De l’affaire Clearstream, on retient le côté bling-bling, la mise en cause de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Clearstream 2, également appelée EADS-Clearstream. Affaire qui avait comme double toile de fond une lutte d’influence dans l’industrie française de l’armement et l’élection présidentielle française de 2007 et qui était basée sur des listings de comptes occultes potentiellement détenus chez Clearstream par des personnalités – dont Nicolas Sarkozy. Listings qui ont transité par Denis Robert avant d’arriver à la justice quelque peu modifiés.
Mais cette affaire Clearstream 2 n’a été rendue possible que par l’affaire Clearstream 1. Une affaire lancée en 2001 par le journaliste d’investigation Denis Robert qui publie un livre titré «Révélation$» en février 2001, dont la thèse était qu’il existait au sein de Clearstream – anciennement Cedel International – un système de comptes cachés facilitant l’effacement de transactions et favorisant ainsi l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent. Une bombe dans le Landerneau à une époque où la Place luxembourgeoise était régulièrement sujette aux critiques à cause de son secret bancaire. Un secret bancaire en voie d’extinction, mais qui contribuait encore à la prospérité de l’activité de banque privée. Et suscitait des rancœurs.
Clearstream s’est défendu bec et ongles pour préserver son «honneur» en multipliant les actions dans différents pays contre Denis Robert et le coauteur de «Révélation$», Ernest Backes. Sans pitié ni relâche… Au 30 novembre 2004, lorsque la justice luxembourgeoise conclut à un non-lieu concernant les allégations de blanchiment systématique, Clearstream aura dépensé en frais d’audit et de justice plus de 15 millions d’euros. Sans compter les frais de communication qui s’ensuivirent pour rétablir l’image de l’établissement.
L’affaire cachée
Au final, la justice renverra les deux camps dans les cordes: Clearstream n’aura pas facilité le blanchiment d’argent selon la justice luxembourgeoise et Denis Robert aura enquêté dans les règles de l’art selon la Cour de cassation française qui se prononce sur l’affaire en 2011.
Fin de l’affaire? Oui. Avec un regret: que l’enseignement majeur soit passé sous les radars. L’enseignement? Le fait que Clearstream était, comme toutes les chambres de compensation, un notaire des transactions financières internationales à partir duquel on pouvait suivre et remonter toutes les opérations que l’on voulait. Une possibilité qui n’a pas réellement suscité des vocations chez les parquets financiers européens à l’époque…
Entre l’affaire Clearstream 1 et l’affaire Clearstream 2, il y a eu aussi une affaire Clearstream 1,5.
Lorsque l’affaire éclate, l’ambiance n’est pas au beau fixe dans l’entreprise. Faisons un peu d’histoire: Clearstream est née Cedel International en 1970. Techniquement, c’est un dépositaire central (ICSD, pour International Central Securities Depository) dont le métier est le règlement-livraison. C’est l’organisme qui s’assure que lors de l’achat d’un titre, celui–ci est réglé par l’acheteur et effectivement délivré par le vendeur. La création de Cedel est une réaction des banques de la Place à la création par J.P. Morgan d’Euroclear à Bruxelles. La BIL était la cheville ouvrière du projet qui fédérait toutes les grandes banques de la Place, aussi bien les locales que les filiales de grands groupes internationaux.
Le rôle central de la BIL dans Cedel s’expliquait par le fait qu’elle était plus présente sur les marchés que ses consœurs. Une telle activité faisait sens pour elle et pour la Place. D’ailleurs, parmi les établissements financiers se servant le plus du service offert, figuraient les banques italiennes, en pointe sur le marché des euro-obligations florissant dans les années 70.
Duel à mort entre deux personnalités
Tout allait bien jusqu’à ce que le «loup» entre dans la bergerie. En 2000, Cedel International fusionne avec Deutsche Börse Clearing, une filiale de Deutsche Börse, l’opérateur de la Bourse de Francfort qui devient actionnaire de la nouvelle entité à hauteur de 50%. Et qui vise les 100%. Ce à quoi s’oppose fermement le CEO, André Lussi. Ses relations avec Werner Seifert, CEO de Deutsche Börse et membre du conseil d’administration de Clearstream International sont notoirement des plus mauvaises.
Et c’est dans ce contexte que sort l’ouvrage «Révélation$». Le timing peut interroger…
Mais c’est une aubaine pour Werner Seifert qui en profite pour se débarrasser d’André Lussi, écarté face au scandale et empêtré dans une enquête judiciaire pour abus de biens sociaux.
Une aubaine aussi pour les banques de la Place actionnaires de Clearstream. Dans le rouge suite à l’explosion de la bulle internet, elles vont profiter des 1,6 milliard d’euros que leur verse Deutsche Börse en juillet 2002 pour prendre la maîtrise de Clearstream et présenter des bilans propres.
Une bonne opération?
Une bonne opération? Sur le court terme, assurément. Mais les banques ont aussi perdu la maîtrise d’un outil stratégique dont les tarifs leur étaient très avantageux. Elles sont devenues de simples clientes sans influence sur la stratégie et sur la tarification. Pour Deutsche Börse, Clearstream est devenue la vache à lait qui a financé son expansion. Ce qui n’a pas empêché les plans sociaux de se multiplier. Et le centre de décision s’est déplacé à Francfort.
André Lussi a quitté le Luxembourg en 2001. Sous le coup d’une enquête lancée par le Parquet luxembourgeois en mai 2001 pour blanchiment, manque de due diligence en matière de blanchiment, faux et usages de faux, fraude au bilan et escroquerie d’impôts, il devra menacer la Cour européenne des droits de l’Homme pour être effectivement mis en examen. Et donc avoir accès aux pièces du dossier et faire avancer une procédure jusque-là dormante. Malgré le scandale.
Finalement blanchi de toutes les accusations, il viendra faire une visite «amicale» au Luxembourg en novembre 2006, invité par l’Executive Club. Pour lui, il n’y avait aucun doute: ses ennuis judiciaires étaient dus à une opération de «dirty takeover» menée par Deutsche Börse. Une piste dont il regrettait qu’elle n’ait pas été suivie par les autorités judiciaires dont la conduite et la compétence l’ont laissé amer.
D’amertume envers les actionnaires, il n’y en eut aucune trace. Gentleman. Il faut dire qu’à son départ de Clearstream, une transaction avait été conclue. «Une des plus importantes jamais signées à l’époque», comme le rapportait alors un proche du dossier.