«En se concentrant sur les secteurs porteurs, ouverts à l’international, on devrait pouvoir compenser les difficultés de secteurs locaux qui dépendent directement de la présence ou de l’activité humaine», résume le nouveau managing partner de KPMG, au sujet de l’évolution de l’économie luxembourgeoise en raison de la crise. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

«En se concentrant sur les secteurs porteurs, ouverts à l’international, on devrait pouvoir compenser les difficultés de secteurs locaux qui dépendent directement de la présence ou de l’activité humaine», résume le nouveau managing partner de KPMG, au sujet de l’évolution de l’économie luxembourgeoise en raison de la crise. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

David Capocci prend, ce jeudi, ses fonctions de managing partner de KPMG Luxembourg. Pour sa première interview, celui qui a dû appréhender ce nouveau rôle en pleine crise du Covid-19 dévoile son approche et ses ambitions d’ici à la fin de son mandat de quatre ans.

pour succéder à Philippe Meyer,  fait partie des spécialistes des investissements alternatifs de la Place. L’ancien associé de Deloitte, , veut renforcer l’esprit entrepreneurial et l’innovation au sein du cabinet, dont il veut augmenter le chiffre d’affaires de plus de 50% d’ici à la fin de son mandat, dans quatre ans. Il livre son premier entretien en ce jour de prise de fonctions.

Vous arrivez à la tête de KPMG – 1.800 employés – dans un contexte particulier dominé par le Covid-19 et ses conséquences sanitaires, puis économiques. Comment ne pas succomber à la morosité ambiante?

David Capocci. – «Je suis d’un naturel optimiste, j’ai tendance à me focaliser sur les choses positives. On espère évidemment que ce virus va disparaître, mais ses conséquences vont perdurer. Ceci dit, quand je vois la capacité qu’a eue le gouvernement à apporter une réponse à la crise pour protéger la santé de la population. Gageons qu’il prendra toutes les mesures adéquates pour soutenir l’économie réelle. Car toutes les conséquences malheureuses de la crise ne sont probablement pas encore connues. L’économie aura encore besoin d’aide dans les prochains mois.

Cette situation me rappelle qu’en début d’année, nous avions organisé une conférence pour nos clients à l’occasion du Nouvel An chinois, qui célébrait l’année du rat. La dernière année du rat remonte à 2008… la réalité des cycles de crises nous rattrape. Nous devons aujourd’hui consacrer notre énergie à combattre cette pandémie. Si tous les acteurs, privés et publics, travaillent de concert, nous devrions pouvoir faire face à cette crise et aller de l’avant.


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Comment s’est passée la prise en main du rôle de managing partner en pleine crise?

«J’ai été élu le vendredi 13 mars, qui précédait le confinement. Heureusement, le fait que les élections internes soient organisées suffisamment en avance par rapport à la prise de fonctions effective permet une réelle transition avec l’équipe en place, en particulier avec le managing partner sortant: Philippe Meyer. Notre objectif était d’assurer une transition la plus fluide possible pour nos différentes parties prenantes, tant internes qu’externes.

L’économie financière d’où je viens – en particulier du domaine alternatif – est toujours bien active, et c’est elle qui devrait supporter l’économie réelle, a contrario de ce que nous avons pu vivre en 2008.
David Capocci

David Capoccimanaging partnerKPMG Luxembourg

Si vous deviez décrire un baromètre au travers du ressenti de vos clients, comment se comporterait la pression de la météo économique?

«Nos clients ont été dans l’expectative pendant les trois premiers mois de la crise. La distanciation physique nous a d’ailleurs considérablement rapprochés d’eux. Depuis le début de la crise, nous sommes restés énormément en contact avec nos clients, qui avaient, pour certains, le besoin de se situer par rapport aux autres pour savoir quelles mesures étaient mises en place.

D’une manière générale, des besoins découlant de cette crise, comme l’accélération de la digitalisation et de la transformation des modèles opérationnels par la revue et l’automatisation des processus, ont été exprimés. Nous y avons répondu avec des solutions VDI (Virtual Desktop Infrastructure) ou IDEA (notre Intelligent Data Extraction Assistant). Une certaine tendance à l’outsourcing est aussi à remarquer.

L’économie financière d’où je viens – en particulier du domaine alternatif – est toujours bien active, et c’est elle qui devrait supporter l’économie réelle, a contrario de ce que nous avons pu vivre en 2008. Les acteurs private equity ou les spécialistes du rachat de dettes sont d’ailleurs très actifs, tout en devant se réinventer en fonction de cette crise qui entrave la réalisation de ‘due diligence’ en présentiel. Ce qui peut s’avérer complexe dans l’immobilier, par exemple…

À quoi vous attendez-vous d’ici à la fin de l’année? Une stabilisation de la situation économique, ou une aggravation des conséquences de la crise?

