Jean-Claude Juncker regrette «l’éloignement que pratiquent certains pays par rapport aux valeurs fondamentales de l’UE». (Photo: Anthony Dehez)

Jean-Claude Juncker regrette «l’éloignement que pratiquent certains pays par rapport aux valeurs fondamentales de l’UE». (Photo: Anthony Dehez)

Vous l’avez peut-être manquée. Paperjam vous propose une «séance de rattrapage» avec l’interview du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Nous l’avions rencontré à Bruxelles, à quelques jours des élections européennes.

Jamais dans l’histoire de l’UE l’Europe n’a paru aussi divisée, aussi déchirée. Partagez-vous ce constat? Comment l’expliquez-vous?

. – «Lorsque j’ai commencé ma vie européenne en 1982, on parlait de ‘l’eurosclérose’, que l’Europe était bloquée, en panne. L’Europe ne faisait plus rêver. Je suis un dinosaure de l’Europe, comme l’écrivent certains, je fais aussi partie de ceux qui savent et qui ont vécu la construction européenne. Cela me rappelle les discours d’aujourd’hui.

Mais après ‘l’eurosclérose’, nous avons su tout de même lancer l’Union économique et monétaire, nous avons réalisé le plus grand élargissement que l’UE ait jamais connu, vers l’Europe centrale et la Méditerranée, que je souhaitais d’ailleurs de tout cœur.

La situation n’est-elle pas pire aujourd’hui?

«Non. La situation est devenue plus difficile en interne parce que certains pays membres prennent des libertés par rapport aux valeurs fondamentales de l’Union européenne. Ce que je regrette profondément.

Les défis extérieurs qui nous sont lancés sont quant à eux nouveaux. Je pense par exemple à la Russie avec l’occupation de la Crimée ou à l’adieu que M. Trump a fait par rapport à l’approche multilatérale.

S’ajoute non pas la crise de l’Euro, mais la crise de la dette publique et le souhait formulé sans gêne par certains d’éliminer la Grèce de la zone euro. Ou encore la crise migratoire que j’avais pressentie. Ce contexte donne l’impression que l’Europe est plus divisée que jamais alors que ce n’est pas vraiment le cas.

L’Europe est un combat presque quotidien.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude JunckerprésidentCommission européenne

Quels sont les risques internes encourus par l’UE?

«Je regrette l’éloignement que pratiquent certains pays par rapport aux valeurs fondamentales de l’UE. Je parle de la Pologne pour la justice, de la Hongrie pour un retour à un autoritarisme de mauvais aloi. Je vois des mouvements en Roumanie qui ne correspondent pas à l’essentiel du corps et du cortège des valeurs européennes. Il faut lutter contre ces mouvements. C’est ce que nous sommes en train de faire.

Est-ce que cela a encore du sens de faire une Union européenne avec des gens qui ne partagent pas ou plus les mêmes valeurs?

«Je n’irais pas aussi loin. L’Europe est un combat presque quotidien. Face à ces phénomènes et notamment face à l’extrême droite, il faut faire preuve d’une certaine résilience. Si on suit les forces anti-européennes et d’extrême droite, si on baisse la garde, on offre l’Europe à des tendances extrêmes et extrémistes qui ne la serviront pas sur le long terme. Il faut surtout veiller à ce que les partis politiques classiques n’imitent pas les partis extrémistes.

C’est le cas aujourd’hui?

«J’observe en effet chez certains comme un agenouillement devant certaines thèses d’extrême droite, c’est là que réside le danger.

À qui pensez-vous?

«Je pense à ceux qui se vautrent dans le simplisme qui accompagne l’extrémisme.

C’est l’appel que vous pourriez lancer à la veille de cette élection?

«Je l’ai fait plusieurs fois et je le fais à nouveau. Si vous courez après les populistes, vous finirez par devenir populiste. Et les citoyens qui observent ce jeu de rattrapage voteront pour l’original et non la copie.

En réalité, on prolonge vers l’Europe un sentiment de non-compréhension des citoyens par rapport à l’action des politiques publiques.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude JunckerprésidentCommission européenne

Est-ce que l’UE a une part de responsabilité dans la montée des populismes? Ou s’agit-il d’abord d’une responsabilité des États?

«C’est d’abord les politiques nationales qui doivent être mises en question. Par comparaison aux années 80, le phénomène n’est pas plus grave. Or, j’observe que depuis le référendum sur le Brexit, l’adhésion populaire à l’UE est devenue plus forte pratiquement dans tous les pays.

