Pour Mike Koedinger, fondateur de Paperjam, le titre proposera, dans les 10 prochaines années, une information digitale en continu, toujours orientée sur le monde des affaires. Sans oublier les contacts physiques et le print. (Photo: Romain Gamba/archives Maison Moderne)

Pour Mike Koedinger, fondateur de Paperjam, le titre proposera, dans les 10 prochaines années, une information digitale en continu, toujours orientée sur le monde des affaires. Sans oublier les contacts physiques et le print. (Photo: Romain Gamba/archives Maison Moderne)

19 juin 2000 – 19 juin 2020. 20 ans après la parution du numéro 0 de Paperjam, la marque s’est frayé un chemin en combinant plusieurs canaux, pour toucher un public toujours plus important. Retour sur cette aventure solo devenue une entreprise qui utilise la crise actuelle comme catalyseur d’innovations.

Quelle était l’ambition au moment du lancement de Paperjam, il y a 20 ans jour pour jour aujourd’hui?

. – «Paperjam a été créé au moment d’un boom de la technologie et de l’internet, c’était aussi une période qui ouvrait une autre façon de voir l’entreprise et de travailler via la technologie. Paperjam s’est inscrit dans cette logique-là, en étant un magazine business différent de ce que la presse pouvait offrir à Luxembourg.

Notre parti pris était de s’intéresser à la technologie et au ‘comment faire’, au ‘comment travailler’. Après moins de deux ans et le boom de la technologie passé, nous avons intégré d’autres sujets économiques en général, en commençant bien entendu par la place financière. Ce qui était d’ailleurs la bonne décision, puisque nous avons connu ensuite l’explosion de la bulle internet, avec ses conséquences sur l’économie mondiale.

La couverture du numéro 0, avec un dossier consacré au prédécesseur de RTL Group, CLT-UFA. (Couverture: Paperjam/archives Maison Moderne)

La couverture du numéro 0, avec un dossier consacré au prédécesseur de RTL Group, CLT-UFA. (Couverture: Paperjam/archives Maison Moderne)

Paperjam s’est lancé en tant que magazine, mais pas uniquement…

«Dès le départ, nous avons été un magazine, mais aussi un site web. Le magazine voulait déjà rencontrer sa communauté en live. Pour le lancement du numéro 1, en septembre, nous avions organisé une table ronde dans un business club au Kirchberg qui n’existe plus, le Club Monnet pour ceux qui s’en souviennent.

Cette table ronde avait pour sujet la nouvelle loi sur l’e-commerce avec la participation, notamment, du ministre de l’Économie de l’époque, Henri Grethen (DP). Il y avait déjà un aspect ‘Club’ et live, ainsi que le lien avec des personnalités importantes sur scène. Tous les éléments de l’écosystème de Paperjam – print, web et live – étaient déjà présents dès le départ.

Souvenir de la table ronde de l’époque avec Henri Grethen, alors ministre de l’Économie, et Serge Allegrezza, directeur du Statec. Claude Neu était le premier rédacteur en chef du magazine. (Photo: Paperjam/archives Maison Moderne)

Souvenir de la table ronde de l’époque avec Henri Grethen, alors ministre de l’Économie, et Serge Allegrezza, directeur du Statec. Claude Neu était le premier rédacteur en chef du magazine. (Photo: Paperjam/archives Maison Moderne)

Comment Paperjam a-t-il voulu se démarquer vis-à-vis des autres titres économiques?

«Nous voulions et nous voulons toujours être le titre de référence pour tous les cols blancs au Luxembourg. À notre lancement, la presse spécialisée pouvait être qualifiée d’austère, puisqu’elle n’accordait pas trop d’importance au traitement photo ou graphique. Nous avons plutôt opté pour une approche contemporaine du layout et du traitement photo en soignant cet aspect tout autant que l’information, ce qui a fait notre différence. Nous avons remarqué rapidement sur les trois, quatre années suivant le lancement l’impact de Paperjam sur la place médiatique, puisque nous avons quadruplé le tirage après trois ans. Pour atteindre rapidement un lectorat de 30-40.000 lecteurs dans ses premières années.

Quels ont été les moments-clés dans l’évolution du titre?

«Je retiens au moins deux moments. Un premier lorsque, début 2004, nous sommes passés du petit au grand format. Ce changement important représentait le fruit d’un travail de neuf mois mené avec des amis et consultants – qui maintenant occupent des postes importants dans des entreprises – pour nous aider à réfléchir sur le futur de la marque. Nous étions arrivés à la conclusion que, pour réussir, nous devions avoir un grand tirage et un grand lectorat, au risque d’être cantonné au statut de média de niche.

Si notre niche thématique est claire, à savoir l’économie et le monde du travail, nous ne voulions pas être un média de niche dans le sens où il ne toucherait pas beaucoup de lecteurs. Aujourd’hui, nous prouvons que nous sommes capables de toucher quelque 150.000 personnes avec un site internet, un magazine et ses suppléments, ainsi qu’un Club.

Premier numéro du format actuel de Paperjam en février 2004, avec, en couverture, un certain Pierre Gramegna, alors directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Paperjam/archives Maison Moderne)

Premier numéro du format actuel de Paperjam en février 2004, avec, en couverture, un certain Pierre Gramegna, alors directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Paperjam/archives Maison Moderne)

Si je fais un saut plus loin, c’est un ensemble de choses qui ont contribué à l’évolution de la marque durant la deuxième décennie, au travers du lancement d’un Club défini comme tel, de Paperjam TV, avec une accélération sur le digital et les newsletters. Sans oublier le renforcement des équipes rédactionnelles, qui sont essentielles pour faire évoluer la qualité de la marque et obtenir des audiences grandissantes. Je souligne que ce sont ces développements successifs et un effort collectif permanent de toutes les équipes de Maison Moderne qui ont permis de placer le titre à ce niveau.

