occidentales, la société de la connaissance, fondée sur internet, est un relais à la mobilité réduite des Hommes. La fluidité de l’information est un substitut à leur déplacement géographique: plutôt que de se déplacer pour effectuer un travail, l’homme peut ramener l’information auprès de lui.

Une bulle se forme plus lentement qu’elle n’éclate. Elle se forme sur la pointe des pieds, voire à reculons, mais éclate en courant.
Bruno Colmant

Bruno Colmanthead of macro researchDegroof Petercam Bruxelles

Le krach de 2008-09 annonça l’immersion dans un univers plus volatil, car informé de manière instantanée. C’est un apprentissage des arcanes de l’économie de marché. Les prochaines phases de contraction et d’expansion conjoncturelles seront plus saccadées et volatiles. La réponse des pouvoirs publics doit être à la mesure du message de la crise: il s’agit de développer l’enseignement afin de permettre aux citoyens d’augmenter leur mobilité professionnelle dans un monde de circulation instantanée des connaissances.

C’est avec sagesse et factualité qu’il convient d’appréhender les bulles. Et puis, qu’est-ce qu’une bulle? Elle naît d’une dissociation, à la hausse ou à la baisse, de la valeur économique fondamentale d’un actif et de sa valeur boursière. À quoi est-ce dû? Les causes seraient à rechercher dans l’emballement de réactions exacerbées, voire irrationnelles. Elles entrent aussi en résonance avec des phénomènes de foules, de comportements émotifs et grégaires, et d’instincts mimétiques. Dans cette perspective, le krach qui suit la croissance des cours sanctionnerait les inadéquations passagères de ceux-ci.

Une bulle se forme plus lentement qu’elle n’éclate. Elle se forme sur la pointe des pieds, voire à reculons, mais éclate en courant. C’est d’ailleurs contre-intuitif: dans de nombreux domaines, les marchés financiers dégagent une incrédulité devant l’enrichissement facile, et un biais au pessimiste. La bulle, au contraire, semble ressortir à l’euphorie, très étrangère au comportement anxiogène des marchés.

Même à un sommet boursier, il y a des acheteurs qui continuent à croire que le cours va encore monter (sinon, ils n’achèteraient pas).
Bruno Colmant

Bruno Colmanthead of macro researchDegroof Petercam Bruxelles

Mais, sous un autre angle, on peut s’interroger sur l’existence même des bulles: y a-t-il vraiment des bulles? Une bulle n’est pas inhérente à l’évolution boursière. Ne constitue-t-elle pas un événement consubstantiel à la formation des prix? En renfort de cette hypothèse, on peut avancer que si une bulle se forme, elle met en présence des acheteurs et des vendeurs qui concluent, pour un nombre identique de titres, une transaction. Un marché n’est donc pas uniquement acheteur ou vendeur, puisque la multitude des intervenants formule un prix qui est le meilleur consensus de la valeur.

Dans cette perspective, même à un sommet boursier, il y a des acheteurs qui continuent à croire que le cours va encore monter (sinon, ils n’achèteraient pas). Ce qui importe alors, c’est que les protagonistes disposent d’une information adéquate.

Au reste, on avance souvent qu’une bulle se forme lorsque des actifs sont achetés dans l’espoir exclusif que d’autres investisseurs subséquents formulent des prix supérieurs. En d’autres termes, on n’achèterait plus un titre sur base de ses caractéristiques propres et fondamentales, mais plutôt sur l’espoir d’une valeur (espérée supérieure) qui serait établie par d’autres investisseurs. Cet argument est très fragile, et ce pour deux raisons. La première est qu’il est impossible d’établir de manière consensuelle la valeur fondamentale d’un titre, puisque c’est justement le rôle d’un marché boursier. L’autre raison est qu’on achète toujours un titre avec l’espoir que sa valeur s’accroisse, sur base des transactions réalisées par d’autres investisseurs.

Une bulle pose aussi la question du contrôle prudentiel des marchés: les autorités de contrôle doivent-elles se borner à contrôler la diffusion de l’information ou, au contraire, doivent-elles aller plus loin, c’est-à-dire examiner la volatilité des marchés pour la contrôler?
Bruno Colmant

Bruno Colmanthead of macro researchDegroof Petercam Bruxelles

Une bulle pose aussi la question du contrôle prudentiel des marchés: les autorités de contrôle doivent-elles se borner à contrôler la diffusion de l’information ou, au contraire, doivent-elles aller plus loin, c’est-à-dire examiner la volatilité des marchés pour la contrôler? Mais alors, si les autorités de contrôle étaient capables de discerner la formulation d’une bulle, c’est qu’un pouvoir supérieur serait à même de guider l’aléa boursier et de postuler quel serait le bon prix, ou à tout le moins la bonne fourchette de prix, pour un titre particulier.

Ceci s’opposerait au facteur aléatoire prévalant à la formation des cours. Cela supposerait aussi l’existence d’une métarégulation capable, par classe d’actifs, d’identifier des balises de prix. On le voit: la problématique n’est pas aisée à dépouiller.

Et que retenir de tout ceci, au-delà des jugements hâtifs? Probablement que les bulles sont de nature informationnelle et inhérente à l’évolution des prix. En conclusion, il serait vain d’imaginer contrôler la formation des prix des marchés financiers.