Tous les citoyens s’aperçoivent de la difficulté à vouloir quitter l’Union européenne, alors qu’on attribue souvent les maux vécus dans son propre pays à l’Union européenne. En réalité, on prolonge vers l’Europe un sentiment de non-compréhension des citoyens par rapport à l’action des politiques publiques.

Jean-Claude Juncker à son bureau, au 13 e  étage du Berlaymont, le siège de la Commission européenne. (Photo: Anthony Dehez)

Jean-Claude Juncker à son bureau, au 13 e étage du Berlaymont, le siège de la Commission européenne. (Photo: Anthony Dehez)

Vous venez d’évoquer le Brexit. Le chômage n’a jamais été aussi bas au Royaume-Uni. Est-ce que ça ne prouve pas qu’on peut vivre sans l’Europe?

«Le Brexit n’a pas encore eu lieu!

C’est la première fois qu’un pays s’en va tout de même…

«Est-ce qu’il faut attribuer à la seule Union européenne le fait que les Britanniques aient voté contre l’UE pour dire les choses simplement? Le Brexit a une explication interne au Royaume-Uni.

Si pendant 40 ans, tous les gouvernements ont expliqué à un public et un corps citoyen que l’Europe rime avec économie mais qu’ils ne sont pas à l’aise avec les approches politiques, si vous couvrez d’invectives et d’injures tout ce qui se fait en Europe, si vous expliquez après les conseils européens que vous avez gagné face aux intérêts des autres, alors il ne faut pas être surpris du résultat du référendum.

Il aurait fallu que Londres parle à Londres il y a deux ans.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude Junckerprésident Commission européenne

On aurait dû mieux expliquer ou défendre l’Europe avant le référendum?

«Récemment, j’ai déclaré que la Commission et moi-même avions eu tort de ne pas mélanger nos voix aux multiples campagnes anti-européennes qui se sont déroulées au Royaume-Uni. Le gouvernement britannique nous avait demandé de ne pas intervenir dans le débat référendaire. Personne n’a donc vraiment défendu l’Union européenne et ses bienfaits, sans cacher les faiblesses.

Comment va se terminer le Brexit?

«Les Britanniques ne savent pas vers où ils vont. Je prétends que les Européens sont mieux préparés. Nous avons constaté au cours des 24 mois de négociations que les Britanniques ont découvert les vrais problèmes liés à la perspective du Brexit. Je pars de l’hypothèse que les Britanniques vont quitter l’Europe le 31 octobre au plus tard. Nous sommes entre les mains des Britanniques tout comme les Britanniques sont entre nos mains.

Il ne faut pas croire que l’UE va être preneuse automatiquement de l’arrangement intra-britannique lorsqu’il surviendra. Il est tout de même scandaleux en termes de gestion d’un État que les principales forces politiques britanniques se soient mises si tardivement autour de la table. Voilà un pays qui, confronté à un choix existentiel, découvre sur le tard les vertus du dialogue entre partis. Il aurait fallu que Londres parle à Londres il y a deux ans.

Il y a tellement de feuilles de route que personne ne retrouve sa route.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude Junckerprésident Commission européenne

Le Brexit a-t-il eu comme effet de souder les 27 pays membres et leurs leaders? Auriez-vous pu publier une déclaration d’intention commune sur l’avenir de l’UE comme celle de Sibiu sans le Brexit?

«La déclaration de Sibiu est un cortège d’évidences. J’applaudis des deux mains son contenu mais je n’exagère pas son importance.

Ce n’est pas une feuille de route pour la prochaine Commission?

«C’est une sorte de feuille de route, mais il y a tellement de feuilles de route que personne ne retrouve sa route. Mais il est vrai que tous les phénomènes gravitant autour du Brexit ont eu pour résultat que la cohésion entre les 27 s’est raffermie. Qui aurait cru au moment du vote britannique que les 27 garderaient cette même ligne d’action, d’analyse et de démarche.

Jacques Delors disait que le président de la Commission n’a pas d’alliés. J’ai pu le constater à de nombreuses reprises.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude JunckerprésidentCommission européenne

Sur le plan économique, l’UE ne va pas si mal. Est-ce que c’est une satisfaction de votre mandat?

«Lorsque je fais le bilan économique et social des années passées, il faut tout de même dire que tout ce ‘qu’on’ - pas moi – avait prévu en 2014 ne s’est pas avéré exacte. Lorsque ma Commission a pris le relais de la Commission Barroso, l’Europe économique et sociale était en panne.

