Les avocats de la défense, dont Me Laurent Niedner, fustigent un procès exagérément tardif et surtout dirigé contre les mauvais prévenus. (Photo: Paperjam)

Les avocats de la défense, dont Me Laurent Niedner, fustigent un procès exagérément tardif et surtout dirigé contre les mauvais prévenus. (Photo: Paperjam)

Trois anciens agents du Service de renseignement de l’État comparaissent depuis mardi devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour un procès qu’ils estiment infondé.

C’est devant la 12e chambre siégeant en matière correctionnelle et présidée par Marc Thill – qui avait déjà officié lors d’un procès d’envergure en 2016, en l’occurrence LuxLeaks – que s’est ouvert mardi le procès des écoutes illégales du Srel. Une première audience occupée par l’exposition de multiples incidents de procédure par les avocats de la défense.

Le dossier sort en effet de l’ordinaire à plusieurs titres. D’abord par son ancienneté: les faits reprochés aux trois prévenus, Marco Mille, André Kemmer et Frank Schneider, remontent à… janvier 2007. Me Pol Urbany, mandaté par M. Kemmer, demande par conséquent l’irrecevabilité des poursuites pour délai irraisonnable. «La violation est tellement évidente et éclatante que le procès pourrait s’arrêter dès aujourd’hui», ce qui abrègerait également «les frais et les supplices de M. Kemmer». «Le dépérissement de preuves est patent puisque la défense est tributaire de la mémoire d’une personne, notamment un personnage-clé [pause]: Jean-Claude Juncker.»

Sans nul doute, l’ombre de l’ancien Premier ministre et ex-président de la Commission européenne plane sur ce procès déjà reporté à deux reprises – au gré de l’agenda de ce témoin pas comme les autres, s’agace Me Urbany, qui soupçonne ouvertement le Parquet d’avoir voulu attendre la fin du mandat de M. Juncker à Bruxelles pour reprogrammer le procès initialement  à .

Je suis absolument convaincu que Jean-Claude Juncker a ordonné cette écoute.

Me Pol Urbanyavocat à la Cour, défenseur d’André Kemmer

«Le dossier a été placé dans un tiroir en attendant qu’il soit hors de toute ligne de mire» de peur qu’un procès durant son mandat «ternisse l’image du pays et cause des problèmes au niveau européen», grince l’avocat. Le tient aussi à l’indisponibilité de M. Juncker qui «s’est soumis à une non urgente» en novembre, ajoute Me Niedner, défenseur de Marco Mille.

Or, le statut de simple témoin de M. Juncker suscite l’incompréhension et l’ire des avocats de la défense. «Il est nécessairement coïnculpé et coauteur» des faits reprochés, estime Me Urbany. Ces faits ont été découverts lors de la publication en 2012 de l'enregistrement par Marco Mille d'une conversation avec M. Juncker le 31 janvier 2007. Les deux hommes évoquent une écoute menée le week-end précédent – celle de Loris Mariotto, longtemps affublé du surnom de «Monsieur M.». Lequel était un informateur de longue date du Srel aux intentions toutefois ambiguës: c’est lui qui a fourni au Srel un CD dit «Frisbee» contenant prétendument l’enregistrement d’une conversation entre le Premier ministre et le Grand-Duc Henri au sujet du Bommeleeër. 

«Je suis absolument convaincu que Jean-Claude Juncker a ordonné cette écoute», affirme Me Pol Urbany, aussitôt repris par le président du tribunal. C’est effectivement la question de fond de ce procès: le Srel a-t-il procédé à des écoutes à l’insu du Premier ministre? Une écoute déclenchée via une procédure d’urgence nécessitait-elle une autorisation écrite?

Un «verbatim tronqué», dénonce Me Niedner

Les mandataires de la défense pointent encore la constitution de partie civile de Loris Mariotto «qui aurait dû être le premier inculpé dans cette affaire». «En se constituant partie civile, M. Mariotto échappe au témoignage sous serment», proteste Me Urbany. «Ce procès est un procès qui ne devrait pas avoir lieu», renchérira à l’issue de l’audience Me Niedner.

Le défenseur de Marco Mille souligne de son côté les «pièces occultes et tronquées» fournies par le Parquet. Lequel a transmis à la défense un classeur entier de «pièces inconnues» le 27 février dernier, soit quelques jours seulement avant l’audience. Des pièces sur lesquelles les chambres d’instruction n’ont pu s’appuyer pour forger leur décision de renvoyer les inculpés en correctionnelle.

Il épingle aussi le «verbatim tronqué» – mais par qui? Des collaborateurs de M. Juncker comme le prétendait le Times en 2017? – de l’enregistrement de la montre, sur lequel se sont fondées la commission de contrôle puis la commission d’enquête parlementaire pour dénoncer l’écoute présumée illégale de «M». Tronqué, parce que plusieurs interventions de M. Juncker ont été coupées, donnant l’impression que le Premier ministre ne réagit pas à ce que lui dit M. Mille et que c’est finalement celui-ci qui insiste pour poursuivre le décryptage du CD, tout en cherchant à faire dire à M. Juncker qu’il a autorisé les écoutes sur «M».

Juncker témoignera mercredi

De son côté, Me Laurent Ries, défenseur de Frank Schneider, «demande ce que [s]on client fait là» puisque la plainte initiale de Loris Mariotto visait les seuls Marco Mille et André Kemmer et fustige le «refus du Parquet d’enquêter sur M. Mariotto» dont le curriculum vitae semble pourtant sulfureux. Ce procès paraît, à ses dires et sous-entendus, intimement lié à l’affaire du Bommeleeër.

Accès à l’enregistrement original, écoute de cet enregistrement in extenso en audience, refus de la demande de témoignage par vidéoconférence et le visage flouté de l’agent du Srel appelé à témoigner: la défense égraine ses demandes au Parquet. Lequel n’y semble pas sensible outre mesure. «Il n’y a pas eu de dépassement déraisonnable», estime le représentant du Parquet, et si le tribunal devait en décider autrement, «cela devrait plutôt conduire à une diminution des peines qu’à une irrecevabilité des poursuites».

Le tribunal s’est retiré pour délibérer de ces divers incidents de procédure et se prononcera demain à l’ouverture de la deuxième audience, très attendue car, si le procès se poursuit, le témoin que tout le monde veut entendre – Jean-Claude Juncker – sera appelé à la barre.