Michel Reckinger: «Chez nous, la digitalisation ne va pas passer par la robotisation. Elle va passer par une augmentation des informations disponibles pour faciliter la tâche de l’ouvrier.» (Photo: Edouard olszewski)

Michel Reckinger: «Chez nous, la digitalisation ne va pas passer par la robotisation. Elle va passer par une augmentation des informations disponibles pour faciliter la tâche de l’ouvrier.» (Photo: Edouard olszewski)

Michel Reckinger a rempilé pour quatre ans à la présidence de la Fédération des artisans. Le patron de l’entreprise familiale éponyme veut continuer à dire ce qu’il pense et à montrer l’exemple. Pour le bien d’un secteur essentiel à l’économie et qui doit faire ses devoirs de transformation technologique.

Retrouvez la première partie de cette interview.

Que signifie la digitalisation dans votre entreprise?

 – «Depuis cinq ans, nous avons emprunté ce chemin. Notre administration est complètement digitalisée, qu’il s’agisse de la comptabilité ou de la gestion des pointages, par exemple. Dans la production, le technicien aura, à l’avenir, sur son iPad ou via des lunettes connectées, la possibilité de communiquer en direct avec des spécialistes lors de son intervention.

Il ne sera plus seul, mais ils seront plusieurs à intervenir virtuellement sur chantier. Ce qui augmentera notre rapidité d’intervention. Le taux horaire augmentera en conséquence, car nous devrons recourir à d’autres profils, mais le client sera gagnant en termes de services, et nous, en termes de gestion de nos interventions.

Ce qui renforce le besoin d’une formation continue adaptée…

«Nous avons en interne notre 'académie', où l’on accueille des jeunes qui commencent ici sans diplôme et qui veulent avoir un certain niveau de compétences pour les amener à un même niveau de DAP pratique. Nous avons ouvert notre académie il y a un an et demi, les premiers vont sortir des sessions d’apprentissage.

Ce type d’initiative, c’est le reflet du rôle de patron?

«C’est une réaction au manque de main-d’œuvre, qui est une réalité. Faute de les trouver à la sortie de l’école ou dans les pays limitrophes, il faut se les construire soi-même.

Dans le bâtiment, la robotisation va venir, mais pas d’une manière bouleversante. C’est pour cela que nos métiers resteront intéressants pour les jeunes.
Michel Reckinger

Michel Reckingerprésident de la Fédération des artisans

Mais le président de la Fédération doit donner l’exemple au travers de sa propre société?

«Le président est beaucoup au fait des thèmes ­importants et des discussions en cours, c’est normal. Étant donné ses contacts, il est peut-être plus à même de mener une réflexion sur les actions à mettre en place qu’un patron, qui a constamment le nez dans le guidon. C’est normal. Je veux en effet donner l’exemple, et je serai toujours le premier à participer à des initiatives qui vont dans le bon sens.

Peut-on imaginer, en 2111, 200 ans après la fondation de l’entreprise familiale, qu’un des deux membres des équipes intervenant sur site soit un robot?

«Non. Chez nous, la digitalisation ne va pas passer par la robotisation. Elle va passer par une augmentation des informations disponibles pour faciliter la tâche de l’ouvrier. Les matériaux que l’on mettra en place à l’avenir seront aussi différents, probablement moins difficiles à manier. Dans le bâtiment, la robotisation va venir, mais pas d’une manière bouleversante. C’est pour cela que nos métiers resteront intéressants pour les jeunes.

La pauvreté au Luxembourg est régulièrement thématisée ces derniers temps. Quel regard portez-vous sur ce phénomène?

«J’ai une âme sociale. Nous faisons aussi pas mal de choses pour aider des gens qui sont dans le besoin, par exemple via un partenariat avec Médecins Sans Frontières, qui nous tient à cœur. On travaille beaucoup avec des réfugiés pour leur donner des possibilités de travail. C’est important dans la tradition d’une entreprise familiale comme la nôtre. J’ai plutôt un problème autour de la notion de pauvreté, qui est toujours définie par rapport au revenu médian.

Cette vision n’est ni juste, ni justifiée, si l’on regarde comment des gens dans les pays limitrophes doivent vivre, avec quel salaire. Et chez nous, on dit qu’avec 2.200 euros, on frôle le seuil de pauvreté. Je trouve cela aberrant par rapport aux gens qui sont vraiment dans la nécessité. Il est clair qu’au Luxembourg, le logement est un véritable problème, en l’occurrence le loyer. Ce poste occupe une place plus importante dans les salaires au Luxembourg que dans les pays limitrophes.

Augmenté – Digitalisation ne rime pas avec robotisation chez Michel Reckinger, mais plutôt avec artisan augmenté. (Photo: Edouard olszewski)

Augmenté – Digitalisation ne rime pas avec robotisation chez Michel Reckinger, mais plutôt avec artisan augmenté. (Photo: Edouard olszewski)

Sur base de ce constat, la discussion ne doit pas concerner un seuil de salaire, mais la raison de cette problématique. Il ne faut pas augmenter de 100 euros le salaire social minimum, car ça ne changera rien au fond du problème. Nous devrions plutôt faire en sorte que les loyers soient subventionnés d’une autre manière pour que ceux qui en ont vraiment besoin paient moins de loyer. Ce n’est pas en arrosant partout qu’on va régler ce problème.

Pensez-vous qu’on arrivera un jour à juguler ce problème du logement?

«Je fais vraiment confiance aux ministres Verts, qui sont en charge de l’Environnement (), du Logement (), de l’Énergie () et des Infrastructures (), pour qu’ils trouvent ensemble des moyens de construire davantage de logements.

L’idéal aurait été que le ministère de l’Intérieur soit aussi dans ces mêmes mains, car l’autonomie communale pose problème, de mon point de vue. Si les quatre concernés veulent avancer, alors ils pourront trouver des solutions pour construire plus dense, plus vite. Car dans une zone de construction, on doit pouvoir construire.

Le secteur de la construction va bien, et si on fait son travail d’une bonne manière, avec qualité, les clients reviennent.
Michel Reckinger

Michel Reckingerprésident de la Fédération des artisans

La question s’est posée, par exemple, autour du projet de construction d’une tour à Esch. Vise-t-on plus de logements, ou écoute-t-on 280 signataires d’une pétition s’opposant au projet de tour qui craignaient d’avoir de l’ombre dans leur jardin? (C’est le second cas de figure qui a été privilégié à Esch, ndlr)

Comment organisez-vous votre agenda entre la direction de l’entreprise et la présidence de la Fédération?

«Je suis chaque jour quelque part en train de travailler pour la Fédération. Tout mon agenda s’organise d’ailleurs autour de cette présidence. Mon assistante gère très bien cela. Une réorganisation de l’entreprise a aussi eu lieu, certains ont pris plus de responsabilités.

Nous avons aussi recruté de nouveaux profils à l’externe, tant dans le contexte de ma présidence qu’en raison du développement de nos activités. Un directeur administratif il y a plus d’un an, ainsi qu’un directeur technique. La structure de l’entreprise a bien grandi en cinq ans, passant de 150 à 270 employés.

À quoi cette croissance est-elle due?

«Le secteur de la construction va bien, et si on fait son travail d’une bonne manière, avec qualité, les clients reviennent. On travaille avec de nombreux clients redondants. Nous grandissons avec eux. La renommée du nom contribue aussi à ce résultat positif.»