Geoffrey Arend (Photo: Vincent Flamion Photography)

Geoffrey Arend (Photo: Vincent Flamion Photography)

Dans le cadre de notre opération «Luxembourg Recovery: 50 idées pour reconstruire», partagez une idée concrète, une expérience ou une mesure à mettre en œuvre pour faciliter le rebond de l’économie luxembourgeoise. Geoffrey Arend propose de soutenir l’économie réelle en mettant à profit le surplus d’épargne.

Le pitch: L’idée serait de permettre aux citoyens de soutenir directement l’économie réelle en mettant à profit leur surplus d’épargne qui, trop souvent, «dort» sur les comptes bancaires, tout en limitant le risque de perte en capital grâce à une garantie étatique. Ceci a deux objectifs. Le premier est évidemment d’apporter une solution complémentaire aux plans de stabilisation et de relance mis en place par le gouvernement pour soutenir les besoins de liquidités des entreprises affectées par la crise du Covid-19 et relancer l’activité économique après la crise. Le deuxième objectif est d’inviter les épargnants à investir une partie de leur épargne dans un projet local, social et solidaire afin qu’ils puissent eux-mêmes accroître leur pouvoir d’achat en ayant une rentabilité de leur épargne supérieure à l’inflation.

L’idée: Soulager les besoins urgents de liquidités des entreprises touchées par l’arrêt brutal de leur activité et établir un plan de relance de l’activité économique après la crise sont une priorité pour le gouvernement. Aussi bien au Luxembourg qu’en Europe, un grand nombre de mesures ont déjà été créées pour soutenir l’économie réelle, préserver l’emploi et assurer la solvabilité des entreprises impactées par le confinement. Toutes ces mesures sont évidemment essentielles, même si elles ont un coût non négligeable qui se répercutera à moyen terme sur la population. Bien que les États et les banques centrales soient prêts à ouvrir les vannes autant que nécessaire, il faut multiplier les partenariats publics et privés pour réactiver la machine économique durablement à l’instar de l’arrangement entre l’État et les principales banques luxembourgeoises pour apporter une solution de prêts garantis.

Il existe une ressource massive de liquidités en Europe qui était déjà bien trop peu utilisée avant cette crise et qui le deviendra certainement encore plus après si nous ne faisons rien, il s’agit de l’épargne de la population. Plus exactement, le surplus d’épargne qui «dort» sur des comptes bancaires non rémunérés (ou très peu) depuis que les taux d’intérêt sont bas ou négatifs. La baisse des taux devait à l’origine être temporaire, mais elle dure déjà depuis plus de 10 ans. La BCE a en effet baissé son taux directeur à 1% après la crise financière de 2008 et a continué à le diminuer ensuite jusqu’à passer en taux négatifs en 2016. Avec la crise que nous connaissons aujourd’hui et l’afflux massif de liquidités injecté par les banques centrales, il est très probable que les taux négatifs ou proches de zéro perdurent encore plusieurs années. Une rentabilité d’épargne nulle ou inférieure à l’inflation engendre une perte de pouvoir d’achat. Ce qui n’est ni productif pour les épargnants ni pour l’économie globale.

De plus, les banques sont de moins en moins enclines à accumuler les dépôts puisqu’elles doivent placer leur excédent de liquidité à taux négatifs auprès des banques centrales. Beaucoup d’épargnants sont en position d’attente depuis toutes ces années en pensant qu’un jour les taux vont repartir à la hausse. Même si la tendance peut en effet s’inverser un jour, elle est peu probable à moyen terme. Par conséquent, il est grand temps de mettre à profit ces liquidités dès aujourd’hui dans l’intérêt commun. La crise d’aujourd’hui va certainement changer nos comportements à plusieurs niveaux et notamment renforcer le sentiment que nous devons maintenir une épargne de précaution pour faire face aux situations d’urgence. Cependant, le surplus de l’épargne doit pouvoir être investi d’une manière ou d’une autre dans l’économie et obtenir une rémunération supérieure à l’inflation.

