Au grand étonnement des professionnels, la crise du Covid-19 n’a pas nuit au marché immobilier résidentiel (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Au grand étonnement des professionnels, la crise du Covid-19 n’a pas nuit au marché immobilier résidentiel (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Pour Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière, la reprise qui s’est opérée après le premier confinement a été telle qu’il s’attend a une progression des prix de l’immobilier à deux chiffres en moyenne. Mais il redoute les effets du resserrement du crédit initié par la CSSF.

«Aujourd’hui, ce qui pourrait donner un choc au marché immobilier, ce serait une contraction de la demande des investisseurs et des occupants». La décision attendue de la Commission de la Commission de Surveillance du Secteur Financier d’exiger plus de fonds propres pour contracter un prêt hypothécaire peut-elle être ce choc? 

Limiter le prêt hypothécaire à 80% de sa valeur est une façon de tenter d’inciter les investisseurs à s’intéresser à d’autres secteurs de l’économie.
Jean-Paul Scheuren

Jean-Paul ScheurenPrésidentChambre immobilière

, président de la Chambre immobilière, ne le pense pas. Du moins pour l’instant. Mais il voit dans l’annonce de la mesure une volonté politique. «Pour un bien acquis à des fins d’investissements, limiter le prêt hypothécaire à 80% de sa valeur est une façon de tenter d’inciter les investisseurs à s’intéresser à d’autres secteurs de l’économie», dit-il.

Il estime que la mesure n’aura pas un réel impact: «il est rare qu’un investisseur fasse traditionnellement des emprunts à 100%». Mais il craint cependant ce qui pourrait être «l’amorce d’une tendance». «Cette contraction n’est pas grave pour l’instant. Mais il ne faudrait pas qu’il y en ait un autre», insiste-t-il.

Peser sur l’évolution du marché immobilier n’est pas l’objectif proclamé de la CSSF. Les mesures demandées par le Comité du risque systémique (CdRS) et que le gendarme de la Place mettra en œuvre au 1er janvier veulent avant tout éviter «l’accumulation de vulnérabilité sur les bilans des ménages et des banques. Elle n’est en aucun cas destinée à réglementer les prix de l’immobilier».

Le flux du crédit ne se tarit pas

De fait, les limites imposées semblent symboliques. «Elles sont déjà généralement appliquées de fait par les banques qui demandent en moyenne un apport de l’ordre de 20% de la valeur du bien acquis», explique Jean-Paul Scheuren. Et cela n’a pas contribué à tarir les flux du crédit.

Les dernières statistiques de la Banque Centrale du Luxembourg (BCL) en témoignent: sur douze mois, de septembre 2019 à septembre 2020, elles ont prêté pour 857 millions d’euros soit 205 millions de plus sur un an. Le troisième trimestre 2020 a renoué avec les nouveaux d’avant le premier confinement. Après une croissance de 8,4% en 2019, la BCL table sur 2020 à une progression de 9,4%.

Ce qui pouvait lui faire dire dans sa dernière livraison de sa revue de stabilité financière que «les banques ont régulièrement assoupli les conditions d’octroi pour les crédits immobiliers au cours de ces dernières années». La CSSF est sur la même analyse «les standards en matière de crédits hypothécaires sont souples et les ménages sont fortement endettés».

Une vision que ne partagent pas forcément les professionnels de l’immobilier donc. Une divergence qui interpelle.

Une solvabilité qui interroge

La dynamique du marché immobilier résidentiel repose sur la demande constante. C’est cette demande qui fait que nous ne soyons pas face à une bulle spéculative. Et elle va perdurer. Les dernières projections «avant-crise» du Statec (voir l’étude la projection des ménages et de la demande potentielle en logements: 2018-2060 d’avril 2020) tablaient sur une progression importante du nombre de ménages même en cas de faible croissance du PIB avec corrélativement une demande potentielle de logements variant de 243.000 à 324.000 logements jusqu’en 2060.

Mais quid de la solvabilité des emprunteurs?

L’effort qui leur est demandé croit chaque année. Selon les dernières données de l’Observatoire de l’Habitat, 61% des ménages résidents remboursent un prêt hypothécaire ou payent un loyer. Leur effort financier atteignait fin 2018 31,6% de leurs ressources financières s’ils étaient propriétaires et 36,7% s’ils étaient locataires. Fin 2010, ces charges étaient respectivement de 30,8% et de 29,8%. La dette des ménages est très élevée au Luxembourg à 65,8% contre 47,9% en moyenne européenne. Elle est principalement constituée de dettes immobilières et est considérée comme une vulnérabilité de l’économie par l’Observatoire de la Compétitivité.

Si la BCL décèle dans ses études une dégradation de la solvabilité des emprunteurs, du côté de la CSSF on n’a pas constaté une hausse significative d’incidents de paiements en matière de remboursement de prêts hypothécaires. «Les créances à problème sur ce segment de clientèle restent très limitées», relève le gendarme financier. Pour qui les mesures de soutien prises par le gouvernement comme le chômage partiel ont porté leurs fruits. Quant à ceux qui n’ont pas bénéficié de ces mesures, les indépendants notamment, la situation reste «gérable» pour les banques.