Partage d’expérience: l’expertise acquise dans les Ucits bénéficie à la montée en puissance de l’alternatif. (Photo: Mike Zenari)

Partage d’expérience: l’expertise acquise dans les Ucits bénéficie à la montée en puissance de l’alternatif. (Photo: Mike Zenari)

Avec un patrimoine global de 4.214,030 milliards d’euros (organismes de placement collectif, fonds d’investissement spécialisés et sicar) au 31 janvier 2018, la bonne santé de l’industrie des fonds au Luxembourg semble être une évidence. Et pourtant, tout a commencé sur un pari, ou plutôt l’anticipation d’une directive qui allait devenir une véritable marque nationale: Ucits (pour organisme de placement collectif en valeurs mobilières, OPCVM en français).

Le 30 mars 2018, il y aura exactement 30 ans que la loi transposant la directive du 20 décembre 1985 entrait en vigueur au Luxembourg. Le marché européen des fonds d’investissement n’avait, à cette époque, de transfrontalier que l’appellation. «On oublie souvent de mentionner qu’il n’y avait pas vraiment de loi spécifique régissant le secteur avant 1983, rappelle Germain Birgen, head of business development, professional banking à la Banque de Luxembourg. En 1983, le législateur de l’époque n’avait pas voulu tout inventer, mais s’était justement basé sur le projet en cours de directive.»

Il a fallu une dizaine d’années pour que le marché s’établisse.

Lucienne Andring, senior business development manager, professional banking, à la Banque de Luxembourg

Pour être devenu trois décennies plus tard le deuxième plus grand centre mondial – derrière les États-Unis – de distribution de fonds, le Luxembourg a su tirer profit de son statut d’early adopter et compter sur une promotion groupée, sous la houlette de l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi), créée en novembre 1988. La Banque de Luxembourg fut parmi les premiers acteurs à se lancer dans ce qu’on pourrait qualifier aujourd’hui d’aventure en mode start-up. «Nous combinions plusieurs casquettes, et les prospectus n’avaient rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui, se souvient Germain Birgen. Certains professionnels ne croyaient pas au concept, les banquiers privés voyaient d’ailleurs l’arrivée de la gestion collective comme une menace potentielle pour leur métier.»

Il sera intéressant de voir si et comment la jeune génération compte rejoindre des produits collectifs.

Germain Birgen, head of business development, professional banking à la Banque de Luxembourg

Après le lancement, l’expansion s’est d’abord effectuée vers les pays voisins. «Il a fallu une dizaine d’années pour que le marché s’établisse, note Lucienne Andring, senior business development manager, professional banking, à la Banque de Luxembourg. Après Ucits et une deuxième version qui n’a jamais vu le jour, ce n’est que Ucits III qui, en 2002, a offert de nouvelles perspectives, dont un élargissement des investissements éligibles, par exemple les fonds de fonds et les dérivés.»

Pendant la même période, un écosystème s’est formé sur la Place. Une date marquante fut la création en 1996, par plusieurs banques, de l’EFA (European Fund Administration), afin de mutualiser les efforts d’administration centrale. Une vingtaine d’années plus tard, la société, qui est toujours détenue par plusieurs banques (Banque de Luxembourg, BCEE, KBL epb, Oddo BHF et EFA Partners), administre 2.202 fonds et dispose d’une présence en France. Signe de l’attrait pour les produits gérés au Luxembourg, la Banque de Luxembourg a quant à elle créé une ManCo qui allait se déployer comme fournisseur de services à des tiers: Conventum Asset Management. 

Un marché mature

Trente ans plus tard, la banque privée et la gestion collective se parlent et sont même imbriquées au quotidien, tant les fonds sont partie intégrante du portefeuille des clients. «Nous avons exporté la culture de la banque privée dans le métier des fonds, note Lucienne Andring. Dans le domaine Ucits, nous travaillons essentiellement avec des gestionnaires de taille moyenne ou des clients qui recherchent un service sur mesure et à taille humaine.» 

Australie, Amérique latine, Afrique du Sud, les poches de croissance existent, même si le marché Ucits est devenu mature. «Dans les années à venir, il sera intéressant de voir si et comment la jeune génération compte rejoindre des produits collectifs vu la tendance à l’achat de titres en bourse via de nouveaux canaux, sans forcément être toujours consciente du risque», estime Germain Birgen. 

Des menaces et des opportunités

Mature, robuste, le marché Ucits voit un nouveau concurrent arriver en force: l’alternatif. «Nous avons des fonds alternatifs comme clients depuis une vingtaine d’années. En 2007, nous avons été parmi les premières banques à mettre en place un service spécialisé dédié aux fonds investissant dans des actifs de type capital-investissement et capital-risque, immobilier et dette privée, et cette activité s’est considérablement développée depuis», indique Lucienne Andring. En s’étant positionné autour de la directive AIFM, en bénéficiant de son expertise dans les Ucits et d’effets conjoncturels comme le Brexit ou l’attrait des investisseurs pour de nouveaux produits, le «momentum» alternatif se produit pour le Luxembourg. «Deux tiers de nos demandes concernent désormais l’alternatif, précise Lucienne Andring. L’investisseur est intéressé par une recherche de rentabilité et de diversification de ses actifs.»

S’adapter à la clientèle jeune, être capable de proposer des produits pour complémenter les pensions publiques en Europe, finance climatique et d’impact… L’agenda s’annonce pour le moins chargé pour les prochaines années. Avec quelques défis en ligne de mire. «Des produits nouveaux purement basés sur la technologie devront être utilisés avec une certaine prudence. Ces instruments sont souvent très éloignés de l’économie réelle», prévient Germain Birgen, qui conçoit la technologie comme support de l’industrie, et non pour remplacer ses fondamentaux.