Collecte massive de données, problèmes de cybersécurité, élimination de solutions concurrentes: la crise accentue la mainmise des technologies américaines. (Photo: Shutterstock)

Collecte massive de données, problèmes de cybersécurité, élimination de solutions concurrentes: la crise accentue la mainmise des technologies américaines. (Photo: Shutterstock)

Le sujet agace la communauté tech du Luxembourg: où sont les Européens dans la technologie qui maintient la planète sous perfusion en pleine pandémie de coronavirus? Des solutions existent pourtant.

Les «consultants» se succèdent dans l’ombre de la démocratie. Appels, SMS, e-mails, vidéoconférences: tous les moyens sont bons pour «proposer» des solutions à des politiques occupés à gérer une urgence sanitaire. De peur que le château de cartes économique ne s’écroule, soufflé par l’appétit d’un amateur de ragoût de pangolin à la chauve-souris, ils sont d’autant plus ravis d’avoir le choix.

«Off the record», ces commerciaux de luxe de solutions technologiques, souvent américaines, reconnaissent s’inscrire dans un pragmatisme culturel. Mais le «business first» est rarement assumé publiquement.

Il y a bien Amazon, par exemple, qui joue la transparence. Début avril, le géant américain, plus de 4.000 employés en Europe dont 2.200 au Luxembourg, .

«Une opportunité fantastique»

«Nous sommes très satisfaits de la contribution d’Amazon, qui nous a donné une plus grande flexibilité pour acheter des fournitures médicales. Cela nous a permis de disposer de suffisamment de matériel médical pour faire face au pic du coronavirus. Sans Amazon, nous n’aurions pas pu le faire», déclare Michel Schuetz, directeur administratif de l’hôpital, en réponse au post d’Amazon.

La photo montre quatre hommes masqués, gel hydroalcoolique posé devant eux. L’intention est clairement de véhiculer un message d’implication des «Amazoniens» dans la vie de la collectivité. Gregor Ulitzka, directeur de la chaîne d’approvisionnement d’Amazon, se dit, par exemple, «impressionné par le nombre de bénévoles prêts à aider. Cela montre à quel point notre personnel se sent connecté à la communauté dans laquelle nous travaillons et vivons.»

«C’est une opportunité fantastique de travailler avec l’équipe de l’hôpital et nous avons pu construire une relation de travail très efficace, même si nous venons d’horizons différents», renchérit Mathilde Eckmann, vendor manager chez Amazon.

Où est la contrepartie? Est-elle purement sociétale? . Et que le ministre des Finances, , s’était engagé à récupérer, quitte à les mettre sur un compte en attendant que le Luxembourg décide ou pas d’un recours contre la décision de Bruxelles.

Microsoft et le jackpot de l’Éducation

Amazon parti au Kirchberg… c’est le ministère de l’Éducation nationale qui devait s’installer sur les rives de Clausen, dans le même bâtiment que Microsoft et Skype. , au nom de sa facilité d’utilisation et des possibilités qu’elle offre et que n’offraient pas les solutions internes précédentes.

. D’abord la technologie, ensuite le projet. Avec le travers, pointé plus loin, de la monoculture: les futurs jeunes adultes auront grandi dans un environnement entièrement verrouillé par un seul fournisseur de technologies. 

Tous les chiffres montrent que pour les géants américains, le jackpot s’est même accentué avec la crise. Les parents enragent avec le programme scolaire qu’ils doivent poursuivre aux côtés de leurs enfants en confinement; les «fashionistas» et ceux qui s’ennuient commandent à tout va sur Amazon, à peine embêtée par le bras de fer avec le gouvernement français sur les conditions de sécurité du personnel de ses entrepôts; et les soirées sont remplies par des web-apéros et autres cours de yoga, de tango ou de cuisine à distance... Sans vraiment se soucier des problèmes qui se posent.

Tout le monde utilise, dans l’ordre, Webex, Cisco, Zoom, Skype ou Google Hangouts. Évoquez le leadership de Zoom, et les porte-parole de Cisco pour le Benelux vous envoient dans la demi-heure un communiqué avec les chiffres.

Malgré des avertissements de sécurité répétés et que ses corrections n’ont pas suffi à régler, contrairement à ce que dit la communication officielle, certains décideurs politiques de premier plan continuent à utiliser Zoom, et l’affichent sur ces belles photos d’eux en action et en confinement qu’ils publient.

