La chute de la banque Lehman Brothers et la découverte de la vaste escroquerie de Bernard Madoff en 2008 ont prouvé qu'il restait des failles à combler sur les marchés financiers. L'Union européenne a donc développé une nouvelle version de la directive Ucits pour y répondre. (Photo: EdStock)

La chute de la banque Lehman Brothers et la découverte de la vaste escroquerie de Bernard Madoff en 2008 ont prouvé qu'il restait des failles à combler sur les marchés financiers. L'Union européenne a donc développé une nouvelle version de la directive Ucits pour y répondre. (Photo: EdStock)

Cinq ans après l’entrée en vigueur de la directive Ucits IV au niveau européen (juillet 2011), Ucits V vient renforcer la sécurité autour des fonds d’investissement de type OPCVM. La nouvelle réglementation concernant les véhicules d’investissement destinés au grand public – donc potentiellement à des gens peu initiés à l’industrie des fonds – a été présentée en 2014 par la Commission européenne avec obligation pour les États de la retranscrire dans leur propre législation pour mars 2016.

Avec un léger retard, qui contraste avec le rang de «pionnier» du pays au moment de mettre en œuvre la toute première directive du nom (en 1988), ou encore la 4e du nom (en décembre 2010), le Parlement luxembourgeois l’a adoptée fin avril et elle est inscrite dans la loi nationale depuis ce 1er juin.

Que prévoit-elle? Alors que Ucits IV visait à favoriser la distribution transfrontalière des fonds Ucits, la nouvelle directive revient sur la protection des investisseurs. «Ucits IV avait été conçue avant la crise financière. Depuis, les marchés financiers ont connu deux chocs importants : la chute de la banque Lehman Brothers en septembre 2008 et le scandale Madoff un peu plus tard», pointe Olivier Renault, directeur général adjoint de Société Générale Bank & Trust en charge du métier Titres et country manager Société Générale Securities Services.

Trois grands volets

Pour protéger au mieux les investisseurs, le législateur a modifié les règles liées au produit Ucits sur trois grands volets: la responsabilité des banques dépositaires, la politique de rémunération des sociétés de gestion et le régime de sanctions. «En fait», précise Marc-André Bechet, directeur Legal & Tax de l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi), «la Commission européenne a observé que les mesures prises par la directive AIFM à la suite de la crise, pour mieux contrôler les fonds alternatifs, allaient désormais plus loin que les règles Ucits. Elle a donc voulu les replacer au même niveau. Mais c’est une directive qui prend en compte l'évolution du secteur et qui ne représente pas une grande révolution.»

De nouvelles règles pour les banques dépositaires. Le grand changement concerne l’obligation stricte pour le dépositaire, à qui sont confiés les actifs du fonds, de pouvoir les restituer au fonds. En cas de fraude ou de perte de l’instrument financier au niveau de la chaîne de conservation, il devra faire en sorte que l’investisseur ne perde rien de sa mise. «Nous devons donc renforcer les contrôles vers les sous-dépositaires chez qui est déposée une partie des fonds sous notre responsabilité et mettre en œuvre des plans de contingence pour sécuriser les actifs», explique Olivier Renault.

Un choix qui suscite le débat. «Était-ce vraiment justifié?», s’interroge Hermann Beythan, associé, investment management group au sein du cabinet Linklaters. «On peut se demander si, en se renforçant, cette réglementation ne crée pas de barrières à l’entrée pour la profession, étant donné les montants potentiellement en jeu en cas de fraude.»

Pour Jean-Yves Maldague, CFO de la société de gestion de fonds Candriam et responsable de la division luxembourgeoise, cet aménagement législatif est logique. «Il est normal qu’ils soient responsables de problèmes éventuels au niveau de sous-dépositaires dont les investisseurs ignorent bien souvent l’existence. En revanche», note-t-il, «nous sommes vigilants face à leur volonté d’augmenter leurs tarifs en lien avec leurs nouvelles responsabilités. Aujourd’hui, nous n’y sommes pas favorables.»

L'industrie financière va devoir entrer dans un mode de fonctionnement beaucoup plus intrusif.

Olivier Renault, directeur général adjoint de Société Générale Bank & Trust

Mais des procédures existent aussi pour que les banques dépositaires puissent dénoncer des investissements de sociétés de gestion dans des pays hors Union européenne qui ne présentent pas des garanties de sécurité suffisantes. «C’est une procédure d’escalade entre le dépositaire et l’asset manager qui peut remonter jusqu’à la CSSF», explique le directeur général adjoint de SGBT en charge du métier Titres.

La politique de rémunération des sociétés de gestion. Un des buts poursuivis par Ucits V est de rendre transparentes les règles de rémunération des assets managers de la part des investisseurs. «Il a été prétendu, avec la crise financière, que certains gestionnaires ont pris trop de risques», explique Marc-André Bechet. «La Commission a donc voulu s’assurer qu’ils n’aillent pas trop loin, qu’ils ne prennent pas de risques susceptibles de mettre en péril l’intégrité des marchés financiers dans le but de générer une bonne performance.» Une mesure qui avait déjà été intégrée dans la directive AIFM et qui, à quelques éléments près, a été collée dans Ucits V.

