La matinée de jeudi au congrès de l’UIA était consacrée à trois panels sur des sujets liés à l’innovation dans le droit. (Photo: Paperjam)

La matinée de jeudi au congrès de l’UIA était consacrée à trois panels sur des sujets liés à l’innovation dans le droit. (Photo: Paperjam)

La digitalisation interpelle aussi les métiers juridiques, amenés à en tirer profit, après une phase d’incertitude méfiante.

«Les legaltech sont aux avocats ce qu’étaient [pour eux] les bibliothèques hier», assure Jean-Pierre Buyle, ancien bâtonnier de Bruxelles, président de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone de Belgique, en préambule au panel dédié à l’innovation dans les services juridiques. Après une phase d’«évangélisation» des barreaux, «elles ont aujourd’hui pris leur place, et sont incontournables et irrésistibles». Si les avocats européens n’ont pas de géant, à l’image de Rocket Lawyer ou Lawcracy aux États-Unis, ils ne pourront bientôt plus se passer de l’intelligence artificielle.

«Un tiers des legaltech interviennent dans le domaine de l’intermédiation: recherche d’avocats, plates-formes de mise en relation avocat-client ou entre avocats, etc.», poursuit Me Buyle. «Ces plates-formes de booking pèsent sur le référencement des avocats», avec des effets comparables aux plates-formes de réservation hôtelière. «Les hôtels ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 20% grâce aux appréciations, ainsi que leur taux de remplissage, tandis que leurs services se sont améliorés.» Ceci pose tout de même le problème du partage de la rémunération, interdit par une majorité de barreaux, mais contournable via une participation aux frais de la plate-forme, par exemple.

C’est l’occasion pour l’avocat de se réinventer, voire d’inventer de nouvelles prestations de droit, en déplaçant sa valeur ajoutée.

Dan Kohndirecteur de la prospective et de l’innovationSecib

D’autres legaltech se définissent par la production et la documentation juridiques. «Demain, ce sont les clients qui exigeront de vous une connaissance de ces marchés, puisque cela signifie moins d’heures à facturer et une efficacité accrue des services juridiques», prévient l’ancien bâtonnier du Barreau de Bruxelles.

Dernière catégorie de legaltech: celles qui fournissent une aide à la décision à travers le stockage d’informations, la documentation, des outils rétrospectifs des décisions de justice permettant de comprendre comment un juge est arrivé à prendre une décision, et donc comment orienter une stratégie.

«Il existe une vraie complémentarité entre l’avocat et la legaltech», milite Dan Kohn, directeur de la prospective et de l’innovation du groupe Secib, qui équipe 3.000 cabinets avec ses solutions pour avocats. Au point qu’il préfère parler d’«avocat augmenté» plutôt que d’intelligence artificielle. Le professionnel du droit peut ainsi s’appuyer sur des solutions analytiques, des traitements de données, d’un tableau de bord… «C’est un acteur économique qui, grâce à l’intelligence artificielle, acquiert une plus grande attractivité et devient un stratégiste. Il bascule en entrepreneur du droit, et c’est l’occasion pour lui de se réinventer, voire d’inventer de nouvelles prestations de droit, en déplaçant sa valeur ajoutée.»

Nous sommes là pour limiter les tâches répétitives.

Michael Rigalisenior consultant et project managerPixelixir

Exemple concret: le législateur français a ouvert la gestion du registre des titres par la blockchain, conduisant l’été dernier à la première opération immobilière au moyen d’une plate-forme réunissant les différents acteurs (avocats, notaires…).

Si l’objectif ne doit pas être la prédictibilité – «inaccessible», assure Vincent Henderson, head of legal analytics global product development chez Wolters Kluwer Legal & Regulatory –, la technologie permet déjà de «formaliser le flux de travail» afin de façonner des solutions adaptées, qui utiliseront certains outils comme des robots voués à capturer de l’information comme ceux développés par le fournisseur de solutions IT belgo-luxembourgeois Pixelixir. «Vous recevez énormément d’informations et de données», explique Michael Rigali, senior consultant et project manager de l’entreprise. «Nous sommes là pour limiter les tâches répétitives.»

Dans des États peu démocratiques, la justice ou la police peuvent utiliser ces mêmes moyens pour dresser une liste de personnes dangereuses.

Alex SchmittpartnerBonn & Schmitt

C’est aux États-Unis que les outils les plus sophistiqués ont été développés, avec une technologie capable de définir comment tel juge a pris sa décision, et donc d’indiquer quels arguments seront les plus susceptibles d’être entendus par ce juge. «Mais la décision d’utiliser ces données dépend tout de même de l’avocat, et pas de l’intelligence artificielle», insiste Ian McDougall, vice-président exécutif et general counsel chez LexisNexis.

Même les gouvernements s’y mettent, souligne le modérateur Alex Schmitt (Bonn & Schmitt), brandissant un article du Figaro détaillant comment le ministère français des Finances utilise le data mining pour dénicher des fraudeurs potentiels. «Dans des États peu démocratiques, la justice ou la police peuvent utiliser ces mêmes moyens pour dresser une liste de personnes dangereuses», glisse-t-il. D’où le rôle plus que jamais indispensable des avocats garants de l’État de droit – ce que des robots ne pourront pas concurrencer.