Si les lanceurs d’alerte ont acquis leurs lettres de noblesse durant LuxLeaks, ils attendent toujours un véritable statut les protégeant. (Photo: Edouard Olszewski/archives MaisonModerne)

Si les lanceurs d’alerte ont acquis leurs lettres de noblesse durant LuxLeaks, ils attendent toujours un véritable statut les protégeant. (Photo: Edouard Olszewski/archives MaisonModerne)

Cet été, Paperjam vous replonge dans les coulisses de sujets qui ont fait l’actualité de la Place en leur temps en mettant le projecteur sur des morceaux d’histoires passés à l’époque sous le radar. Aujourd’hui, retour sur l’affaire LuxLeaks.

Au moment où LuxLeaks s’abattait sur la Place financière, l’heure était au branle-bas de combat dans les locaux de PwC Luxembourg où les pressions convergeaient.

Du 5 au 24 novembre 2014, s’ouvre une période très agitée dans la vie de PwC Luxembourg qui se conclura plutôt bien si l’on considère rétrospectivement la violence du choc qui s’abattit ce 5 novembre sur la firme d’audit. Avec la publication dans plusieurs journaux de ce que l’on allait baptiser «LuxLeaks» – la révélation de l’ampleur de la pratique des rulings à destination des grandes multinationales au Luxembourg. Une pratique parfaitement légale et utilisée dans toute l’Europe. Mais qui, au Luxembourg, se faisait à une telle échelle «industrielle» que beaucoup de personnes ont pu en être choquées.

Au cœur de la tempête se trouve PwC Luxembourg. Et même si la firme n’était pas la seule en cause – tous les Big Four étaient impliqués, même si les fuites n’étaient pas si importantes –, c’est sur elle que va se cristalliser l’attention des médias. Ce qui l’a prise de court. Une anecdote suffit pour donner l’idée de la panique qui a pu régner: une conférence de presse est organisée «à chaud» dans les nouveaux locaux de la firme à la Cloche d’Or, où elle vient d’emménager quelques jours plus tôt. Une conférence de presse pour les journalistes locaux – luxembourgeois, belges et français – durant laquelle les caméras de télévision sont interdites. Mieux: les cerbères de garde interdisent aux caméramans et aux photographes de presse de filmer la façade. Une consigne que personne ne se souvient avoir donnée, mais un tel ordre a beaucoup fait jaser…

Des erreurs de communication? On convient que certaines ont pu être faites. Comme cette conférence de presse «locale» alors que la presse internationale était très insistante pour avoir des informations, allant même jusqu’à contacter différents responsables à leur domicile.

Première vague

Pourtant, la firme n’a pas été prise à froid. Presque 2 ans plus tôt, une interview est accordée à la toute nouvelle émission d’investigation de France 2, «Cash Investigation». Et Wim Piot, le tax leader de l’époque, lors d’une interview menée par Élise Lucet, se voit mettre sous le nez des rescrits fiscaux. Ceux-là mêmes qui furent dérobés et qui seront la substance de LuxLeaks. Et il a beau expliquer que la pratique est courante et légale, qu’il s’agit de simples avis et que rien n’indique ou n’oblige à ce que la structuration sous-jacente soit réalisée – le taux de conversion atteint quand même 80% – et que pour l’essentiel ce sont des reports de fiscalité et pas un évitement pur et simple, il est «inaudible».

Au service Communication, le débriefing est rapide: on comprend vite avoir été un peu naïfs. La firme se questionne également sur la pratique des rulings. Et s’assure auprès de ses juristes et du gouvernement de la légalité des pratiques mises sur la sellette. Et on enquête évidemment sur la source du «leaks» qui sera «rapidement» identifiée.

Une fuite rendue possible, pour la petite histoire, par une particularité de Windows jusque-là non documentée par Microsoft: lorsque l’on transférait des données d’un répertoire sécurisé vers un autre répertoire sécurisé, les documents eux-mêmes n’étaient plus sécurisés.

Et on pensait en rester là. 

Une réplique sous forme de séisme

18 mois plus tard, des indices apparaissent laissant présager une seconde vague. Au printemps 2014, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) enquête au grand jour et sollicite de nombreux acteurs luxembourgeois. Dont PwC, où l’on comprend que les documents utilisés lors de la première vague ont été largement distribués et exploités.

Le timing du déclenchement de cette deuxième vague en a interrogé plus d’un: cela coïncidait avec la campagne menée par Jean-Claude Juncker pour devenir président de la Commission. Hasard, coïncidence ou manipulation? Qui peut le dire? Un fait rapporté indique que la vague de publication initiée le 4 novembre était prévue pour le mois de juin. Et que ce n’est que parce que les journaux impliqués ont eu de mal à se coordonner qu’elle se produira 5 mois plus tard. Quelques jours à peine après que la Commission Juncker eut pris ses fonctions.

La pression qui s’est abattue sur PwC à partir de ce 5 novembre a avant tout été médiatique. Et submergeante. Face à la dynamique de l’attaque, les arguments de bonne foi et de conformité réglementaire étaient inaudibles et donc indiscutables. Par le grand public. En interne, la firme communiquait également avec les autorités publiques, ses clients et ses salariés. Et le message passait mieux.

La pression du réseau

La direction de la firme a dû faire face à une autre pression, cruciale, mais méconnue: celle du réseau. PwC est un réseau d’entreprises franchisées indépendantes qui n’ont finalement en commun que la marque. Que tout membre a obligation de protéger! Le souvenir de la disparition d’Arthur Andersen restait tout chaud et certains membres du global board – l’instance internationale qui coordonne le réseau et protège la marque – avaient atteint, à l’époque, un stade aigu de paranoïa selon un observateur. Certes, le réseau ne pouvait prendre la direction de l’antenne luxembourgeoise et remplacer la direction – même si des tentations ont été rapportées –, mais ils pouvaient décider d’exclure le Luxembourg du réseau. Ce qui n’était pas un cas d’école. Et la direction a dû se battre pour éviter cela. Ce qui a sauvé le Luxembourg, c’est que le réseau ne pouvait se permettre de voir un de ses fleurons s’écrouler, «le réseau nous a soutenus parce qu’il était obligé».

Mais il aura fallu en passer des nuits au téléphone…

Au moment du déclenchement des hostilités, la question se posait de l’inauguration en grande pompe du nouveau bâtiment. Comme un symbole de la reprise en main des événements, . Un peu comme un clap de fin sur une séquence pénible, mais qui aura lancé ou accéléré différents chantiers en matière de fiscalité internationale et de statut de lanceurs d’alerte. Des chantiers qui ne sont toujours pas achevés.