Martin Mager et d’autres parties prenantes luxembourgeoises demandent des changements dans le projet de révision de la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (AIFMD). (Photo: Focalize/ Emmanuel Claude)

Martin Mager et d’autres parties prenantes luxembourgeoises demandent des changements dans le projet de révision de la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (AIFMD). (Photo: Focalize/ Emmanuel Claude)

La dette privée, classe d’actifs alternatifs passionnante qui gagne en taille et en maturité au Luxembourg, est menacée par le projet de réforme de la directive AIFM qui pourrait lui couper les ailes, avec des conséquences pour le Luxembourg et pour la reconstruction de l’économie européenne.

Martin Mager, associé chez Linklaters Luxembourg, explique comment cette source de financement, essentielle pour les petites entreprises, pourrait, par inadvertance, subir des dommages collatéraux suite à la révision de la directive de l’Union européenne sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs.

«Les propositions de l’UE sont conçues pour gérer le risque dans les actifs alternatifs», déclare Martin Mager. «Toutefois, elles nécessitent quelques révisions afin d’éviter d’avoir un impact négatif sur l’environnement de la dette privée au Luxembourg.»

La dette privée désigne les fonds d’émission de prêts qui fournissent un financement aux petites entreprises dont le modèle ou les exigences de croissance les excluent du système bancaire. Ces fonds relèvent des actifs alternatifs et donc de l’AIFMD. Certains principes-clés des amendements proposés de la législation pourraient involontairement nuire au marché florissant de la dette privée en Europe, et en particulier au Luxembourg, où se trouvent 35% des fonds de dette privée européens.

«Les fonds de dette sont une source de financement très importante pour l’économie réelle», déclare Martin Mager. Ce marché a connu une croissance rapide depuis le repli des banques pendant la crise financière de 2008, et encore plus depuis la pandémie de Covid, faisant un bond de 40,6% pour atteindre 181,7 milliards d’euros d’actifs sous gestion au Luxembourg rien que l’année dernière selon les chiffres de KPMG et de l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement.

Jusqu’à récemment, le Luxembourg offrait un régime libéral à ces fonds de prêt. Toutefois, cela pourrait changer, met en garde Martin Mager. «Certains aspects de l’AIFMD entraveraient la gestion efficace de ces fonds. D’autres réduiraient activement le lancement de ces structures et priveraient l’économie réelle des avantages des fonds de prêt.»

Restrictions sur le lancement des prêts

L’AIFMD vise à protéger les investisseurs dans les fonds d’investissement alternatifs en fournissant un cadre de surveillance pour les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs. En 2021, quelques retouches au texte original ont été proposées par la Commission européenne, ciblant particulièrement les fonds d’investissement alternatifs qui émettent des prêts.

Selon Martin Mager, les nouvelles propositions contiennent deux éléments principaux qui seraient préjudiciables aux fonds de dette privée. Le premier est une nouvelle disposition selon laquelle si 60% des actifs d’un fonds d’investissement alternatif sont des «originated assets», c’est-à-dire des actifs émis par le vendeur ou une société affiliée au vendeur, alors le fonds doit être fermé. L’idée est d’éviter les décalages d’échéances qui peuvent se présenter dans un fonds ouvert, mais cela affecte par inadvertance les fonds de dette privée qui ont généralement une période de détention plus courte que la moyenne des fonds d’actifs alternatifs plus illiquides, que la règle des 60% est conçue pour cibler, dit Martin Mager.

«Les fonds de dette privée accordent généralement des prêts ou d’autres instruments de dette à une gamme diversifiée d’entreprises pour des périodes de détention limitées d’environ deux à trois ans. Pour cela, ils utilisent souvent des véhicules de fonds ouverts. Une structure ouverte donne à l’investisseur des droits de rachat réguliers, ce qui est attrayant pour les investisseurs institutionnels et les particuliers», explique-t-il. «Nous avons remarqué un intérêt croissant de la part de gestionnaires de fonds bien établis pour les structures ouvertes d’octroi de prêts dans le domaine de la dette privée. Des limitations telles que celle de 60% réduiraient activement le lancement de telles structures et priveraient l’économie réelle des avantages des fonds de prêt.»