La raison principale de ces comptes «dormants» est bien sûr la peur des épargnants de perdre du capital. En effet, l’offre d’épargne est très étendue aujourd’hui et parfois complexe, mais la rémunération de l’épargne sur des produits avec garantie en capital est très faible, voire négative. D’ailleurs, très souvent, votre banquier va mettre en avant la déduction fiscale de ces produits plutôt que leur rendement qui est devenu marginal. Afin de faire face à la crise, le gouvernement luxembourgeois envisage de lancer un emprunt public de 3 milliards d’euros, mais avec une note AAA du Luxembourg, la rémunération de ce produit sera certainement proche de zéro. Seuls les investisseurs institutionnels seront intéressés par cette souscription. Il faut stimuler la population à investir une partie de leur épargne dans l’économie réelle. Attention, nous ne parlons pas ici de stimuler l’épargne des grandes fortunes qui, elles, ont accès à une multitude d’instruments pour faire fructifier leur patrimoine. Bien qu’ouvert à tous, la cible ici serait plutôt le grand public avec un surplus d’épargne.

Les Européens et les Luxembourgeois en particulier sont des champions de l’épargne. Au-delà de l’improductivité, cette situation est frustrante pour tout épargnant. Le niveau des dépôts à vue et comptes épargne réglementés atteint des sommets en Europe. Les Luxembourgeois et ses pays voisins ont les taux d’épargne les plus élevés en Europe. Bien que nous soyons tous égaux face à la crise sanitaire, il est important de mettre en évidence que nous ne sommes pas tous égaux face à la crise sociale et économique qui en résulte: ceux qui n’ont pas été économiquement impactés (ou légèrement) et qui ont des surplus de liquidités devraient être incités à participer à la relance économique. Pour donner un ordre de grandeur, il y a plusieurs dizaines de milliards qui «dorment» sur les comptes bancaires des ménages luxembourgeois et des milliers de milliards au niveau européen.

En France, les dépôts bancaires s’élèvent à plus de 1.000 milliards d’euros. En Allemagne, on parle d’un montant de liquidité supérieur à 2.000 milliards. En Belgique, les comptes épargne réglementés avoisinent les 280 milliards d’euros. Quand on compare les chiffres de l’épargne à l’enveloppe de prêts garantis par l’État et les banques luxembourgeoises d’un montant de 2,94 milliards d’euros, ou encore au plan de relance mis en place par l’Europe qui est de 540 milliards, on se rend compte que même une petite partie de ces liquidités «dormantes» pourrait avoir un impact significatif au niveau local et européen. Toutes les ressources financières excédentaires devraient «travailler», d’autant plus que les dispositifs de liquidité mis en place aujourd’hui par les gouvernements servent à répondre à l’urgence et qu’ils ne seront pas suffisants en sortie de crise. D’ailleurs, le plan de relance européen pourrait, lui, dépasser les 1.000 milliards d’euros.

Il faut accepter que le livret d’épargne traditionnel que nos parents ou grands-parents ont connu est peut-être révolu. La génération Z n’épargnera pas de la même façon que nous l’avons fait ces dernières décennies et elle aura besoin de solutions qui répondent à leurs besoins et qui sont en phase avec leurs attentes. Il faut donc réinventer aujourd’hui l’épargne populaire de demain et les gouvernements ont un grand rôle à jouer pour changer les habitudes des citoyens et moderniser cette épargne. Des débats politiques et académiques existent autour de cette épargne excessive en Europe depuis un certain temps, mais les actions manquent. La crise d’aujourd’hui est une opportunité pour réfléchir à la mise en place d’un grand mécanisme de financement innovant et solidaire, profitable aux entreprises en difficulté et aux épargnants. Le périmètre du projet pourrait être élargi aux financements d’infrastructures publiques, de transition énergétique ou encore de logements sociaux.

