14 heures, c’est l’heure du briefing par le responsable médical du Centre de soins avancés de Luxexpo The Box. Face à des volontaires, il faut s’assurer que tout le monde a bien les consignes en tête. La guerre contre le virus se gagne là. (Photo: Romain Gamba)

14 heures, c’est l’heure du briefing par le responsable médical du Centre de soins avancés de Luxexpo The Box. Face à des volontaires, il faut s’assurer que tout le monde a bien les consignes en tête. La guerre contre le virus se gagne là. (Photo: Romain Gamba)

Le centre de soins avancés du Kirchberg, situé à Luxexpo The Box, a exceptionnellement ouvert ses portes à la presse lundi après-midi. Mise sur pied par le ministère de la Santé, installée avec l’armée, animée par des bénévoles, l’infrastructure doit désengorger les hôpitaux. Visite des avant-postes.

«Building original experiences», disent les affiches placardées à l’extérieur de Luxexpo The Box. Rarement la promesse n’aura été aussi adaptée à la situation. Exactement un mois après un Festival des migrations largement privé de sa bonne ambiance, déjà pour cause de coronavirus, l’endroit est devenu . Le contraste est saisissant.

Indifférente aux consignes de distanciation, une bise glaciale embrasse forces de sécurité, patients sur deux files et souvent en voiture, selon qu’ils aient ou non déjà effectué une téléconsultation, et journalistes venus se rendre compte de la transformation de l’endroit.

Il est 13h15, les drapeaux luxembourgeois et européens claquent au bas des escaliers. L’équipe de l’après-midi arrive au compte-gouttes et va prendre son service de 14 heures à 20 heures. Ces volontaires se sont inscrits très vite . Certains ont éloigné femme et enfants pour ne prendre aucun risque. D’autres ont, comme de nombreux infirmiers ou membres du personnel de santé, créé un sas de décompression chez eux, pour déposer tous leurs vêtements et se laver.

Moins de 38 degrés, visa pour travailler

Étudiants, fonctionnaires ou simples citoyens désireux de donner un coup de main, tous commencent par se plier aux règles d’hygiène. Lavage des mains et thermomètre frontal. 38 degrés est synonyme de retour à la maison. Un peu moins, qu’il va falloir surveiller sa température.

Lorsqu’ils ont inscrit leur nom et prénom, histoire que le coordinateur «ressources humaines» puisse vérifier l’état des troupes, ces citoyens engagés passent dans une tente où ils endossent tenue verte, protection pour les chaussures, masque et charlotte. Rien ne dépasse, sous l’œil de Fabien Zuili. Cet ancien membre des forces spéciales françaises et entrepreneur, installé au Luxembourg depuis 30 ans, veille au grain.

Le Corse est l’un des quatre «jokers» sortis de sa manche par le Dr Pierre Hertz, le coordinateur des centres de soins avancés.

Fabien Zuili raconte qui il est, ce que permet ce centre, de quoi il manque et ce qui l’a déjà marqué:

La conversation s’arrête là. Des yeux humides fendent le masque de l’homme de fer. Les journées ont été longues depuis que cette mission a commencé.

Le docteur Hertz, spécialiste des situations de crise, avait lancé une proposition de service. Jeudi matin, un mail le convoque à une réunion de crise avec la ministre de la Santé et toute une série d’acteurs. Une idée se dégage: créer des centres de soins pour délester l’accueil des hôpitaux, où vont se mélanger les personnes contaminées, les patients urgents et ceux qui viennent pour des soins récurrents.

24 heures pour un concept validé

«Le staff m’a donné la soirée et la nuit pour présenter un plan de CSA qui puisse être validé», raconte le coordinateur des quatre centres. 

Le vendredi, le ministère donne son «go» à l’opération et réunit autour de la table les dirigeants de Luxexpo The Box, de la Ville de Luxembourg, de l’armée, des fonctionnaires et quelques bénévoles. Les modules sont commandés et montés dans la foulée.

C’est une aventure humaine, triste. Mais je suis fier de travailler avec tous ces bénévoles!
Fabien Zuili

Fabien Zuilidirecteur du centre de soins avancés de Luxexpo The Box

Les bénévoles portent un badge de quatre couleurs différentes: le rouge pour ceux qui ont des compétences médicales, le bleu pour l’infirmerie, le jaune pour l’administration et le vert pour la coordination. Le lundi 23 mars, le premier des quatre centres ouvre à 14 heures.