Rappelez-vous qu’en 2014, l’impression générale était que le chômage allait augmenter. Nous avons créé 13,4 millions d’emplois en Europe depuis 2014. Le taux d’emploi est plus élevé qu’il ne l’a jamais été. L’investissement européen était en panne. Nous avons retrouvé un niveau d’investissement qui correspond à celui d’avant-crise. Les déficits publics ont été corrigés vers le bas. Nous avons un déficit public de 0,8% maintenant, alors qu’il était de 6,6 en 2009. Sur un plan économique global, les choses vont autrement mieux qu’au début de notre mandat, y compris pour le chômage des jeunes. Si le chômage avait augmenté de 13,4%, si le taux d’emploi avait baissé de 5% au lieu d’augmenter de 5%, si le déficit avait augmenté au lieu de baisser… que dirait-on aujourd’hui? Que l’Europe est en panne et que la Commission en est responsable. C’est ainsi que va l’Europe et que va l’Histoire.

Investir aussi massivement sur une aussi courte période, c’est une politique qui tranchait avec celle de vos prédécesseurs…

«Les investissements ont retrouvé leur niveau d’avant-crise. La croissance a augmenté pendant 24 trimestres consécutifs. Donc sur le plan économique, on a plutôt bien fait. Personne ne l’avouera parce qu’on attribue le succès de l’action combinée entre l’Union européenne et les pays membres aux seuls pays membres.

Présider la Commission européenne est un poste ingrat?

«Jacques Delors disait que le président de la Commission n’a pas d’alliés. J’ai pu le constater à de nombreuses reprises. Tout ce qui va bien, c’est grâce aux États membres, et tout ce qui va mal, c’est à cause de la Commission ou de l’Union européenne, les États membres oubliant trop souvent qu’ils font partie de l’Union européenne et de ce qu’il est convenu d’appeler Bruxelles...

Sur certains dossiers, comme la fiscalité ou la crise migratoire, votre action s’est heurtée aux égoïsmes ou aux intérêts nationaux. Mais cette réalité, vous ne l’avez pas découverte, puisque vous avez longtemps été de l’autre côté de la barrière en tant que président de l’Eurogroupe...

«Il y a comme une gêne des gouvernements nationaux à attribuer à l’Union européenne les mérites qui lui reviennent. Après chaque conseil, les protagonistes qui se sont exprimés avec moins de vigueur rhétorique pendant la réunion que lorsqu’elle est terminée donnent l’impression qu’ils ont gagné. Or, il n’y a ni perdants ni gagnants. Le seul gagnant, c’est l’Europe.

Je reste adepte du principe des têtes de liste, qui est une petite avancée en termes de légitimité démocratique.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude Junckerprésident Commission européenne

Pensez-vous que nous sommes aujourd’hui arrivés au bout d’un cycle et qu’il faut revoir certaines règles de décision?

«Il y a très peu de domaines en Europe où l’on décide à l’unanimité. Nous avons proposé en tant que Commission de passer à la majorité qualifiée sur certains domaines en matière de politique extérieure ou fiscale. Mais cet appel n’a pas trouvé d’écho favorable auprès des gouvernements nationaux et surtout pas auprès du gouvernement luxembourgeois, dont le Premier ministre (, ndlr) disait alors que c’était tout à fait ‘out of the question’, hors de question... Il a depuis révisé un peu son point de vue, ce qui plaide en faveur de son honnêteté intellectuelle.

Pour ma part, je considère qu’il n’est pas normal que l’Union européenne ne puisse pas s’exprimer d’une seule voix sur la question des droits de l’Homme en Chine par exemple, parce qu’un ou deux de ses États membres ont des relations commerciales plus étroites avec ce pays... Il n’est pas non plus normal que sur le pacte migratoire onusien, l’Europe ne puisse pas s’exprimer d’une seule voix parce qu’il y a quelques pays qui s’inscrivent en faux contre la position de l’ONU.

Nous plaidons donc pour que certaines décisions puissent se prendre à la majorité qualifiée. Pour le reste, j’observe que nous avons soumis au conseil plus de 400 propositions législatives et réglementaires. 348 ont été adoptées, dont 90% à l’unanimité. Pensez-vous vraiment que ce soit le signe d’une Europe en crise?

Sur le volet institutionnel, d’autres mesures, comme la prise en compte d’initiatives citoyennes ou l’élection d’un président de l’Europe au suffrage universel, permettraient sans doute de rapprocher l’Union européenne de ses citoyens...

