Sam Tanson: «La question n’est pas de défendre l’action du gouvernement. S’il y a des problèmes en matière de traitement de données, nous devons les résoudre, parce que nos données personnelles sont quelque chose de très délicat.» (Photo: Anthony Dehez)

Sam Tanson: «La question n’est pas de défendre l’action du gouvernement. S’il y a des problèmes en matière de traitement de données, nous devons les résoudre, parce que nos données personnelles sont quelque chose de très délicat.» (Photo: Anthony Dehez)

Figure montante des Verts, Sam Tanson (42 ans) a dû délaisser le Logement pour remplacer Felix Braz à la Justice. Elle compte assurer la con­tinuité tout en apposant sa marque pour les quatre années à venir.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Où en sont les discussions entre le ministère de la Justice et le Barreau concernant la réforme de l’assistance judiciaire?

 – «Je vais bientôt rencontrer le Barreau pour évoquer cette question parmi d’autres. Il est vrai que l’avocat doit être rémunéré à sa juste valeur pour éviter que personne ne veuille défendre des bénéficiaires de l’assistance judiciaire. Ce qui m’importe encore davantage, c’est l’accessibilité des justiciables à l’assistance judiciaire. À l’heure actuelle, dès que vous êtes un centime au-dessus du seuil pour en bénéficier, vous n’avez droit à rien. Il est donc nécessaire de réfléchir à des paliers.

Le Conseil d’État a émis plusieurs oppositions formelles à l’encontre de la réforme du notariat, en partie imposée par une directive européenne commandant l’ouverture de la profession. Est-ce difficile de concilier les différentes exigences dans ce domaine?

«Cela me semble en effet un exercice très délicat. J’envisage une entrevue avec les notaires dans ce cadre. Vu les avis qu’il y a eu, ce ne sera pas évi­dent de mener à bien cette réforme dans un aspect très global.

Un des points soulevés par les notaires est la nécessité de maîtriser les trois langues du pays.

«Pour toutes les professions quelles qu’elles soient, et encore plus pour les professions réglementées, il est évident que vous ne pouvez prendre en charge un client que si vous pouvez communiquer avec lui. L’acte notarié est rédigé en français – et parfois en allemand ou en anglais –, mais vous devez aussi informer votre client, lui expliquer l’acte, et c’est une responsabilité très forte de la personne qui exerce le métier.

L’important est qu’un avocat ne prenne en charge que des dossiers où il sait qu’il peut servir son client du point de vue des langues, mais aussi de ses compétences matérielles.
Sam Tanson

Sam Tansonministre de la Justice

L’Ordre des avocats réclamait, de son côté, il y a deux ans, un assouplissement des exigences linguistiques ou une formalisation de la différenciation entre les avocats plaideurs et les autres. Quelle est votre position?

«J’estime qu’il est important de comprendre les langues usuelles au Luxembourg. Je suis quand même parfaitement consciente du fait qu’on a plusieurs professions différentes au sein du Barreau. L’important est qu’un avocat ne prenne en charge que des dossiers où il sait qu’il peut servir son client du point de vue des langues, mais aussi de ses compétences matérielles. C’est une question de responsabilité et de déontologie de l’avocat.

La loi sur la modernisation du droit de la faillite lancée en 2013 par François Biltgen (CSV) et remodelée par la majorité parlementaire DP-LSAP-Déi Gréng se fait encore attendre. Espérez-vous un vote à la Chambre avant juillet 2020?

«C’est un très gros projet de loi. Il y a eu, là encore, des discussions à ce sujet depuis des dizaines d’années. C’est important de revoir le cadre légal qui existe parce que nous avons chaque année près de 1.000 faillites. Nous attendons l’avis du Conseil d’État et cela fait déjà un certain temps, donc j’imagine que son avis sera très fouillé et qu’il faudra revoir la copie encore une fois.

Pour avancer sur ce projet de loi sans freiner les autres, j’espère que la Chambre des députés reformera une sous-commission au sein de la commission juridique qui ne s’occuperait que de cela (comme en 2016-2018, ndlr). Certains députés ont déjà travaillé sur ce dossier, même si la Chambre a été renouvelée depuis les derniers travaux.

Quelle est votre position quant au projet de loi sur la filiation, qui, d’ailleurs, occupe aussi la Chambre depuis plusieurs années?

«La naissance du texte remonte effectivement à 2004 au sein du ministère de la Justice. Il a été retravaillé, il y a eu des amendements. Il faut dire que c’est une matière qui a évolué de manière impressionnante entre-temps, en particulier dans le domaine médical. Nous avons, d’un côté, les questions de filiation qui sont complètement dépassées – la différence faite entre la mère et le père, entre les enfants légitimes et illégitimes – et qu’il faut absolument revoir.