Les frontaliers étaient-ils une cible dès le début?

«Au moment de notre lancement, les médias audiovisuels étaient en luxembourgeois, et la quasi-totalité de la presse imprimée était rédigée en allemand. Nous avions choisi la langue véhiculaire du français pour créer un média d’inclusion et citoyen, avec, comme dénominateur commun entre les Luxembourgeois, les résidents et les frontaliers, le français. Les autres médias imprimés, qui étaient proches de partis politiques ou de tendances religieuses, s’adressaient quant à eux plus directement aux électeurs dans une autre langue.

Comme une grande partie des frontaliers sont francophones, nous sommes aussi devenus un média que les frontaliers peuvent lire en plus, si bien qu’aujourd’hui notre lectorat est composé d’un tiers de Luxembourgeois, un tiers de résidents non Luxembourgeois et un tiers de frontaliers. Vingt ans plus tard, avec l’évolution du pays et de son économie, c’est devenu normal de parler français, et l’anglais devient à son tour une langue importante d’inclusion. La bonne stratégie est donc de livrer du contenu en français et en anglais, ce qui nous permet d’ailleurs de nous ouvrir aux frontaliers allemands qui ne parlent pas encore français. Ce que nous faisons avec la publication sœur de Paperjam: Delano.


Lire aussi


Quelle serait la prochaine étape du développement de Paperjam?

«Elle devrait être le renforcement des équipes rédactionnelles. Nous produisons un biquotidien digital avec une équipe réduite et très motivée. Mais cette cadence est difficile à tenir dans le temps. Pour renforcer cette équipe, nous avons besoin que la nouvelle loi pour le pluralisme des médias (que le Premier ministre et ministre des Médias  (DP) annonce depuis le printemps 2014) entre en vigueur. Elle a reçu l’accord de principe de toute la classe politique. Elle donnera notamment une meilleure considération du travail effectué en digital. Cette future nouvelle loi devrait nous donner les moyens d’engager plus de journalistes pour servir encore mieux nos lecteurs.

L’avant-projet de loi ad hoc devait être validé mi-mars par le conseil de gouvernement, mais la crise a évidemment bousculé les agendas. Nous espérons que le texte, qui pourrait encore être considéré d’ici l’été, sera en vigueur en 2021. Cette loi mettra fin à une discrimination envers Paperjam comparativement aux autres entreprises médias qui sont subventionnées. RTL touchera par exemple jusqu’à 10 millions d’euros par an à partir de 2021 pour sa télévision, tandis que Saint-Paul Luxembourg et Editpress toucheront des aides directes et indirectes pour un montant cumulé de 20 millions d’euros. Maison Moderne reçoit actuellement 200.000 euros, alors que nous employons 120 personnes et que nous présentons de fortes audiences. On parle souvent de ‘level playing field’ dans le domaine fiscal, il faut y parvenir dans le secteur des médias aussi.

Nous avons choisi à nouveau d’innover pendant une crise, ce que nous voulons faire à la rentrée avec Paperjam.
Mike Koedinger

Mike Koedingerfondateur et chairmanMaison Moderne

Vous avez vécu l’éclatement de la bulle internet, puis les conséquences de la crise financière de 2008. Cette expérience vous apporte-t-elle un autre regard sur la crise que nous traversons actuellement?

«Cette crise est d’une tout autre brutalité, car elle concerne tous les secteurs et toutes les personnes. Le pire de cette crise est l’incertitude en général. En 2008, certains secteurs continuaient à bien se porter et on pouvait imaginer un scénario de reprise. Dans le cas actuel, il reste beaucoup d’inconnues sur l’évolution sanitaire du dossier et la potentielle arrivée d’une seconde vague ou d’un Covid-20...

Cette crise est donc singulière à plusieurs égards, mais nous pouvons, pour notre cas, faire un lien avec la stratégie que nous avions choisie en 2009. C’est à ce moment-là que nous avons lancé le Club, Delano et, après, Archiduc. Nous pouvions lancer de nouveaux produits à moindre coût, construire une audience et ensuite la monétiser au moment de la reprise.

À la fin de la crise de 2008, nous avons concrétisé ce scénario. Aujourd’hui, nous devons être très prudents en termes de gestion, de projections, mais nous pouvons prévoir des scénarios. Nous avons donc choisi, à nouveau, d’innover pendant une crise, ce que nous voulons faire à la rentrée avec Paperjam. C’est aussi une manière de montrer qu’on ne se laisse pas abattre par le virus et que l’on va de l’avant en se remettant en question, en étant inventif.

Et dans 10 ans?

«Je suis persuadé que Maison Moderne jouera un rôle encore plus grand dans la presse au Luxembourg, avec les deux marques importantes que sont Paperjam et Delano, pour une audience que nous toucherons plus tôt le matin et plus tard le soir, 7 jours sur 7. Paperjam sera un média toujours centré sur le business, mais avec une information toujours plus ouverte sur la politique, la justice, la société et la culture.

Ces développements se feront en gardant notre indépendance, en continuant de célébrer aussi ceux qui font bouger le pays et qui contribuent à son rayonnement international. Et même si je suis convaincu que la majorité de nos interactions avec notre audience se fera en digital, il restera aussi des interactions physiques, et le print continuera aussi d’exister!»