«Oui et non. D’abord, nous avons admis à la table des institutions la plupart des initiatives citoyennes alors que sous la Commission précédente, certaines furent rejetées sans même que le collège des commissaires ait eu à en prendre connaissance. Ensuite, j’aimerais que le président de la Commission et que celui du Conseil européen soient élus au suffrage universel de tous les citoyens européens.

Mais pensez-vous vraiment que les Français, les Italiens, les Espagnols et beaucoup d’autres voudraient voir à la tête de la Commission quelqu’un qui aurait été élu avec une légitimité continentale plus large et plus forte que leur légitimité nationale? Je n’y crois pas.

C’est la raison pour laquelle je reste adepte du principe des têtes de liste, qui est une petite avancée en termes de légitimité démocratique. Mais je constate là encore que la plupart des chefs d’État et de gouvernement n’aiment pas ce système parce qu’ils pensent que cela rongerait leur influence. La plupart des gouvernements nationaux préfèrent des accommodements de mansardes.

Y compris le Premier ministre luxembourgeois...

«Oui, je l’aime bien et j’évolue avec lui sur l’Europe sans nuances, mais je ne crois pas que la solution se trouve dans les chambres noires du Conseil européen.

Partout en Europe, les grands partis s’érodent...

«Ils perdent en influence, oui. Il vaudrait mieux qu’ils restent fidèles à ce qu’ils ont toujours été, tout en accommodant leur discours aux conditions actuelles, bien sûr. Il y a aujourd’hui un flou idéologique qui fait que les citoyens ont du mal à les distinguer les uns et des autres.

Est-ce que je le regrette? Oui. Est-ce que je le regrette profondément? Non, car sur l’Europe, c’est quand même mieux que les grandes forces politiques – je veux parler des démocrates-chrétiens, des socialistes, des libéraux et des verts – gouvernent ensemble dans une même direction de principe. Si elles divergeaient sur la finalité de l’Union européenne, ce serait dramatique.

«Nous étions dans une drôle de guerre, nous sommes maintenant dans une drôle de paix», indique Jean-Claude Juncker au sujet des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine. (Photo: Anthony Dehez)

«Nous étions dans une drôle de guerre, nous sommes maintenant dans une drôle de paix», indique Jean-Claude Juncker au sujet des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine. (Photo: Anthony Dehez)

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant votre mandat?

«Le bilan économique qui va dans le bon sens et le fait aussi que l’Europe sociale a su avancer. Je pense à la révision de la directive sur les travailleurs détachés, à la meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale...

Sur le salaire minimum en revanche, cela n’a guère avancé...

«Je l’avais avancé comme principe d’action dans mon discours du 15 juillet 2014 devant le Parlement européen. Il y a aujourd’hui cinq pays qui n’ont pas de salaire social minimum d’un point de vue légal, mais qui ont un dispositif contractuel qui n’est pas moins élevé. Je reste attaché à ce principe car il correspond à l’idée que je me fais de l’Europe sociale.

Il faut que dans chaque pays et indépendamment du niveau de vie tout le monde dispose, lorsqu’il travaille, d’un revenu qui lui permette d’arrondir ses fins de mois. Ça n’est pas le cas partout et donc il faut y travailler. Cela fait partie du socle des droits sociaux minimaux que j’ai lancé et qui a connu son apogée lors du Conseil de Göteborg. Je constate aujourd’hui que les pays qui y ont souscrit prennent quelques libertés. Cela me conforte dans l’idée que ce socle ne doit pas rester un poème, mais doit se traduire dans les faits concrets.

Parmi les succès, je vois aussi tout de même ce que nous avons fait en termes de roaming et de frais d’itinérance. C’est tout de même remarquable qu’aujourd’hui vous puissiez téléphoner dans tous les pays de l’Union européenne comme si vous étiez chez vous. C’était une proposition de la Commission signée (ancienne vice-présidente de la Commission européenne, issue du CSV, le parti de Jean-Claude Juncker, ndlr) à laquelle je souhaite rendre hommage.

Enfin, nous avons su conclure 15 accords commerciaux avec d’autres pays du monde, notamment le Canada et le Japon, alors que pendant des années, les négociations étaient bloquées, en y intégrant les normes européennes en matière sociale et environnementale.

LuxLeaks fut une erreur de pilotage personnelle.
Jean-Claude Juncker

Jean-Claude JunckerprésidentCommission européenne

Craignez-vous une reprise de la guerre commerciale entre l’Europe et les États-Unis?