Si on regarde tout cela depuis la perspective de l’enfant, je suis complètement confiante sur le fait que nous allons trouver des solutions.
Sam Tanson

Sam Tansonministre de la Justice

Et puis, de l’autre, il y a toutes les questions autour de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la gestation pour autrui (GPA) qui font partie intégrante du projet depuis les amendements de 2017. Et le monde a de nouveau tourné depuis 2017. Il y a eu des discussions dans les pays voisins, notamment en France, où un texte de bioéthique a été adopté.

Avant toute autre chose, je veux réunir les acteurs au début de l’année prochaine parce qu’il faut un travail de préparation en amont. Nous mènerons une discussion sur la pratique au sein de la magistrature (à savoir les jugements pris actuellement) et sur la pratique médicale actuelle ainsi que sur la façon dont les pays européens ont traité ces questions. Il sera important de ne pas oublier l’intérêt de l’enfant dans ces discussions. Ensuite, nous reprendrons le projet de loi et regarderons s’il correspond toujours à nos attentes.

Vous devez également vous atteler au projet de loi sur la protection de la jeunesse…

«Effectivement. avait déposé un projet de loi qui a suscité de très vives discussions. Il avait prévu de recommencer à zéro. C’est à moi de le faire en m’appuyant sur les discussions qui ont été menées et sur les avis déposés. Et puis il y a surtout Renate Winter, ancienne présidente du Comité des droits de l’enfant à l’Onu, qui s’est lancée dans le débat à travers une série de conférences menées au Luxembourg en mars dernier. Je l’ai rencontrée il y a quelques semaines. C’est un personnage formidable qui vit corps et âme pour les droits des enfants.

Il s’agit d’un dossier complexe, mais là encore, si on regarde tout cela depuis la perspective de l’enfant, je suis complètement confiante sur le fait que nous allons trouver des solutions. Nous sommes devant deux problématiques différentes: d’une part, la protection de l’enfant qui est dans une situation de danger, d’intense conflit familial, qui doit être protégé et extrait de son contexte familial; d’autre part, l’action face à l’enfant qui a fait de grosses bêtises, qui s’est rendu coupable d’infractions.

Je n’ai pas d’opinion prédéfinie, mais je ne vois pas de problème à traiter les deux dans un même texte, à condition de différencier très clairement ce qui tombe sous le coup de la pure protection et ce qui est soumis à la procédure pénale. Il faut qu’il y ait des lignes claires, des procédures claires, des droits et des devoirs pour l’enfant en matière pénale. Et il faut qu’on regarde vraiment tout cela depuis sa perspective d’enfant.

Sam Tanson: «Il y a eu des tensions très importantes entre différents acteurs, alors que tout le monde veut en fait la même chose: que les enfants, qu’ils se soient rendus coupables d’infractions ou qu’ils souffrent, puissent profiter de certaines protections et ne pas voir leur vie complètement saccagée à cause d’un ou de plusieurs incidents.» (Photo: Anthony Dehez)

Sam Tanson: «Il y a eu des tensions très importantes entre différents acteurs, alors que tout le monde veut en fait la même chose: que les enfants, qu’ils se soient rendus coupables d’infractions ou qu’ils souffrent, puissent profiter de certaines protections et ne pas voir leur vie complètement saccagée à cause d’un ou de plusieurs incidents.» (Photo: Anthony Dehez)

Comment comptez-vous procéder?

«J’ai déjà eu plusieurs entretiens à ce sujet et j’ai écrit à tous les acteurs impliqués et plusieurs autres encore pour qu’ils me remettent un bref topo, après toutes les discussions qu’il y a eu, sur la façon dont ils envisagent ce nouveau texte. C’est une première étape.

J’ai également chargé Mme Winter de consulter certains des acteurs et de nous aider à rédiger un nouveau texte parce qu’elle l’a fait dans beaucoup de pays. Je suis vraiment confiante, mais il faut prendre le temps nécessaire. Il y a eu des tensions très importantes entre différents acteurs, alors que tout le monde veut en fait la même chose: que les enfants, qu’ils se soient rendus coupables d’infractions ou qu’ils souffrent, puissent profiter de certaines protections et ne pas voir leur vie complètement saccagée à cause d’un ou de plusieurs incidents. L’aspect de la justice restaurative est important. En tout cas, je veux vraiment parvenir à un nouveau texte.

La réforme du droit du divorce menée à bien par M. Braz – et dont vous avez été rapporteuse du projet de loi – est-elle pour vous l’exemple d’une moderni­sation réussie d’un volet du droit de la famille?

«C’est vraiment une réforme globale qui était absolument nécessaire parce que, là aussi, la législation luxembourgeoise n’était plus du tout moderne. Il fallait vraiment faciliter cette étape, qui est difficile pour les gens qui la vivent et dont les procédures étaient très lourdes.