«Et alors?», dit un des meilleurs experts du pays. «Si le Premier ministre britannique l’utilise, je ne vois pas pourquoi nous devrions ne pas l’utiliser? La Grande-Bretagne a les meilleurs services secrets du monde et si cela posait problème, ils auraient déjà fait le nécessaire. Tu crois vraiment que si des hackers ont envie de nous espionner, ils ont besoin d’aller écouter des heures de réunions inintéressantes?»

Giorgetti, Cactus ou Tarkett, deux acteurs luxembourgeois et un acteur français à la double implantation au Luxembourg, sont les parties émergées d’un iceberg d’incidents de cybersécurité que l’on ne pourra pas vraiment comprendre avant un moment. Surtout que les experts agitent, eux aussi, du bocal pour vendre leurs solutions sur fond de changement complet de paradigme de travail. Tout le monde est passé en remote work mal préparé, avec 1.000 questions en tête, qui rendent les attaques plus faciles.

Open source, blockchain et chiffrement new age

Les prudents, eux, continuent de prêcher dans le désert numérique. Comme Paolo Vecchi, le CEO d’Omnis Systems et d’Omnis Cloud, lundi soir au milieu des huit orateurs réunis par Securitymadein.lu. «Toutes les données, y compris privées, sont entre les mains d’un petit groupe de sociétés, des Américains. Ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes: la monoculture digitale face aux autres outils, les options ne sont même pas examinées sérieusement, la facilité à céder aux hypes du marketing et de la communication de ces experts, l’absence de volonté de mettre en place des infrastructures nationales pourtant cruciales.»

Les vidéoconférences de l’agence de promotion de la cybersécurité au Luxembourg ont lieu sur . La voie à suivre pour l’expert. «Internet a été créé en open source et, aujourd’hui, nous sommes confrontés à une défiance vis-à-vis de ces solutions auxquelles il faudra opposer des solutions en open source et décentralisées. Ça a un impact local et sur les forces de travail qu’on veut et qu’on doit attirer au Luxembourg. », vantés par le Premier ministre, ,

Du bout des lèvres , le CEO de Securitymadein.lu, , dit lui aussi qu’il est contre une application de traçage comme elle est envisagée pour l’instant. Perte de contrôle sur les données, rôle-clé que veulent jouer Apple et Google dans un but philanthropique, limites montrées de la version indienne par un hacker éthique...

Il y a 10 jours, Paulo Esteves-Veríssimo, . En mode décentralisé avec des serveurs de données sous le contrôle de l’État, activables en temps de crise.

«Je ne comprends pas pourquoi le Luxembourg ne réunit pas tous les meilleurs experts dans une seule structure au profit des start-up et du développement des meilleures technologies», dit un entrepreneur innovant en train de se débattre avec l’administration pour bénéficier des aides. Et pas encore prêt à torpiller ses chances de s’en sortir. «Au lieu d’avoir des structures au ministère, chez Luxinnovation ou ailleurs», comme le SnT ou le Digital Tech Fund. «Il y a moyen de faire autrement!»

Ne nous excitons pas, lui répond . La jeune entrepreneuse à la tête de Food4All pointe une autre réalité. «Le Covid souligne cette espèce de bulle autour des technologies, l’intelligence artificielle à gogo, alors que les technologies ne sont pas encore prêtes. Rien n’a été testé, tout est en beta testing. Tout ce qui a été testé et qui est sur le marché ne fonctionne pas. C’est la leçon à apprendre. C’est même une leçon pour le Luxembourg au final, qui met tous ses espoirs dans des technologies qui ne sont même pas sûres!»

Plus de 2.000 équipes européennes

Autrement, c’est ce que font d’autres entrepreneurs. Comme les deux dernières équipes luxembourgeoises encore engagées dans le hackathon géant organisé par le Conseil européen de l’innovation, une agence de la Commission européenne, poussées par un certain nombre d’acteurs comme Docler Holding.

Au milieu des 2.160 équipes, soit 20.900 personnes de 143 nationalités différentes, réunies les 24, 25 et 26 avril derniers, Compellio a réussi à rester dans la course de la compétition la plus acharnée (898 équipes dans les challenges de la santé) avec sa solution qui permet d’élaborer des stratégies de sortie de confinement, basées sur de la blockchain et du machine learning. Tout comme Keexle, qui a développé une plate-forme de chiffrement pour les développeurs de solutions européennes. Si, par exemple, on voulait créer un Zoom européen, il deviendrait sûr, by design.

Avec plus de 2.000 équipes qui ont des choses à dire, en termes de technologies, ça veut forcément dire qu’il existe une voie pour l’Europe, entre des Américains voraces de données et des Chinois dont on ignore à peu près tout.