«Nous étions dans une drôle de guerre, nous sommes maintenant dans une drôle de paix. Je crois que le président américain va tenir parole, mais on verra à l’autopsie... Pour l’instant, il vient d’annoncer que la décision concernant les taxes douanières sur l’industrie automobile sera repoussée de six mois.

Parmi vos regrets figure l’affaire LuxLeaks...

«Ce fut une erreur de pilotage personnelle. Ce scandale a éclaté quatre jours après ma prise de fonction et j’ai mis une semaine à réagir alors que j’aurais dû le faire immédiatement.

Sur la fiscalité, avez-vous le sentiment d’en avoir fait assez?

«Nous avons fait 21 propositions en matière fiscale! Jamais une Commission n’en avait fait autant. Nous avons changé la donne fiscale en Europe. Nous avons réglé l’affaire des ‘tax rulings’. Le Conseil ne nous a pas suivis dans notre sagesse sur l’imposition des Gafa, ni sur notre proposition de donner une base consolidée en ce qui concerne la surface imposable. Est-ce la faute de la Commission de l’avoir proposée ou celle des États membres de ne pas avoir suivi?

Le Luxembourg joue-t-il le jeu aujourd’hui en matière fiscale?

«Il avance à un rythme acceptable lorsqu’il s’agit de mettre un terme aux plus grands dérapages, mais sur les grandes ambitions fiscales européennes, il avance à pas de sénateur.

Quels atouts restera-t-il au Luxembourg si on arrive à l’harmonisation fiscale?

«On devrait relire les discours que j’ai prononcés au Parlement luxembourgeois sur la fiscalité européenne. J’ai toujours plaidé pour un principe simple: il ne faut pas que le Luxembourg devienne riche au détriment de ses voisins. L’accueil ne fut jamais enthousiaste à part chez les Verts. Les socialistes et les libéraux au gouvernement ont toujours protesté contre le fait que je voulais faire plus en matière d’harmonisation. Mais cela, je le garde pour la partie luxembourgeoise de mes mémoires...

Vous allez les écrire?

«Je dois attendre la surdité progressive des interlocuteurs qui furent les miens à l’époque... [rires]

Tous les partis au Luxembourg font campagne en disant qu’il faut une autre Europe...

«Oui, ils font cela depuis toujours... Lorsque vous faites campagne, il faut bien que vous disiez qu’il faut faire différemment. C’est normal. Mais dire que l’Europe intervient trop dans la vie quotidienne des gens ou qu’elle est en train de sur-réglementer ne tient pas compte du bilan qui est le nôtre. Nous avons proposé 75% de directives en moins que la commission précédente. Nous avons éliminé 134 pièces de législation et retapé 150 textes en vigueur pour les alléger. Toutes les forces politiques font campagne comme si rien ne s’était passé.

Qu’allez-vous faire après la Commission?

«Tout le monde me pose la question, mais je me drape dans un silence qui dure.

Votre parti, le CSV, n’a pas réussi à reprendre des couleurs depuis six ans...

«Jamais mon parti n’a perdu les élections. Le CSV reste le premier parti du pays. Les autres ont décidé de nous éliminer du jeu en ne respectant pas les règles élémentaires de la démocratie, mais je reconnais qu’une majorité est une majorité et que si celle-ci se fait même contre le premier parti du pays, il faut l’accepter. Ils ont décidé de gouverner sans nous.

Grand bien leur fasse, mais je voudrais surtout que grand bien cela fasse au pays. Je ne dis pas que le Luxembourg est mal gouverné. Je ne dirai jamais ça. Mais je constate par exemple que lorsque j’étais Premier ministre, le Luxembourg avait le taux de chômage le plus bas d’Europe. Or aujourd’hui, il y a plusieurs pays qui ont un niveau de chômage moins élevé...

Quand vous étiez au Luxembourg, vous disiez que votre parti était celui des petites gens. C’est la recommandation que vous feriez à la fois aux dirigeants du CSV et à votre successeur à Bruxelles, de ne pas oublier les petites gens?

«Avoir à l’esprit les difficultés quotidiennes de ceux qui n’ont pas la chance de participer au bien-être est une ardente obligation. C’est vrai au Luxembourg, comme en Europe. Les citoyens ordinaires ne sont pas moins intelligents, ni moins dignes que les élites, auxquelles je ne crois pas parce qu’elles se sont souvent trompées.»