Une évaluation est prévue au bout de cinq ans, notamment avec la magistrature, par rapport à l’introduction d’un nouveau juge aux affaires familiales.

En tout cas, quand je parle avec les gens qui sont directement concernés, je n’ai que des échos positifs. Un divorce n’est pas quelque chose qu’on décide à la légère, mais dès qu’on l’a décidé, on peut le faire rapidement et sans engager trop de frais. Je suis vraiment heureuse que cela ait pu être fait et que la loi ait été adoptée avant les élections de 2018. Je le suis aussi pour Felix Braz, qui s’est beaucoup impliqué dans ce projet de loi.

L’affaire dite du «casier bis», ou la question des banques de données gérées par la justice et la police, défraie la chronique depuis cet été. Vous accompagnez désormais le ministre de la Sécurité intérieure François Bausch lors des discussions à la Chambre pour défendre l’action du gouvernement dans ce dossier.

«La question n’est pas de défendre l’action du gouvernement. S’il y a des problèmes en matière de traitement de données, nous devons les résoudre, parce que nos données personnelles sont quelque chose de très délicat. Il faut que tout un chacun sache ce qui est fait avec ses données, par qui elles peuvent être consultées, à quelle fin. S’il n’y a pas assez de bases légales, il faut les renforcer.

Le Parquet est en train de revoir ses outils de traitement de données; l’autorité de contrôle judiciaire s’est saisie. Je suis ouverte à toute discussion et je vais mener ces discussions. Nous avons maintenant établi la liste de tous les fichiers qui existent au sein de la magistrature. Nous allons en discuter avec la commission de la justice.

Je veux mener une discussion pour savoir quel fichier on peut consulter pour donner tel agrément, si on va se baser simplement sur le casier, si on peut aller plus loin et regarder aussi les affaires en cours…
Sam Tanson

Sam Tansonministre de la Justice

Au sein du ministère de la Justice, nous avons dressé la liste de toutes les autorisations que je dois donner ainsi que des agréments sur base de l’honorabilité. Je veux mener une discussion pour savoir quel fichier on peut consulter pour donner tel agrément, si on va se baser simplement sur le casier, si on peut aller plus loin et regarder aussi les affaires en cours…

Jusqu’à présent, si un agent de sécurité demandait son agrément et que la magistrature nous informait du fait que cette personne était impliquée dans des affaires en cours, nous refusions cet agrément dans le cas d’affaires de violence, par exemple. À l’heure actuelle, une telle personne reçoit son agrément parce que seul le casier compte, donc la condamnation finale. Il y a beaucoup de dossiers similaires.

Je veux que nous menions une discussion en toute transparence et en toute ouverture d’esprit avec les députés pour que nous fixions les cas de figure dans lesquels nous irons plus loin que le casier et les cas où ce n’est pas nécessaire. Là encore, il faut que les personnes sachent précisément dans quel cas de figure nous pouvons consulter le fichier Ju-Cha, par exemple (l’outil retraçant les antécédents pénaux même en l’absence de condamnation, et duquel est partie l’affaire du 'casier bis', ndlr).

Autre actualité un peu moins brûlante: le registre des bénéficiaires effectifs (RBE) est censé être complété par toutes les entités inscrites au registre de commerce et des sociétés (RCS) pour le 30 novembre, après un délai supplémentaire de trois mois. Pensez-vous parvenir à 100% de déclarations pour cette date?

«Les retours se sont multipliés ces dernières semaines et nous en sommes à 70% de déclarations complétées fin octobre, ce qui revient à 90% en enlevant les associations inactives ou en liquidation. Toutefois, nous savons que nous n’arriverons pas à 100%.

Il s’avère que beaucoup d’asbl ne sont plus en fonction sans avoir jamais été dissoutes et apparaissent donc toujours dans le registre de commerce et des sociétés. Nous sommes en train de nous doter d’une procédure, prévue par la loi, pour pouvoir procéder à une radiation administrative du registre afin d’avoir au moins une vision claire de la chose.

Les gens seront, bien entendu, prévenus par un courrier leur expliquant que nous envisageons de rayer leur association du registre, n’ayant pas eu de nouvelles de leur part depuis un certain nombre d’années. Une procédure plus avancée figurera d’ailleurs dans la nouvelle loi sur les asbl, également en finalisation.

Certaines associations professionnelles dans le secteur financier ont édicté des conseils confidentiels à leurs membres pour remplir leur déclaration. Ne craignez-vous pas que certains acteurs ne soient pas totalement sincères?

«Pour moi, la loi est plutôt claire concernant qui doit se déclarer comme bénéficiaire effectif. Et si on ne respecte pas la loi en ne donnant pas les informations nécessaires ou en donnant de fausses informations, on s’expose à des sanctions pénales. C’est la règle pour tous.»