Jean-Claude Juncker a gardé pendant 27 ans le secret de l’impression d’une monnaie nationale. (Photo: Jan Hanrion/archives Maison Moderne)

Jean-Claude Juncker a gardé pendant 27 ans le secret de l’impression d’une monnaie nationale. (Photo: Jan Hanrion/archives Maison Moderne)

Cet été, Paperjam vous replonge dans les coulisses de sujets qui ont fait l’actualité de la Place en leur temps, en mettant le projecteur sur des morceaux d’histoires passés, à l’époque, sous le radar. Aujourd’hui, le retour avorté du franc luxembourgeois.

Nous avons vu la semaine dernière comment . Brûler des billets de banque n’est pas réservé aux épargnants en colère: l’État luxembourgeois, plus de 117 ans plus tard, se laissa aller à ce même exercice. En toute discrétion.

L’histoire débute en 1992, au moment de la crise du mécanisme européen de taux de change, qui a failli entraîner avec elle le tout jeune traité de Maastricht qui ouvrait la voie à la monnaie unique. Sous la pression des marchés, en septembre 1992, les Anglais se retirent – déjà… – du mécanisme de taux de change européen. La pression des marchés touchait d’autres pays qui envisageaient également de se retirer de la future monnaie unique. Comme l’Allemagne et les Pays-Bas, qui estimaient que leurs fondamentaux économiques étaient de loin beaucoup plus solides que ceux de la France et d’autres pays et refusaient de se laisser entraîner dans la crise.

Le précédent fâcheux de la dévaluation de 1982

À la manœuvre côté luxembourgeois, un tout jeune ministre des Finances: . Qui, s’il a mené les négociations en toute bonne foi pour sauver le traité de Maastricht et la future monnaie unique, s’est aussi préparé au pire. C’est ce que l’on attend d’un homme politique responsable.

Le pire? Que d’autres pays soient tentés de suivre l’Allemagne et les Pays-Bas. Notamment la Belgique, avec qui le Luxembourg était en union monétaire. Une union on ne peut plus déséquilibrée. Comme on le verra lors de la dévaluation du franc belge décidée sans concertation en 1982 à Bruxelles. Une dévaluation qui a laissé des traces dans l’inconscient des hommes politiques au Grand-Duché. C’est d’ailleurs pour affirmer son autonomie face aux développements monétaires européens et à l’attitude «cavalière» du gouvernement belge en 1982 que le législateur luxembourgeois établit en 1983 l’Institut monétaire luxembourgeois (IML), ancêtre de la Banque centrale du Luxembourg.

C’est ainsi que le Luxembourg va faire imprimer – dans le plus grand secret – 50 millions d’une nouvelle monnaie: le franc luxembourgeois. «Nous avons même mis l’image de la Grande-Duchesse Charlotte, décédée en 1985, sur la face des billets, afin de dissimuler le plus possible nos intentions. Car nous nous sommes dit: personne ne croira que nous lançons une nouvelle monnaie en Europe avec l’image de l’ancienne Grande-Duchesse», se souvient Jean-Claude Juncker.

Feu de joie

Et si celui qui devint par la suite Monsieur Euro puis président de la Commission juge à la lumière d’aujourd’hui une telle conduite «impensable, irresponsable, imprudente dans notre union monétaire», il rappelle qu’à l’époque, «dépendant de la monnaie d’un autre pays, dans le cas du Luxembourg vis-à-vis de la Belgique, et exposés aux risques des marchés, nous devions nous couvrir contre toutes les éventualités. Heureusement, le franc luxembourgeois n’a jamais dû être utilisé et, me tenant ici aujourd’hui des décennies plus tard, je rejette fermement ce genre de comportement!»

Cette histoire est restée secrète jusqu’à ce que Jean-Claude Juncker la raconte lors d’un discours donné en juin 2019 lors du forum de la Banque centrale européenne célébrant les 20 ans de l’Union économique et monétaire.

Et les billets imprimés? Ils finirent brûlés par l’armée luxembourgeoise le jour de l’introduction de l’euro le 1er janvier 1999.