«Les CSA fonctionnent du matin au soir. C’est une grande famille», assure le Dr Hertz. «Nous avons établi des services de quatre jours suivis de quatre jours de repos, comme ça, ça nous permet de détecter ceux qui risqueraient d’être infectés. Nous avons deux principes de fonctionnement: le pragmatisme prévaut sur la théorie et la priorité est la sécurité des personnels et des patients.»

1.500 personnes en consultation la première semaine

Très vite, il tire un premier enseignement. «On a des plans de catastrophe, on y est préparés. Par contre, pour l’épidémie, on n’est jamais assez bien préparé! Chacun peut contaminer l’autre, c’est le point-clé.»

Outre les consignes à leur arrivée, les volontaires ont le droit à un briefing technique du responsable médical, Thierry, à chaque prise de service. «Il s’agit que tout le monde se souvienne bien des consignes. En plus, nous ne savons pas si nous avons déjà eu l’occasion de les donner à chaque personne face à nous. Il faut les répéter.»

Car pour l’instant, 140 personnes font tourner ces centres. Une vingtaine de volontaires, quatre permanents, quatre chargés de la logistique et des RH, et quatre personnes du ministère de la Santé ou de la cellule logistique par centre.

La première semaine, particulière puisque les quatre centres n’ont pas démarré en même temps mais les uns après les autres, 1.500 personnes sont venues consulter, sans que l’augmentation soit perceptible. Ils étaient 370 vendredi et 240 dimanche. 37 sont repartis en ambulance vers un hôpital. «Je pense que ça va monter», dit sobrement le responsable de la coordination.

Et les quatre centres seront prêts à faire face. Au total, 36 lignes de contrôle peuvent tester 36 personnes en même temps sur les quatre lieux. À 10 minutes par patient et 12 heures d’ouverture, explique-t-il, «cela nous permet de traiter 2.160 personnes par jour. Nous pouvons rajouter huit lignes ici et quatre à Esch si jamais nous en avions besoin. Et il nous reste des possibilités de monter encore en puissance, en réduisant le temps passé par patient, en allongeant la durée d’ouverture des centres ou même en travaillant 24 heures sur 24.»

La question est de savoir à quel carrefour nous allons tourner, à gauche ou à droite, pour nous éloigner de la route des statistiques de l’Espagne ou de l’Italie.

Pierre Hertzcoordinateur des centres de soins avancés

«J’espère que nous n’aurons pas à en arriver là!», murmure-t-il aussitôt. «La question est de savoir à quel carrefour nous allons tourner, à gauche ou à droite, pour nous éloigner de la route des statistiques de l’Espagne ou de l’Italie. Ce n’est que là que nous verrons si le confinement a eu un impact positif. Le choix est difficile pour le politique: soit le confinement et les risques humains et économiques d’un confinement plus ou moins strict, soit comme au Royaume-Uni, l’absence de ces mesures et le risque de devoir gérer un afflux massif de patients vers les hôpitaux. On peut déjà voir comment les Britanniques ont évolué.»

Pierre Hertz, médecin spécialiste des situations de catastrophe, est le coordinateur des quatre centres de soins avancés. (Photo: Romain Gamba)

Pierre Hertz, médecin spécialiste des situations de catastrophe, est le coordinateur des quatre centres de soins avancés. (Photo: Romain Gamba)

Derrière se pose une autre question: celle de l’immunisation collective. Confiné, ça veut dire pouvoir mieux gérer les patients. Mais à la fin de la période de crise, la population pourrait être plus exposée à un retour du virus. «Tout va dépendre du taux d’anticorps, cela peut prendre plusieurs semaines. Et il va falloir bien préparer la sortie», dit encore le médecin.

Dans le hall 2B, à droite en entrant dans Luxexpo The Box, l’équipe de l’après-midi est en poste. Les patients arrivent près des tentes militaires, sont accueillis par une infirmière et éventuellement vont chez un médecin. Les tests, ici, sont gérés par Bionext Lab. Aussi vite que possible.

L’ordre règne encore. Les coordinateurs vont pouvoir aller manger et se reposer un moment. Sur les murs, les numéros importants, les protocoles importants. «Il y a du café», lance l’ancien militaire, soucieux à chaque phrase de maintenir une cohésion d’équipe. Pour durer. Vivement que Luxexpo The Box puisse retrouver ces brouhahas et autres salons du vin, de la gastronomie ou des vacances.