K Health permet d’«éliminer» les malades qui n’ont pas vraiment besoin de voir un médecin… et d’en voir un plus facilement et pour beaucoup moins cher. (Photo: Shutterstock)

K Health permet d’«éliminer» les malades qui n’ont pas vraiment besoin de voir un médecin… et d’en voir un plus facilement et pour beaucoup moins cher. (Photo: Shutterstock)

Mangrove a encore eu le nez creux. Le jour de 2016 où Allon Bloch, ex-CEO de Wix, lui a parlé de son idée d’application pour avoir accès à un «diagnostic», le VC luxembourgeois a dit banco. Cinq ans plus tard, K Health est devenue une licorne, après une levée de fonds de 132 millions de dollars.

Une tempête électrique dans le cœur. Ce jour de 2010 qui laissera son père handicapé pendant huit ans avant son décès, Allon Bloch ne l’oubliera jamais.

Les questions se succèdent. En rafale. Comment a-t-il pu passer à côté du fait que son père prenait un traitement? Pourquoi n’a-t-il jamais imaginé, pas plus que son père, que ce traitement nécessitait d’être adapté en permanence en fonction de ses paramètres vitaux? Et pourquoi personne ne leur avait jamais parlé de la possibilité d’acheter l’appareil utile à cette adaptation pour quelques centaines de dollars? Pourquoi est-il si difficile de trouver des informations pertinentes à propos de sa propre santé? Et comment y remédier?

«Ce n’est encore qu’une idée, en 2016, quand il nous en parle», se souvient Yannick Oswald, principal chez Mangrove Capital Partners. Le VC luxembourgeois, qui connaît le CEO de Wix – et pour cause, il a aussi investi très tôt dans ce concurrent de WordPress – décide de lui donner ses premiers moyens financiers.

400 millions de données médicales

La semaine dernière, cinq ans plus tard, et seulement deux ans après le lancement de son application, la start-up basée aux États-Unis et qui garde une boutique à la rue Peternelchen, à la Cloche d’Or, a levé 132 millions de dollars dans une série E qui la valorise à plus de 1,4 milliard de dollars. Tour auquel Mangrove n’a pas participé. «Pourtant», explique M. Oswald, «K Health est un projet qui va aller beaucoup plus loin que Skype ou que Wix».

Depuis son idée, Allon Bloch a réuni autour de lui des médecins et des développeurs… et peut puiser dans une base de 400 millions de données médicales. 20 ans de notes de médecins, de résultats de laboratoires, de traitements, d’antécédents médicaux et de prescriptions, collectés avec soin par Maccabi, la deuxième plus grande HMO (health maintenance organisation) d’Israël, et anonymisés.

Allon Bloch a eu l’idée de l’application après l’attaque cardiaque de son père et sa prise de conscience de la difficulté d’obtenir des informations médicales fiables. (Photo: K Health)

Allon Bloch a eu l’idée de l’application après l’attaque cardiaque de son père et sa prise de conscience de la difficulté d’obtenir des informations médicales fiables. (Photo: K Health)

K Health est une application gratuite, où le patient va décrire les symptômes qu’il ressent, avec une granularité assez fine. Par exemple, il est possible d’y désigner précisément à quelle partie de la tête on a mal. Au fur et à mesure des symptômes, grâce à l’intelligence artificielle nourrie avec les données, le patient va savoir s’il lui faut consulter un médecin ou s’il peut s’en passer. «Seul un malade sur 10 a vraiment besoin de voir un médecin», assure M. Oswald.

Un abonnement à 9 dollars

Dans nos systèmes de sécurité sociale européens, le même patient serait passé voir le médecin, aurait attendu dans la salle d’attente, aurait pris de son temps, pour finalement repartir avec quelques médicaments souvent sans autre intérêt que de faire passer la fièvre ou le mal de tête, d’alléger ses nuits ou de doper ses vitamines.

Dans K Health, le patient peut décider d’être mis en relation avec un des 200 médecins qui ont décidé, parfois, d’abandonner leur clinique pour travailler uniquement en ligne. Avec un abonnement mensuel à 9 dollars, que la start-up veut passer à 5 dollars, le malade a accès à un médecin qu’il ne pouvait pas joindre dans la réalité des systèmes de santé américains, par exemple. «Aujourd’hui, l’application compte 4 millions d’abonnés et 200 médecins; aucun système de santé ne peut rivaliser. Et les médecins ne sont mis en relation qu’avec des malades qui en ont vraiment besoin, ce qui leur permet de leur donner une meilleure qualité d’écoute et un traitement adapté», explique le VC.

L’application étend progressivement le spectre de son activité: des consultations pédiatriques sont possibles pour les enfants de 3 à 17 ans sous la marque K for Parents, et des consultations spécifiques pour les maladies chroniques sont en cours de développement. Elle s’étend aussi géographiquement: après les États-Unis, elle vise l’Amérique latine et a déjà un pays d’Asie en ligne de mire.

Un modèle unique, de par son intelligence artificielle et son business model, puisqu’elle va au-delà de la seule fonction d’agenda, comme ces solutions qui ont connu un spectaculaire envol à la faveur du Covid-19. Le virus est aussi l’élément déclencheur de l’intérêt des Américains pour K Health.

Seize ans après le spectaculaire rachat de Skype par eBay pour 3,5 milliards d’euros, Mangrove Capital, qui était la première à y croire, assure que K Health ira beaucoup loin. Au conseil d’administration, n’aura probablement pas changé d’avis par rapport à cette période-là: «Notre métier», disait-il, «consiste aussi à parier sur la personne, sur le futur et sur le marché. Dans le cas présent, nous avons apprécié l’homme et sa vision. Nous nous sommes alors engagés, alors qu’une vingtaine d’autres gros investisseurs potentiels avaient dit non avant nous.» Le VC avait alors multiplié sa mise par 100.

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