Vous avez été un des seuls politiciens à dénoncer les pratiques de la place financière à la suite des révélations d’OpenLux. Pourquoi?
. – «La plupart des acteurs politiques ont la prétention d’accéder au gouvernement. Or, la place financière est devenue une raison d’État, qu’on n’attaque pas, car il y a des intérêts énormes derrière.
Le sujet est-il tabou?
«Certains sont beaucoup moins dupes qu’ils ne le prétendent, mais ils se rangent derrière les intérêts de la Place. C’est un peu comme si on voulait gouverner en Arabie saoudite en étant contre le pétrole, ce n’est pas possible…
Cela reste difficile d’aborder ce sujet avec clarté…
«La matière est très opaque pour les non-initiés. Quand des reproches justifiés sont faits, les professionnels de la Place peuvent embrouiller.
Même les députés ne comprennent pas bien ce domaine?
«Sur les projets de loi qui ont trait à la place financière, seuls deux ou trois ont la formation et peuvent poser des questions pointues. Les autres ne savent pas quoi dire…
OpenLux ne dénonce pour autant rien d’illégal…
«Non, mais ce n’est pas la question, à mes yeux. Le problème porte sur la législation qu’on a au Luxembourg, au-delà de sa légalité.
Quel est le problème de cette législation?
«Cela permet de défiscaliser à mort par le biais de montages, comme les soparfi ou le système des sociétés mères et filiales. La finalité est que les sociétés, voire les personnes privées, paient le moins d’impôts possible.
N’existe-t-il pas d’autres arguments que celui de la législation complaisante pour expliquer le succès de la Place?
«Dire qu’on a une bonne place financière parce qu’on est polyglotte – c’est le cas de la plupart des Places – ou parce qu’il y a la paix sociale, ce sont des arguments un peu bébêtes. Il ne faut pas se raconter d’histoires, tout le monde le sait très bien: on a une bonne Place, du fait de la législation.
Il y avait déjà eu un précédent avec LuxLeaks…
«À l’époque, nous étions les seuls à être critiques. C’était tout juste si on ne se faisait pas traiter de traitres. C’était dur…
Pourquoi ces pratiques ne changent-elles pas?
«Il y a une sorte de cynisme selon lequel, si ce n’est pas le Luxembourg, un autre le fera. Mais cela a quand même beaucoup changé…
À quel point de vue?
«Je l’ai remarqué quand j’ai fait mon discours à la Chambre. J’ai eu des retours: «Vous avez raison, il faut que quelqu’un le dise.»
Les gens sont contre les méthodes de la Place?
«Même si c’est légal, la plupart des gens ont compris qu’il s’agit de défiscaliser au maximum. Or, ils ne sont pas fiers de cela, parce qu’instinctivement, ils savent que des choses louches s’y passent. Et ils voient que les grands groupes ne paient plus rien.
Pour quelles raisons l’état d’esprit a-t-il changé?
«Avant, il y avait cette sorte de compromis tacite: la place financière, ce n’est pas génial, mais cela nous permet de bien vivre.
Cela n’existe plus?
«Cela s’effrite. Les jeunes, surtout, le remarquent: ils ont du mal à trouver du travail. Sans parler du logement, qui devient inabordable. Or, les montages fiscaux vont jusque dans l’immobilier.
Comment cela?
«La spéculation est facilitée par des montages qui font monter les prix du foncier. Donc, on revient à des problèmes très concrets. Et la population, y compris les classes moyennes, commence à être méchamment touchée.
Le gouvernement n’a-t-il pas fait des efforts pour améliorer la transparence de la Place?
«C’est vrai qu’après LuxLeaks, le nouveau gouvernement s’est dit: «Ce n’est pas possible, si on veut préserver la Place telle qu’elle est, il faut faire le ménage.» Et ils ont légalisé les procédures de rulings. Donc, des efforts ont été faits, oui, mais pas assez.»
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de qui est parue le 25 février 2021.
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