Grâce à la technologie et à l’essor des fintech, des solutions innovantes arrivent sur le marché pour répondre à ce problème en donnant une alternative de placement aux épargnants. Mon idée est d’aller encore plus loin avec une solution qui incite les citoyens à mobiliser leur épargne dans des entreprises locales affectées par la crise du coronavirus. Beaucoup de citoyens seraient heureux de pourvoir contribuer à la relance économique de leur région, mais ils se sentent souvent impuissants. En leur permettant d’investir dans des entreprises locales sous forme de prêts à capital garanti par l’État à hauteur de 80% par exemple (l’État garantit 85% dans l’arrangement avec les banques luxembourgeoises), cela apporterait un coussin de liquidités supplémentaires pour les entreprises concernées tout en donnant un sens à la rémunération de l’épargne.

Ce qui devrait également stimuler le réinvestissement dans l’économie réelle à terme par augmentation du pouvoir d’achat. Évidemment, il y aurait dans mon exemple un risque de 20% de perte en capital à supporter par l’épargnant si l’emprunteur faisait défaut. Cependant, ce risque serait réduit par la diversification des prêts accordés. Avec un montant d’investissement minimal assez faible pour l’épargnant (exemple 500 euros minimum), une diversification de portefeuille adéquate pourrait être mise en place pour diminuer ce risque. Ce qui ne me semble pas déraisonnable pour obtenir un rendement de l’ordre de 2 à 3% de son épargne. Je préconise un mécanisme de prêt classique plutôt qu’un autre instrument de dette ou de capital, pour avoir un instrument simple, compréhensible de tous et rapide à mettre en place. Comme dans le cadre des prêts bancaires garantis par l’État, l’emprunteur ne devrait pas apporter de garantie, mais le coût de la prime de garantie serait à sa charge. Des mesures fiscales sur l’exonération des intérêts perçus sur ces prêts pourraient également être prises pour augmenter l’attractivité du produit dans le chef des épargnants.

L’enjeu est de pouvoir permettre la mise en relation des épargnants et des entreprises dans un cadre sécurisé, juridique et réglementaire pour atteindre l’objectif des deux parties tout en ayant le support de l’État pour l’émission des garanties. Avec le soutien de l’Union européenne et notamment le Fonds européen d’investissement, ce modèle pourrait aller au-delà de nos frontières. Une plate-forme de type ‘crowdlending’ (comme il en existe déjà plusieurs en Europe) serait ici adéquate pour la mise en place d’un tel modèle. La plate-forme agirait en tant qu’intermédiaire fiduciaire de l’opération de prêt, de sa structuration jusqu’à son échéance. Le rôle de la plate-forme serait non seulement d’analyser et de sélectionner les dossiers crédit avant de les proposer aux épargnants, mais aussi d’assurer la confidentialité de certaines informations et la gestion des flux entre les parties. De la même manière que pour les prêts bancaires garantis par l’État, la plate-forme s’assurerait également de l’éligibilité des emprunteurs. L’objectif ne serait évidemment pas de concurrencer les banques sur le marché du crédit aux entreprises, mais au contraire d’apporter une offre complémentaire de financement dans un cadre spécifique.

Il n’y a pas une solution unique à cette crise sans précédent, mais une multitude de mesures publiques et privées, grandes et petites, nous permettront de réanimer notre économie. C’est aussi une opportunité énorme de repenser le système d’aujourd’hui pour améliorer notre futur commun. Dans un monde où la technologie a bouleversé nos habitudes et comportements en peu de temps, il faut continuer à développer des solutions innovantes pour reconstruire nos fondations, les adapter au monde de demain et utiliser les ressources là où elles se trouvent. Créer une plate-forme de ‘crowdlending’ à capital garanti pour financer l’économie réelle donnerait du sens à bon nombre d’épargnants dans une démarche sociale, solidaire et financière.

L’auteur: Geoffrey Arend

Toutes les idées sont bonnes à prendre, nous ne souhaitons restreindre ni votre réflexion ni votre imagination. Si, comme Geoffrey Arend, vous souhaitez contribuer à cette initiative, vous pouvez nous envoyer votre idée sous ce format:

- un mot-clé, par exemple: fiscalité;

- un titre explicite, par exemple: baisser la TVA dans la restauration;

- un résumé en 300 signes maximum;

- un développement en 3.000 signes maximum;

- une photo de vous qui permettra d’illustrer l’article sur paperjam.lu.

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