À l’issue de l’assemblée générale du Groupe Edmond de Rothschild du 4 juin dernier, François Pauly a été nommé CEO en remplacement de Vincent Taupin, qui a fait valoir ses droits à la retraite. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

À l’issue de l’assemblée générale du Groupe Edmond de Rothschild du 4 juin dernier, François Pauly a été nommé CEO en remplacement de Vincent Taupin, qui a fait valoir ses droits à la retraite. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Le nouveau CEO du Groupe Edmond de Rothschild est revenu pour Paperjam sur son parcours, ses objectifs dans ses nouvelles fonctions et sa vision du développement de la Place.

François Pauly est tout sauf un inconnu sur la Place, où il a été actif depuis 1987, date à laquelle, ses études d’économie finies, il rejoint la BIL, où il va passer 17 ans dans différentes fonctions, passant de la salle des marchés à différents postes de management, et en faisant même un crochet par Rome, où, de 2003 à 2004, il s’occupe de la banque privée, de la gestion d’actifs et des services aux fonds d’investissement. En 2004, il intègre Bank Sal. Oppenheim Jr. & Cie à Luxembourg en tant que directeur général, puis, à compter de 2007, devient general manager de Sal. Oppenheim Jr. & Cie SCA, où il est nommé membre des conseils d’administration des filiales suisse, autrichienne et allemande du groupe. Après une incursion dans le monde du private equity au sein de BIP, filiale du groupe La Luxembourgeoise, dans lequel il est également actif depuis trois décennies, il retourne à la BIL – alors Dexia BIL – en 2011 en tant que directeur général et la quittera en 2016 comme président du conseil d’administration.

La fascination de Wall Street

En guise d’introduction, pouvez-vous nous parler de votre parcours?

 . – «La première fois que j’ai travaillé dans une banque, c’était en 1982 pendant les vacances d’été comme stagiaire dans une agence de la KBL. Mais à l’époque, je n’avais pas du tout envie de faire carrière dans ce secteur…

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis?

«J’ai eu la chance de faire différents stages dans le monde bancaire, mais aussi dans celui de l’assurance et de l’industrie, plus particulièrement la sidérurgie. Au final, c’est la banque qui m’attirait le plus. J’avais fait mon mémoire de fin d’études sur les financements en écu en 1987. La BIL était une des banques parmi les plus actives sur l’écu. J’ai donc rejoint la salle des marchés. La fascination pour des films comme ‘Wall Street’ a aussi dû jouer quelque part.

Comment êtes-vous devenu le CEO du Groupe Edmond de Rothschild? 

«En 2016, j’ai quitté le conseil d’administration de la BIL en raison de contraintes liées aux mandats d’administrateur que j’avais à l’époque et dont le nombre était limité parce que j’étais président d’une banque systémique. C’était aussi un moment dans ma carrière où mon rôle n’était plus d’avoir des mandats exécutifs, mais plutôt d’être administrateur indépendant dans diverses sociétés. Et c’est comme cela que j’ai rejoint le conseil d’Edmond de Rothschild en 2016 à Luxembourg et à Genève.

Le matin, j’étais administrateur, et l’après-midi, directeur général.
François Pauly

François PaulyCEOEdmond de Rothschild

Vous avez cependant repris des fonctions exécutives. Comment cela s’est-il fait, et pourquoi et comment est-on venu vous chercher? 

«Il y a beaucoup de réponses que d’autres que moi-même devraient donner à cette question. Je crois que la stratégie du groupe par rapport à la succession de Vincent Taupin était d’assurer la continuité en ayant recours à une personne qui connaissait déjà bien le groupe. Ayant déjà passé plus de cinq ans dans les conseils, en Suisse au holding, à la banque, et ici au Luxembourg au niveau d’Edmond de Rothschild Europe, c’était mon cas. Étant donné que, dans ma vie antérieure, j’ai déjà été deux fois CEO de groupes de tailles similaires, voire plus grands, par rapport à la volonté de l’actionnaire de ne pas aller chasser à l’extérieur, il restait peu de candidats.

Et je crois qu’à la fin, ce qui a été également déterminant, c’est que j’ai acquis mon expérience dans les deux métiers principaux de la banque: la banque privée et la gestion d’actifs. Et, notamment, la partie gestion d’actifs illiquides, qui est une spécialité en forte croissance et une chose à laquelle j’étais exposé depuis maintes années, du fait que, dans d’autres mandats, j’étais soit du côté de gestionnaires d’actifs, soit du côté d’investisseurs.

Du conseil d’administration à la direction… comment se passe une telle transition? 

«Très rapidement: le matin, j’étais administrateur, et l’après-midi, directeur général. Dans un monde qui bouge très rapidement, parfois, il n’y a pas beaucoup de temps pour préparer en détail certaines choses.

La pandémie a suscité chez les clients des banquiers privés un besoin accru de conseil sur lequel François Pauly compte bien surfer. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

La pandémie a suscité chez les clients des banquiers privés un besoin accru de conseil sur lequel François Pauly compte bien surfer. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Une feuille de route claire

Quelle a été votre première décision en tant que CEO? 

«D’abord, de respecter la ponctualité suisse. Je crois que le monde bouge tellement vite qu’il ne faut pas faire un gâchis du temps, parce que c’est le plus précieux. Ma première mission, et je suis encore en train de la terminer, c’est de faire connaissance avec les personnes dans les différentes entités. Dans un conseil d’administration, vous êtes exposé à vos collègues du conseil et de la direction générale, et vous ne voyez pas, ou rarement, les équipes en dessous. J’ai besoin de me faire une image de ce qui se fait aujourd’hui dans les différentes entités.

Quelle est votre feuille de route, et quels sont vos objectifs pour la banque? 