«Si on considère l’économie d’une manière générale, je m’attends à une contraction, toutes les statistiques le présagent. La plus forte pondération de l’asset management dans l’économie luxembourgeoise devrait permettre de pallier une contraction dans d’autres secteurs. Le Brexit, qui se poursuit, a vu la confirmation de l’arrivée de nouveaux acteurs financiers au Luxembourg. En se concentrant sur les secteurs porteurs, ouverts à l’international, on devrait pouvoir compenser les difficultés de secteurs locaux qui dépendent directement de la présence ou de l’activité humaine.

Pensez-vous que nous reviendrons à terme à l’ancienne réalité?

«On ne reviendra pas tout à fait en arrière. Ceci dit, le Covid n’a pas changé tout à fait la direction du monde, mais il n’a fait qu’accélérer le mouvement. Mon programme pour les élections internes était déjà focalisé sur l’adaptation de notre firme aux businesses du futur. Le Covid ne fait qu’accélérer nos besoins, et tous les objectifs que nous avons définis vont dans ce sens.

Du jour au lendemain, tout le monde s’est rendu compte que le home working pouvait fonctionner et qu’il n’était pas nécessaire d’être assis tout le temps et dans le même bureau pour pouvoir communiquer. Le Covid nous a mis face à la réalité, qui est effectivement le monde de demain. Je ne pense pas qu’on retournera en arrière, si ce n’est pour les contacts sociaux – je l’espère bien –, qui sont primordiaux.

Tout le monde se rend compte qu’il est possible de coordonner des équipes et de gérer une firme différemment.
David Capocci

David Capoccimanaging partnerKPMG Luxembourg

Comment est organisée la vie au bureau aujourd’hui, chez KPMG?

«Nous avons un retour des équipes au bureau de l’ordre de 30%. Nous avons laissé les leaders des différents départements s’organiser en fonction de leurs besoins. Au-delà des mesures de précaution sanitaires, nous avons utilisé dès le début les outils d’organisation de réunions virtuelles, et on se rend compte aujourd’hui que les réunions qui se déroulent sur place ont lieu aussi avec les outils vidéo pour ceux qui travaillent de la maison. Nous allons devoir nous habituer à cette manière de fonctionner.

Est-ce que le télétravail a changé la manière de manager les équipes?

«Les outils étaient déjà là, et le télétravail existait déjà chez KPMG avant la crise. Je proposais dans mon programme électif de faire évoluer les KPI (Key Performance Indicators), pour les orienter vers des KPI qui dépendent d’une tâche ou d’un résultat, plutôt que d’une présence au bureau. Par défaut, j’ai confiance dans toutes les équipes de KPMG, donc, oui, la crise actuelle entraîne un changement de management, mais tout le monde se rend compte qu’il est possible de coordonner des équipes et de gérer une firme différemment.

Comment faire du business development dans un monde post-Covid?

«Par le passé, on recourait plus souvent à des voyages pour réaliser un maximum de réunions physiques avec, à l’ordre du jour, les sujets du moment et les atouts du Luxembourg. Aujourd’hui, on fait la même chose, mais de manière virtuelle. L’organisation de réunions en vidéo nous permet aussi de gagner du temps, tout en nouant un lien précieux avec des clients qui travaillent parfois à la campagne, alors qu’ils sont habitués au rythme de la City, par exemple. Maintenir un lien est primordial dans ce cas de figure.

Quelles ont été les demandes de vos clients depuis le début de la crise?

«L’audit a une activité soutenue, et nous recueillons énormément de nouvelles demandes pour cette fonction. En Tax, le reporting et la compliance prennent le dessus. Dans l’Advisory, l’activité ‘deal advisory’ est en plein essor, de même que la demande pour le ‘risk’ et ‘regulatory consulting’. Nous faisons face à une demande accrue pour l’externalisation du reporting et des services comptables de nos clients. Les secteurs traditionnels comme l’asset management continuent aussi à être actifs. L’activité est potentiellement réduite par rapport au passé, mais reste très soutenue pour l’instant.

Malgré l’utilisation de nouveaux outils dans des tâches standardisées ou sans grande valeur ajoutée, le contrôle final revient toujours à l’humain, précise David Capocci. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

Malgré l’utilisation de nouveaux outils dans des tâches standardisées ou sans grande valeur ajoutée, le contrôle final revient toujours à l’humain, précise David Capocci. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

Quels objectifs tangibles vous êtes-vous fixés?

«Nous allons travailler sur des objectifs définis sur quatre ans, soit la durée de mon mandat. Ces objectifs vont ensuite être déclinés en plans stratégiques annuels. Mais l’objectif sur quatre ans est clairement une croissance qui va aller au-delà de 50% de notre chiffre d’affaires. (Le chiffre d’affaires en 2019 – année hors crise – s’élevait à 232 millions d’euros, ndlr).

Qu’en est-il de vos besoins en ressources humaines?

