Pour l’instant, le gouvernement s’oppose à une application de tracking des individus pour lutter contre la propagation du coronavirus. (Photo: Shutterstock)

Pour l’instant, le gouvernement s’oppose à une application de tracking des individus pour lutter contre la propagation du coronavirus. (Photo: Shutterstock)

Le Premier ministre, Xavier Bettel, a écarté l’idée d’une application qui permette de tracer les individus au Luxembourg pour lutter contre la propagation du coronavirus. Pro et anti-«Corona-App» continuent à s’opposer.

«Moi, j’aime pas!» En français, s’il vous plaît, au cours de sa dernière conférence de presse, pour le reste entièrement en luxembourgeois, le Premier ministre, (DP), répète pour la troisième fois en quelques minutes, main sur le cœur, qu’il n’envisage pas de participer à l’élaboration d’une application de traçage des gens pour monitorer la propagation du virus ou le suivi des mesures de confinement. «Si c’est pour me dire ‘lui ou lui a eu le coronavirus’, ça ne fait pas partie des choses qu’on peut faire au Luxembourg! Et je n’ai pas de base légale pour cela.»

Le régulateur européen de la donnée avait réaffirmé, assez tôt dans la crise, que le règlement général sur la protection des données (RGPD) ne permettait pas de transfert de données de santé et qu’il faudrait passer par la directive européenne e-Privacy, laquelle nécessite effectivement une loi d’exception nationale, qui doit encadrer très strictement ces transferts.

«Parce que, si cette application est performante», reprend le chef du gouvernement, pour être sûr d’être bien compris, «j’aurais une alerte qui me dirait ‘vous étiez là hier et il y avait une personne atteinte du coronavirus’, sans qu’on ne sache vraiment si elle était à plus de trois mètres ou à moins de trois mètres, si elle a toussé pendant ce temps-là, ou si elle n’a pas toussé pendant ce temps-là!»

«S’il s’agit de suivre une personne infectée dans le cadre de son entourage proche, comme nous l’avons fait, oui», poursuit-il, en se tournant vers la ministre de la Santé, (LSAP), qui l’accompagnait ce jour-là. «Mais une alarme pour quelqu’un près de moi, moi, j’aime pas! Si les médecins me disaient ‘on en a besoin’, au moins, nous en discuterions!»

Le Luxembourg ne participe à aucun projet

Juste après lui, Mme Lenert rappelle sans ambiguïté que le Luxembourg ne participe à aucun projet de ce type, qu’elle continuera à veiller d’abord à la protection de la vie privée et au RGPD, et que le gouvernement regarde ce qui se fait ailleurs, et dans quelles conditions.

Ailleurs, ça ne peut pas être comme ces modèles que vantent les experts en faveur d’une application de tracking, en Israël, en Corée du Sud, à Singapour, à Taïwan, ou même en Chine, parce qu’aucun de ces pays n’est dans le même contexte de vie privée que la Vieille Europe.

Et pourtant, des initiatives existent. Les Britanniques ont non seulement demandé un coup de main , mais ils ont également lancé .

L’Union européenne, elle, joue sur du velours: huit opérateurs, comme Vodafone, Deutsche Telekom ou Orange, ont commencé à transférer des données. À charge, pour la Commission européenne, de rendre ces données anonymes.

Le chercheur Inserm Eugenio Valdano, en collaboration avec Orange, explique ce positionnement pour Le Taurillon: «Nous n’allons pas nous intéresser aux déplacements d’un individu particulier, en regardant comment il a bougé et où. Nous allons plutôt analyser des données quantitatives anonymisées qui rendent compte de la mobilité entre zones géographiques grâce à la localisation des antennes-relais.» Ces collectes de données doivent donc évaluer l’effet du confinement «à l’échelle d’un code postal», assurant un champ de recherche large et impersonnel, explique le cabinet du commissaire européen au marché unique, Thierry Breton.

L’anonymisation est aussi le point crucial d’, née en Suisse et en Allemagne, qui regroupe 130 membres de huit pays européens, dans lesquels on retrouve les opérateurs de télécoms, mais aussi des laboratoires de recherche publics, comme l’Inria en France, et qui est portée au Luxembourg par Jean Diederich, au titre de ses fonctions de représentant des professionnels de la société de l’information.

«Les méthodes d’anonymisation existantes sont extrêmement incertaines. des données anonymisées dans 99,98% des cas. Une réalité dont les autorités semblent peu se soucier, à moins qu’elles n’en soient pas conscientes», alerte André Loesekrug-Pietri, entrepreneur et directeur exécutif de la Joint European Disruptive Initiative (Jedi), dans une tribune libre publiée dimanche.

Mais «des pistes technologiques existent, qui permettraient de continuer à exploiter ces données (déjà massivement collectées et traitées par les grandes plates-formes) tout en les protégeant à 100%. La cryptologie homomorphique, sur laquelle travaille la Joint European Disruptive Initiative (Jedi) depuis plusieurs mois, est l’une d’entre elles. Difficile, mais prometteuse. Elle permettrait aux Européens d’utiliser beaucoup plus massivement et stratégiquement leurs données, ce que Thierry Breton appelle de ses vœux, tout en restant fidèles à ce qui est la base de nos valeurs et de notre compétitivité future, la protection des données personnelles.»