«La feuille de route a été posée il y a plusieurs années: simplifier la structure du groupe, accélérer sa digitalisation et profiter de notre approche différente unique d’une maison d’investissements de conviction pour nous différencier.

La pandémie a-t-elle impacté cette stratégie? 

«Nous avions déjà un certain nombre de projets importants en cours au niveau de l’IT et en matière de digitalisation avant la pandémie, comme le développement de notre plateforme IT commune. La pandémie a agi ici comme un accélérateur en nous dotant d’outils de travail dont on rêvait il y a encore quelques années. Comme la visioconférence. 

La relation client a également évolué. Le monde a connu des événements très importants: un arrêt de l’économie, puis une relance impressionnante dans un contexte de taux d’intérêt négatifs. Beaucoup de questions se posent donc aux investisseurs, qui ont besoin de conseils sur la durée, ce qui me rend très optimiste. Beaucoup d’investisseurs, particulièrement dans la jeune génération, veulent avoir un impact positif à travers la gestion de leur patrimoine. La finance durable est un sujet encore plus important et qui va nous occuper encore des années. Et j’espère que notre maison, qui a de fortes convictions sur ces sujets, sera l’interlocuteur d’un grand nombre et d’un nombre croissant d’investisseurs et de clients.

600 millions pour saisir les opportunités

Au cours des mois de mars et d’avril de l’année dernière, nous avons eu des contacts plus intenses avec nos clients, ce qui nous a permis d’avoir des discussions plus en profondeur sur la transmission du patrimoine: que veut-on transmettre à la génération future, et quand? Ce sont ces discussions qui donnent de la valeur au métier de banquier privé.

Une étude récente de Capgemini pointait le fait que les robo-advisors séduisaient de plus en plus les personnes fortunées. Y voyez-vous un risque de concurrence? 

«Je crois que les robo-advisors et autres outils technologiques similaires sont des outils utiles qui peuvent se joindre à une analyse d’un marché ou à une prise de décision. Mais dans le segment des personnes fortunées, il y a des aspects qui ne sont pas intégrés dans ces modèles: c’est l’histoire des familles, c’est la volonté de transmettre à un moment donné un patrimoine, ce sont les émotions, c’est parfois les actifs auxquels personne dans la famille ne veut toucher, c’est parfois des exclusions pour des raisons liées à l’histoire d’un patrimoine. Et tous ces éléments font qu’un algorithme peut donner certains indices, mais pas prendre la décision finale.

Où voyez-vous la croissance pour votre établissement dans les années à venir?

«On a – et c’est le fait rassurant –, sur les six premiers mois, de la croissance sur toutes nos géographies et sur la plupart de nos produits. Nous avons un plan de croissance pour ces prochaines années, qui combinera croissance organique et croissance externe sur certaines géographies et certains segments en fonction de l’évolution de notre analyse et des opportunités qui nous seront présentées. Nous avons la chance d’avoir des fonds propres excédentaires de l’ordre de 600 millions d’euros qui nous permettront de saisir les opportunités. Il est encore trop tôt pour dire lesquelles…

Le défi de la maîtrise des coûts

Comment avez-vous vu évoluer les métiers de la banque et la Place durant votre carrière?

«Si je prends les deux métiers de base de la Place de Luxembourg, qui sont aussi les métiers de notre groupe au niveau mondial, les changements ont été majeurs.

La banque privée version années 80, au moment de son décollage, prospérait sur son attractivité fiscale. 40 ans plus tard, dans un contexte de transparence fiscale, c’est la qualité du conseil, du service et la profondeur de la relation que vous pouvez avoir avec votre client qui sont déterminantes. Aujourd’hui, on ne vient plus au Luxembourg pour son attractivité fiscale, mais pour la possibilité d’investir à l’échelle mondiale dans beaucoup de classes d’actifs différentes et d’accéder à des marchés financiers difficiles d’atteinte depuis un marché domestique. Ce qui nous permet d’avoir aujourd’hui une clientèle bien moins volatile qu’avant parce qu’elle n’est pas dépendante d’une évolution de la fiscalité, mais basée sur une relation à long terme avec son banquier.

Nous fonctionnions d’une manière artisanale.
François Pauly

François PaulyCEOEdmond de Rothschild

Le métier des fonds d’investissement a également beaucoup évolué. La première sicav Ucits au Luxembourg a été lancée en 1988. En 1990, j’avais rejoint pour la première fois le conseil d’administration d’une telle structure. Nous fonctionnions d’une manière artisanale: la gouvernance se faisait d’une façon calquée sur les sociétés commerciales, tandis que le calcul des NAV et des reportings se faisait en partie sur des tableurs, voire sur des feuilles manuscrites.

Aujourd’hui, on couvre des classes d’actifs dont on ne savait même pas il y a 40 ans qu’elles pourraient exister. Le Luxembourg est devenu le deuxième centre mondial au niveau de la distribution des fonds, et son rôle dans cette industrie est reconnu à travers le monde. Le Luxembourg est devenu une marque mondiale.

Quels sont les défis pour que la croissance dans ces deux piliers reste pérenne?

«Pour la banque privée, la pérennité dépendra de la qualité du conseil, de la capacité à attirer et à retenir les talents dans un marché très concurrentiel, et, surtout, de l’évolution de la structure des coûts. Les professionnels comme le régulateur ont conscience de l’importance des projets d’outsourcing et de mutualisation de plateformes d’exécution qui permettent, malgré le fait qu’on est un pays avec des salaires plutôt dans le haut de la fourchette en Europe, de garder une certaine compétitivité au niveau des coûts. Pour l’industrie des fonds, les défis sont similaires. L’évolution des coûts a déjà conduit à la délocalisation de certaines activités, heureusement celles à moindre valeur ajoutée. C’est la maîtrise des coûts qui fera la différence.»