«Les équipes vont continuer à grandir, même si nous connaissons tous des difficultés à attirer des talents au Luxembourg. Nous pourrions aussi envisager de voir certaines personnes travailler sur certains projets en tant que free-lances pour leur permettre d’avoir un équilibre entre leur vie privée et professionnelle, et, de notre côté, moduler nos ressources en fonction des demandes du client.

Il y aura donc une croissance des effectifs, mais probablement pas dans la même mesure que la croissance de notre chiffre d’affaires. Nous allons aussi continuer à automatiser les fonctions qui peuvent l’être via des solutions digitales, tout en sachant que l’intervention humaine restera essentielle. La digitalisation et l’innovation doivent être principalement utilisées pour réaliser des tâches sans grande valeur ajoutée.

Ce n’est donc jamais une machine qui va signer un rapport d’audit?

«De mon point de vue, il y aura toujours un humain qui apportera son contrôle final.

D’où viendra la croissance que vous ambitionnez d’atteindre d’ici quatre ans?

«Elle viendra principalement du secteur financier, en particulier de l’asset management, principalement de l’alternatif. Nos leaders en interne ont de grandes ambitions sur ces piliers. La croissance viendra aussi d’une clientèle qui n’est pas uniquement luxembourgeoise, mais provient aussi de l’étranger, notamment grâce au réseau international de KPMG.

Or, KPMG Luxembourg bénéficie d’une expertise reconnue dans l’asset management. Nous avons par exemple développé l’outil ‘iNAV’, qui offre des capacités d’analyse de données pour faciliter les process dans l’audit. Cet outil est vendu dans notre réseau. Plus globalement, nous voulons positionner KPMG Luxembourg comme le hub européen de l’asset management dans notre réseau, en capitalisant notamment sur les différents rôles que nous exerçons déjà dans ce domaine.

Est-ce évident de vendre KPMG Luxembourg dans le réseau?

«C’est évidemment plus difficile de vendre un petit pays ou un bureau de taille plus réduite, mais l’expertise n’a pas de nationalité. Quand elle est reconnue, quand on peut proposer un outil différenciateur, il devient assez naturel d’obtenir une reconnaissance en interne. Cela va dans les deux sens, puisque nous utilisons aussi des outils développés par des collègues dans le réseau.

Innover, c’est essayer de faire mieux demain ce que l’on fait aujourd’hui.
David Capocci

David Capoccimanaging partnerKPMG Luxembourg

Innover, c’est essayer de faire mieux demain ce que l’on fait aujourd’hui.

Comment avez-vous organisé ou réorganisé la firme luxembourgeoise pour correspondre à ces objectifs?

«Nous procédons à des évolutions, non pas à une révolution. Certains éléments fondamentaux à nos métiers ne changent pas. Notre mission reste d’inspirer la confiance, de délivrer de la qualité. La stratégie est adaptée à l’environnement économique, aux besoins du moment. Une de mes priorités sera de favoriser l’esprit entrepreneurial au sein de KPMG en nous focalisant sur trois piliers: les besoins du client, l’innovation et les équipes. Je veux que les employés de KPMG ne se comportent pas différemment que s’ils devaient gérer leur propre entreprise.

Serez-vous particulièrement attentif à un projet?

«Je dirais volontiers l’innovation, qui était déjà très présente chez KPMG de par des projets tels que les Fintech Awards. De même, il faut savoir que le Luxembourg est le centre de compétences de KPMG pour les Data & Analytics dans le secteur des fonds. Nous avons contribué de manière significative à l’élaboration de prototypes de type blockchain pour la distribution des fonds, ou pour la TVA, certains de ces prototypes sont maintenant en production. Je souhaite pérenniser cet aspect dans notre culture d’entreprise, notamment via le rôle de chief innovation officer, qui vient d’être créé.

L’innovation ne signifie pas forcément trouver l’idée révolutionnaire, mais penser à la manière d’améliorer notre efficacité, nos process, ou encore de gérer nos risques. Innover, c’est essayer de faire mieux demain ce que l’on fait aujourd’hui. Je crois à une approche simple et pragmatique de l’innovation pour en faire un sujet accessible à tous. Imaginez si chacun de nos 1.800 employés proposait une idée d’amélioration par an… Une de nos premières actions concrètes en la matière est la mise en place d’un MBA en digitalisation & innovation, que nous allons décliner pour les collaborateurs de la firme.

Quel genre de managing partner serez-vous?

«J’imagine que je ne serai pas différent de ce que je suis aujourd’hui. Je veux être quelqu’un d’enthousiaste, qui est capable de communiquer cet enthousiasme à nos équipes. Je veux être ce managing partner qui donne la fierté aux employés de KPMG de travailler pour KPMG. Je peux le dire, car je viens d’un autre Big Four, nous pouvons compter ici sur des employés avec beaucoup de valeurs. Et si je peux être le managing partner qui les conscientise sur leurs forces et qui leur donne cette fierté, j’aurai réussi une bonne partie de mon mandat.»