«On peut à nouveau se demander si cette mesure a du sens», souligne Hermann Beythan. «Le produit Ucits bénéficie déjà d’un certain nombre de caractéristiques destinées à en faire un produit sûr pour l’investisseur. Il ne se prête pas à la prise de risques. Mais la protection contre les excès est pour l’instant une tendance généralisée dans le secteur financier et, dans le cas de Ucits, ces mesures ne sont pas très problématiques.»

Un régime de sanctions renforcé. «Le régime de sanctions n’est pas nouveau dans les règles Ucits», précise d’emblée monsieur Bechet. «Mais avec Ucits V, il a été très nettement renforcé et harmonisé pour éviter que les autorités nationales de supervision aient des approches divergentes.» La volonté est de renforcer le sentiment de responsabilité des acteurs du marché.

Mais certains se demandent toutefois si le législateur n’a pas poussé trop loin en prévoyant un système de publication par l’Esma, l’autorité de contrôle européenne, de l’identité des personnes prises en défaut. «La tendance est que les sanctions doivent être d’un montant et d’une nature suffisants pour faire mal», indique Hermann Beythan. Mais pour l’avocat de Linklaters, cette règle pose pourtant quelques problèmes. «Dans le droit pénal, une inscription sur le casier judiciaire n’est pas publique et s’efface après un certain délai. Dans ce cas-ci, la sanction sera visible sur internet et aucun droit à l’oubli ne sera permis. Ça me semble poser un problème au niveau des droits de l’Homme.»

Contrôles et indépendance

Au-delà de ces trois grands volets, Olivier Renault note aussi que Ucits V exige de plus grandes garanties d’indépendance entre asset managers et banques dépositaires – «cette indépendance entre les différents acteurs de la chaîne avait fait défaut dans le cas de l’affaire Madoff» – et impose des contrôles entre eux. «La nouvelle directive précise les types de contrôle sur les sous-dépositaires et, ce qui est vraiment nouveau, elle impose des procédures de due diligence croisées entre la société de management et la banque dépositaire. L’industrie financière va donc devoir entrer dans un mode de fonctionnement beaucoup plus intrusif et les acteurs vont devoir se montrer plus transparents l’un envers l’autre.» Et, en tant que responsable ultime des défauts dans le fonctionnement de la chaîne, la banque dépositaire devra se montrer particulièrement vigilante vis-à-vis des différentes entités impliquées.

Le léger retard enregistré par les autorités luxembourgeoises dans la transposition de la directive Ucits V – au moment du vote, le Grand-Duché était le 11e pays sur 28 à la transposer – a-t-il posé problème au secteur dans sa volonté de se mettre rapidement en conformité? «La CSSF avait anticipé la directive en publiant une circulaire dès 2014 qui balisait bien le terrain et qui a permis aux différents acteurs de bien se préparer», note encore Marc-André Bechet. «Dès le mois de mars, certains avaient déjà appliqué les principes de la directive et d’autres ont déjà revu les contrats en fonction, notamment, des nouvelles responsabilités des banques dépositaires.» Au niveau des asset managers, Jean-Yves Maldague se montre aussi rassurant, jugeant par ailleurs que Ucits V ne présente guère de nouvelles contraintes. «En ce qui concerne les nouvelles règles de rémunération, nous les avions déjà adoptées suite à la directive AIFM», commente-t-il. «C’est donc presque un non-événement.»

Du travail en plus

Les dépositaires se déclarent en revanche plus impactés. «Au Luxembourg, nous administrons 150 milliards d’euros d’actifs, dont 90% en fonds Ucits. Nous sommes donc fortement concernés», convient Olivier Renault de SGBT. Il pointe que le projet a mobilisé une centaine de personnes au niveau du groupe, pour comprendre la portée des changements, mettre en place les systèmes de contrôle et travailler les aspects contractuels avec les clients.

Enfin, Hermann Beythan note que, pour les avocats aussi, Ucits V a apporté un surcroît de travail. Vis-à-vis des clients pour les aider à s’adapter, mais pas seulement. «Des changements tels que Ucits et AIFM exigent aussi du temps pour comprendre les nouvelles réglementations, ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus rémunérateur, quoi qu’on en pense», sourit-il. Mais ce n’est pas non plus le but premier.

Ucits VI?
On temporise!

Les produits Ucits, nés de la volonté de l’UE de proposer un produit pour les investisseurs de base, ont eu 30 ans en 2015. «On voit donc bien que, derrière le succès actuel, il y a eu un énorme travail de maturation et d’adaptation au marché», commente Marc-André Bechet, de l’Alfi. «Ucits a progressé par essais et erreurs, mais atteint désormais un grand degré de perfectionnement.» Ce qui ne veut pas dire qu’un Ucits VI ne verra jamais le jour. Un document de discussion peu élaboré aurait déjà circulé au niveau de la Commission afin de voir dans quoi les Ucits pouvaient investir, faire le point sur les long term investment funds et lancer l’idée d’un passeport pour les banques dépositaires. À suivre… «Mon souhait est que Ucits V dure au moins 10 ans», insiste pourtant Hermann Beythan (Linklaters). Il y voit une question de confiance dans le produit, notamment hors des frontières de l’espace européen, où il est largement distribué. «Les modifications apportées par Ucits V sont justifiées, mais tout changement en soi est nuisible», argumente-t-il. À force de modifications, un jour l’autorité de contrôle de Hong Kong ou les fonds de pension chiliens finiront par s’interroger sur la pertinence d’un produit qu’ils ne comprennent plus.»