Pierre Gramegna regrette que les journaux impliqués dans OpenLux ne prennent pas objectivement en compte les avancées faites ces dernières années et perpétuent une image tronquée de la réalité économique dans un monde globalisé. (Photo: Matic Zorman / archives Maison Moderne)

Pierre Gramegna regrette que les journaux impliqués dans OpenLux ne prennent pas objectivement en compte les avancées faites ces dernières années et perpétuent une image tronquée de la réalité économique dans un monde globalisé. (Photo: Matic Zorman / archives Maison Moderne)

Si l’épisode «LuxLeaks» avait donné lieu à des improvisations en matière de communication, cette deuxième salve a été bien anticipée. Au point de susciter quelques grincements de dents dans certains médias.

Prévenu depuis le milieu de la semaine dernière de , le gouvernement avait visiblement bien préparé sa réplique et anticipé les événements de la journée de lundi, et même de la semaine. Pas question de connaître à nouveau les hésitations vécues dans la foulée des LuxLeaks, en 2014. Il est vrai qu’à la différence de la dernière fois, suite à de nombreux échanges avec les journalistes, les autorités savaient où l’éclair allait frapper.

Le branle-bas de combat a été général la semaine passée dans les ministères de la Justice et des Finances, a appris Paperjam. Le CTIE (Centre des technologies de l'information de l'Etat) n’a pas été en reste et un site a été ouvert dans la nuit de dimanche à lundi, , qui comporte notamment une réaction officielle et une foire aux questions concernant deux sujets majeurs au cœur de la nouvelle polémique: les efforts entrepris par le gouvernement depuis LuxLeaks et le fonctionnement du registre des bénéficiaires effectifs (RBE). Face à la première série d’articles publiés par un consortium de 17 journaux européens sous la bannière «OpenLux», le gouvernement indique rejeter «les affirmations contenues dans cette série d’articles ainsi que la représentation totalement injustifiée du pays et de son économie».

Une stratégie d’anticipation payante au point de susciter des grincements de dents au sein de certains médias. Notamment au Soir, en Belgique,  où on évoque un «coup de bluff» pour éteindre l’incendie. «Fortiche, le gouvernement luxembourgeois ! L’enquête OpenLux, qui brosse un tableau inédit de la place financière luxembourgeoise, n’avait pas encore été publiée par Le Soir et seize partenaires sur quatre continents, que le site officiel luxembourgeois publiait déjà une réfutation circonstanciée, dans la nuit de dimanche à lundi», s’étonne même le Soir.  Qui pour le coup se prend un peu les pieds dans le tapis car le mystère n’est pas bien épais: comme relaté plus haut dans cet article, les questions des journalistes reçues de longue date ont permis simplement aux autorités d’élaborer un FAQ complet, de structurer la communication officielle et de bien penser les arguments de langage, de préparer en amont un site web qu’il suffisait de mettre en ligne dimanche dans la nuit en même que l’envoi du premier communiqué de presse… 

Deux fronts pour la riposte

Dans le détail, la stratégie de riposte porte sur deux fronts.

D’abord à chaque argument avancé dans l’enquête OpenLux, on trouve donc sur le site du gouvernement son contre-argument. Une sorte de fact-checking inversé, donc.

Par exemple: la moitié des entreprises commerciales enregistrées dans le pays sont de pures holdings financières, des sociétés offshore totalisant pas moins de 6.500 milliards d’euros d’actifs? Sous-entendu: des structures opaques ne payant pas d’impôts. Réponse: les sociétés détenant des participations existent dans de nombreux pays. Et le régime fiscal luxembourgeois de ces sociétés n’est pas plus avantageux que celui d’autres pays européens. Une fiscalité réglée par des directives européennes, principalement la directive «mère-filiale» et la directive «intérêts et redevances».

Le registre des bénéficiaires effectifs est un alibi et il est incomplet? Réponse: Le Luxembourg est l’un des premiers pays à avoir mis en place cet outil et l’un des seuls ayant fait le choix d’un registre complètement ouvert et accessible sans aucune restriction au grand public. Et d’affirmer que le taux de complétude du registre est aux alentours de 90%. Et si la recherche par nom n’est pas accessible au grand public, c’est un choix guidé par l’équilibre à trouver entre le droit au respect de la vie privée des personnes et le principe de transparence. Et de rappeler que le RBE ne dispense en rien tous les bénéficiaires de remplir correctement ses obligations en matière d’identification des clients.

Le Luxembourg demeure un paradis fiscal pour les sociétés? Réponse: «Son taux d’imposition nominal (environ 25% à Luxembourg-ville) est bien supérieur à la moyenne européenne (19,12%) et à celle de l’UE (20,94%).»

Un catalogue d’arguments appelé à s’étoffer en fonction des prochains articles qui seront publiés.

Le «nation branding» et ses faiblesses

Ensuite, la contre-attaque luxembourgeoise porte également sur l’image du pays. Une des conséquences de LuxLeaks avait été le lancement de la politique de «nation branding». Ses thèmes sont donc repris et répétés.

Sur le long terme, le gouvernement réaffirme les credo qu’il a faits siens depuis l’inscription du pays sur la liste grise du Gafi en 2013 et l’explosion de l’affaire LuxLeaks, et que le ministre des Finances (DP) a déclinés devant tous les auditoires: le Luxembourg a résolument adopté la transparence fiscale. «Le pays est conforme à toutes les normes et directives de l’OCDE et de l’UE en matière de transparence fiscale, et plus spécifiquement dans le domaine de l’échange d’informations et de la coopération administrative. Ainsi, il applique pleinement les règles et recommandations émises par l’OCDE et les institutions de l’UE en la matière. Ces efforts ont été reconnus par le Forum mondial de l’OCDE et l’UE.»

Le Luxembourg n’est pas un pays offshore, est-il aussi développé, mais un pays européen où les activités financières sont réglementées et contrôlées. En rappelant au passage que la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), avec 1.000 personnes, a vu son nombre d’employés doubler ces sept dernières années. «Que ce soit en chiffres absolus ou en termes relatifs en comparaison avec d’autres places financières, ce chiffre est très élevé. Son effectif en charge de la lutte contre le blanchiment augmente constamment, et a notamment vu une croissance de 46% sur les trois dernières années.» De son côté, la CSSF indique que «la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme a été et reste une de nos priorités, et nous ne tolérons pas de manquements en ce domaine». Et de souligner que cette surveillance «s’appuie sur une approche basée sur les risques, conformément aux textes européens, mais également aux standards internationaux édictés notamment par le Gafi».

Et sa compétitivité n’est pas une question fiscale, mais est due à «un écosystème complet de professionnels hautement spécialisés, au travers duquel il propose une gamme variée de services financiers connectant les investisseurs et les marchés du monde entier. Sa stabilité et son esprit d’innovation en font une plateforme européenne de premier plan pour les institutions financières internationales, les gestionnaires d’actifs, les assureurs, ainsi que les fintech».

Cependant, si tous ces arguments sont admis dans les sphères professionnelles, ils ne semblent pas trouver écho auprès des citoyens européens. Ce qui est aussi quelque part un signe de la faiblesse ou des insuffisances de la politique de «nation branding», qui ne semble pas pouvoir sortir des sphères professionnelles. Ce qui désole beaucoup d’acteurs de la Place. Pour eux, le Luxembourg est une cible facile, victime de la jalousie d’autres pays. À ce niveau aussi des efforts sont donc encore à fournir.