L’installation de la fibre optique devient de plus en plus compliquée au fur et à mesure que l’opérateur tente de gagner des pourcentages dans des zones moins accessibles. (Photo: Shutterstock)

L’installation de la fibre optique devient de plus en plus compliquée au fur et à mesure que l’opérateur tente de gagner des pourcentages dans des zones moins accessibles. (Photo: Shutterstock)

Lors du discours sur l’état de la Nation, le Premier ministre, Xavier Bettel, a annoncé une incitation au déploiement de la fibre optique et un coup de pouce de 7,7 millions d’euros, à partir de l’an prochain, pour permettre aux ménages les plus démunis d’accéder au très haut débit.

«Ne faites pas dire aux chiffres ce qu’ils ne disent pas!» Le ton est poli, mais ferme. Pour le directeur de l’Institut luxembourgeois de régulation (ILR), , et son chef du service Statistiques et veille de marché, Marc Kohll, la différence entre le nombre de ménages résidant au Luxembourg (265.000 selon le Statec), référence du Premier ministre, (DP), et le nombre de ménages qui ont un abonnement à internet fixe (235.000 selon l’ILR) ne cache pas 30.000 ménages exclus d’internet à haut débit. Certains n’ont simplement pas envie d’avoir internet, expliquent les deux hommes, sans désigner, par exemple, les personnes âgées. D’autres n’ont pas d’abonnement fixe, mais utilisent leur abonnement mobile et un modem pour avoir le wifi à domicile.

À l’heure où le Premier ministre s’est félicité, lors de la conférence Connecting Tomorrow, que le Luxembourg ait une couverture très haut débit s’étendant à plus de 95% de la population, puis après avoir reconnu, une semaine plus tard, l’existence d’irréductibles zones blanches, avoir 12% de la population à la marge de la stratégie luxembourgeoise sur l’ultra-haut débit ne serait pourtant pas très embarrassant.

Un problème de riches, balaient des experts sous couvert d’anonymat, car tous les pays n’ont pas la même définition du très haut débit. «Les soi-disant exclus du Luxembourg seraient parmi les mieux dotés en France ou en Belgique!», affirme l’un d’eux. Mardi, le secrétaire d’État français au Numérique, Cédric O, a annoncé que 80% de la population française aura la fibre optique avant fin 2022 dans le cadre du plan «Très Haut Débit»… à 30Mbps.

1Gbps, le nouveau cap européen

«La terminologie change avec le temps», explique l’ILR. «Le très haut débit est supérieur ou égal à 30Mbps, l’ultra-haut débit commence à 100Mb/s, mais au Luxembourg, c’est plutôt avec 1Gbps, comme la couverture à 100Mbps existe depuis des années.» «Le mieux», se ravise très vite le régulateur, par mail, «est d’utiliser la terminologie ‘very high capacity network’: 1Gbps en débit descendant et 200Mbps en débit montant pour un réseau fixe, 150Mbps en débit descendant et 50Mbps en débit montant pour un réseau mobile», qu’il soit lié à la 5G ou au satellite. La définition est celle du Berec, l’organe européen des régulateurs des États membres.

«Il existe ce que l’on appelle des ‘points blancs’», a expliqué mardi le chef du gouvernement dans son discours sur l’état de la Nation, «c’est-à-dire des endroits du pays où l’internet rapide n’est pas encore disponible, mais il s’agit souvent des dernières centaines de mètres ou, comme c’est souvent le cas dans les immeubles d’appartements, du câble qui se trouve bien au sous-sol, mais qui ne monte pas jusqu’à l’endroit où vivent les gens. Avec la stratégie pour le haut débit 2021 à 2025, nous voulons y remédier.»

Le Premier ministre a annoncé que l’État se mobiliserait pour «inciter les propriétaires et les syndics» à poser la fibre optique verticalement quand ce n’est pas le cas et pour que les opérateurs et les municipalités amènent la fibre partout où c’est nécessaire. Aller chercher les 5% restants coûte beaucoup plus cher, principalement à l’opérateur historique. Au titre de sa mission de service public, Post est régulièrement mis sous pression pour qu’il avance dans l’ouverture de trous pour tirer la fibre optique, ce qui est très compliqué dans les zones à plus faible densité de population ou dans certaines rues en impasse.

Investissements massifs de Post

En juillet 2020, Claude Strasser avait annoncé, depuis un chantier à Dudelange, – soit 300 millions d’euros sur cinq ans – pour tirer la fibre sur 75% du territoire en 2023, contre 70% à ce moment-là, avec des difficultés logistiques insoupçonnables. L’opérateur a décidé, au lieu de devoir supporter seul la charge de l’ouverture de tranchée, de profiter des travaux de Creos, par exemple.

C’est une des deux technologies disponibles qui permettent au Luxembourg d’afficher 95% de couverture très haut débit, l’autre étant le Docsis 3X – pour faire simple, la conversion de «vieilles» lignes qui amenaient de la vidéo par de nouvelles lignes à haut débit, option choisie par Eltrona et qui a séduit quelque 20.000 ménages.

