Pascak Bouvry, chef du département Computer science à l’Université du Luxembourg, évoque la nécessité de faire appel à des «data stewards» pour aider les entreprises à définir le cycle de vie des données. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Pascak Bouvry, chef du département Computer science à l’Université du Luxembourg, évoque la nécessité de faire appel à des «data stewards» pour aider les entreprises à définir le cycle de vie des données. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

À l’origine de la création de l’Université du Luxembourg et aujourd’hui chef du département Computer science, Pascal Bouvry a participé au lancement du premier master en high performance computing en septembre 2022. Il en évoque les besoins et les ambitions.

Qu’est-ce que le high performance computing?

Pascal Bouvry. – «L’art de pouvoir utiliser au mieux un high performance computer! Au départ, il était principalement utilisé par les physiciens, puis par les biologistes, en tout cas ici, à l’Université. Nous sommes passés d’un mode de calcul intensif à un mode big data. Aujourd’hui, de plus en plus, on parle d’intelligence artificielle et de machine learning. Ce n’est pas seulement analyser des données pour avoir des statistiques, mais trouver un modèle sous-jacent de ces données de manière à pouvoir faire des prédictions. Le Luxembourg s’inscrit plus dans la partie data analytics et intelligence artificielle.

Qui sont les étudiants du master en HPC?

«On va avoir deux “sources” d’étudiants. La première rassemble des informaticiens qui ont un bachelor en informatique et qui rejoignent . La seconde regroupe les personnes disposant d’une formation en sciences – cela peut être aussi bien des mathématiciens que des ingénieurs mécaniciens, etc. Nous ouvrirons l’esprit des informaticiens aux différents types d’applications et donnerons une méthode pour utiliser les machines à ceux qui ne sont pas informaticiens. 

Dans quels domaines cela va-t-il servir?

«Les vaccins. Le climat. La smart grid. Si on parle de finances, certains ont travaillé sur l’optimisation de portfolio pour le private equity avec la Banque européenne d’investissement. Nous avons tous les travaux sur tout ce qui concerne la maladie de Parkinson ou la génomique, ou, avec Goodyear, les pneus intelligents avec des capteurs. Dans le domaine spatial, comment s’assurer que les débris ne vont pas finir dans un satellite et comment bouger ce dernier au bon moment? Dans l’agriculture, comment et quand arroser ou remettre des engrais? Au niveau des nouveaux types de matériaux, on peut avoir des modèles de plus en plus raffinés d’usure de ponts et des infrastructures critiques.

Est-ce qu’il existe des différences dans les jeux de données?

«Au Luxembourg Centre for Systems ­Biomedicine, concernant les maladies dégénératives, comme celle de Parkinson, le problème qu’on avait venait de la taille relativement petite de l’échantillon. On a fait appel à la Grande Région pour avoir des cohortes d’individus comparables et assez larges. Il peut y avoir l’une ou l’autre différence selon l’origine. Il faut savoir ce que l’on cherche. Le biologiste va m’amener sa modélisation, sa problématique, et nous allons regarder comment l’intégrer dans l’ordinateur de manière efficace. On ne peut pas être spécialiste en tout, et c’est là que le côté interdisciplinaire est intéressant: mettre un médecin avec un biologiste, avec un informaticien et un mathématicien, voire un physicien. Il y a certaines analogies avec la nature qu’on utilise aussi en informatique, comme un système immunitaire artificiel. C’est ce que l’on a utilisé pour faire de la détection d’intrusion sur internet. À partir du moment où l’on a un modèle artificiel, on peut inviter les médecins à tester s’il y a des similarités avec le corps humain.

«Pour citer un autre exemple, une équipe travaille sur des essaims de drones à partir d’une analogie avec une colonie de fourmis. Ces dernières se promènent en laissant des traces de phéromones. Elles vont de leur nid à la nourriture par le chemin le plus efficace. Si ça sent bien les phéromones, toutes les autres fourmis suivront le même chemin et on obtiendra le chemin le plus court. Nous avons essayé de voir si certaines phéromones n’étaient pas seulement attractives, mais aussi répulsives. Nous avons installé cela sur nos essaims de drones pour faire de la couverture de zones, pour que deux drones ne soient pas au même endroit.

Il va nous falloir des spécialistes de la qualification de données, non?

«Oui, des “data stewards” comme on les appelle. Le gouvernement a approuvé une plateforme d’échange de données. L’idée est de réunir des hommes et des femmes qui vont aider les entreprises ou les médecins à essayer de trouver les données, les qualifier, les nettoyer, les transformer et les archiver, en tenant compte des questions de respect de la vie privée. C’est un des métiers qui vont aider les entreprises à définir le cycle de vie de la donnée. Nous aurons aussi les data scientists, qui seront là pour traiter les données. Nous avons déjà un master en data science qui fonctionne. Nous allons faire en sorte d’avoir des cours en commun entre les masters en HPC, en informatique et en data science. Nous avons, par exemple, recruté un professeur en machine learning qui donnera un cours transversal. Il nous faudrait peut-être aussi une formation de data steward.

Combien nous faut-il de ces nouveaux talents?

«Des milliers. Et même quand on croit qu’on est confortable, au Luxembourg ou en Europe, les prix auxquels Google et les autres recrutent dans la Silicon Valley montrent bien la concurrence. On n’a pas beaucoup de chances de gagner sur leur terrain, mais plutôt en ayant nos propres niches. Ce que j’espère, c’est que la formation continue viendra compléter les efforts faits par les universités. Peut-être que nous pourrions mettre certains modules du master à disposition de l’industrie. Il existe des possibilités de développer des formations en IA au niveau des BTS au Luxembourg.

Est-ce qu’il manque un champion de l’IA?

«À l’Université, nous avons un plan sur quatre ans. Des postes sont définis. Nous allons avoir un champion en matière d’informatique quantique. Tout est en bonne voie. Ce qui fait peur, c’est la situation économique et pouvoir remonter les bonnes informations vers les sphères politiques luxembourgeoise et européenne pour une bonne prise de décision.»

Cette interview a été rédigée pour  parue le 26 octobre 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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