Un moyen plus efficace de gérer les échéances et les fenêtres de liquidité pourrait consister en une gouvernance robuste de la gestion des risques du gestionnaire de fonds alternatifs, dit Martin Mager. «Nous n’avons pas connaissance d’une quelconque incapacité à gérer l’asymétrie des échéances dans les fonds de prêt, mais si cela se produisait, il s’agirait à notre avis d’un problème de gouvernance et non de gestion de portefeuille», dit-il.

Une deuxième proposition du projet exige que les gestionnaires de fonds, en tant que mesure de prévention des risques, conservent 5% de la valeur du prêt s’ils le vendent. Bien que cette exigence soit conçue pour répondre à des préoccupations potentielles d’aléa moral et pour promouvoir des pratiques saines de souscription de crédit et de diligence raisonnable, elle entraîne certaines conséquences négatives pour la dette privée dans sa forme actuelle, pense Martin Mager.

«La vente de prêts fait souvent partie de la stratégie de sortie normale d’un fonds de prêt», explique Martin Mager. En fait, «il existe de nombreuses raisons légitimes pour lesquelles les gestionnaires de fonds de crédit peuvent vendre un prêt dont ils sont à l’origine. En particulier pour effectuer une allocation et un rééquilibrage du portefeuille conformément à leur mandat et afin d’obtenir les rendements souhaités.»

Il suggère plutôt qu’il pourrait y avoir une exigence plus générale pour interdire aux fonds de dette privée d’originer des prêts dans le seul but de transférer ces prêts à des tiers ou de limiter la rétention des risques à une courte période de temps après l’origination.

L’impact pour les petites entreprises 

Étant donné qu’une part importante de la dette privée européenne est domiciliée au Luxembourg, l’Alfi et un certain nombre d’autres parties prenantes sont en consultation avec la Commission pour adapter les propositions actuelles de l’AIFMD.

«Les fonds de dette sont une source de financement très importante pour l’économie réelle. En tant que tels, ils sont essentiels à la reconstruction de l’économie européenne et conformes aux objectifs de l’union des marchés de capitaux de l’UE.»

Sur le plan politique, la Commission elle-même utilise activement les fonds d’emprunt afin de diversifier les sources de financement des petites entreprises. C’est notamment le cas du Fonds européen d’investissement, qui a investi dans quelque 45 fonds d’emprunt privés en Europe afin de soutenir les objectifs politiques visant à accroître les sources de financement des petites entreprises. En fait, «un nombre considérable de fonds de prêt ouverts sont ceux qui sont parrainés par des entités gouvernementales pour aider à financer l’économie réelle», explique Martin Mager.

En outre, environ 33% des fonds de dette privée sont classés dans la catégorie de l’article 8 SFDR, ce qui signifie qu’ils favorisent les caractéristiques de gouvernance environnementale et sociale. 6% supplémentaires relèvent de l’article 9, ce qui signifie qu’ils prennent activement l’investissement durable comme objectif et qu’ils mesurent leur performance par rapport aux critères ESG.

Martin Mager tient à souligner que la directive AIFM est en général favorable à la gestion des actifs alternatifs en Europe. En fait, une caractéristique particulière des nouvelles propositions améliorera l’émission transfrontalière de prêts pour les fonds de dette privée.

«Les nouvelles propositions permettent aux fonds d’investissement alternatifs d’accorder des prêts n’importe où dans l’Union européenne. Ce que nous saluons, car cela permet d’accorder des prêts indépendamment de la réglementation bancaire locale et créera des conditions de concurrence équitables dans le domaine de la dette privée», dit-il.

Les questions en suspens concernant les propositions découlent d’une fausse idée répandue selon laquelle les fonds de dette privée, en raison de leur manque de liquidité, seront tous à capital fixe. «Souvent, ce n’est pas le cas», affirme-t-il. Signaler cette idée fausse dans le cadre de la consultation est un pas dans la bonne direction pour préserver un régime accueillant pour la dette privée dans le cadre de l’AIFMD, ajoute-t-il.

Cet article a été écrit pour , traduit et édité pour Paperjam.