Le gouvernement devrait prochainement mettre en place un registre des possibilités d’avoir le plus haut débit possible dans les habitations, que ce soit des maisons individuelles ou des appartements dans des résidences collectives.

6.200 ménages au-dessus de la moyenne

La couverture du pays est une chose, l’adhésion des ménages à cette vitesse en est une autre. Selon les données de l’ILR de 2020, le nombre d’abonnements à internet fixe à ultra-haut débit a doublé en quatre ans. Il se montait, en fin d’année dernière, à environ 100.000 ménages qui ont un abonnement entre 100Mbps et 1Gbps. 6.200 ménages ont même un abonnement supérieur à 1Gbps… alors même que l’on sait que, techniquement, on ne peut pas offrir ce débit à des ménages pour l’instant. Une situation assez simple à comprendre: au début de la pandémie, le Lucix, nœud par lequel passent 80% du trafic luxembourgeois, a été redimensionné pour permettre un débit global de 300 à 800 gigabits par seconde, bien au-dessus du record de trafic enregistré un dimanche soir de novembre 2020 à 277Gbps.

Ces ménages ont-ils accès au haut débit qu’on leur promet? Deux éléments éclairent cette problématique. , le nombre de vérifications du débit a dépassé, en mars 2020, celui du mois de février de plus de 40%. Il est même monté au-delà de 10.000 mesures de particuliers en juillet, avant de redescendre. Autrement dit, de nombreux utilisateurs ont dû avoir assez de problèmes chez eux pour douter de la vitesse de leur réseau habituel au point de vérifier.

Ensuite, sous la pression de l’Union européenne, les opérateurs télécoms sont tenus de publier la réalité du débit qu’ils commercialisent. Les documents sur la «net neutrality» sont parfois difficiles à trouver: ils sont , , .

Un débit réel entre 30% et 90%

Que disent ces documents? Que le débit promis par les opérateurs n’est pas forcément tenu. En heures creuses, on est plutôt entre 70% et 90% du débit maximal promis et entre 30% et 70% en heures pleines. Autrement dit, pour tous les abonnements intermédiaires et utilisés en heures pleines, il ne faut pas s’attendre forcément à faire partie des mieux connectés du pays. «Même si la fibre délivre des performances à peu près toujours stables et proches de ce qui est commercialisé», nuance M. Kohll.

Évidemment, dans ce contexte, tout joue un rôle, rappellent tous les opérateurs. «Ces débits peuvent être influencés par les facteurs suivants», indique Luxembourg Online sur son site internet: «La distance entre l’adresse du client et le point de raccordement (principalement pour la technologie xDSL); l’état de charge du réseau; l’installation du client (câblage interne, terminal utilisé); la connexion simultanée par le client de plusieurs terminaux; le type de connexion (LAN, wifi, courant porteur) ou même les horaires.»

La transition à la fibre optique s’accélère, mais les réticents ont peut-être une autre raison. Quand Post tire des câbles de fibre optique, elle interroge tous les habitants de la rue pour savoir s’ils veulent de la fibre. Si la réponse est négative, la rue est «couverte», pour reprendre la terminologie du Premier ministre, mais pas l’immeuble ou la maison qui a dit non. Soit parce que les habitants n’en voient pas l’utilité, soit parce qu’ils sont locataires de propriétaires qui ne sont pas décidés.

Un cher raccordement tardif

Souvent une erreur stratégique, note l’ILR: l’installation que propose Post lorsqu’il appelle les habitants est gratuite. Elle est ensuite facturée, parfois très cher. Le tarif de l’opérateur historique est de 1.800 euros, mais il faut toujours passer par un devis. «Le Luxembourg a choisi de ne pas laisser les câbles apparents», explique le directeur de l’ILR. «Du coup, soit il faut parfois rejoindre la maison quand on parle de maison, soit faire passer ces câbles le long de l’escalier pour connecter chacun des appartements.»

C’est probablement pour cela que le gouvernement veut à la fois convaincre les propriétaires et les syndicats de copropriétaires, mais aussi apporter une aide aux ménages les moins favorisés. «Dans une phase initiale, nous avons prévu au budget 2022 une somme de 7,7 millions d’euros pour mettre en œuvre cette stratégie», a indiqué le Premier ministre à la Chambre des députés.

De quoi permettre à tous les ménages d’en finir avec l’inconfort, avec des réunions sur Zoom (1,2 à 1,8Mbps au minimum et 20 à 30% si on utilise un VPN pour des raisons de sécurité) en même temps que l’aîné qui joue à Fortnite (100Mbps), que la petite qui regarde Netflix (de 5 à 25Mbps) et madame qui effectue des recherches sur internet (10Mbps). Des chiffres tout à fait indicatifs qui peuvent monter très rapidement quand on échange des vidéos, des photos, qu’on a des drives qui tournent en arrière-plan ou que l’on veut de la qualité 4K pour son film.

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