Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

La Chine manipule-t-elle le cours du yuan comme l’en accuse le président américain Donald Trump? Les causes sont en fait bien plus complexes, comme l’explique Alexandre Gauthy (Degroof Petercam) dans sa chronique.

La baisse de la valeur du yuan depuis la résurgence des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis suscite des inquiétudes de la part de certains observateurs. La Chine serait-elle en train de manipuler sa devise comme le suggère le président américain? Si la Chine a agi dans le passé sur le marché des changes, c’est justement pour empêcher que sa monnaie ne se déprécie davantage. Les modèles économiques n’indiquent actuellement aucune sous-évaluation particulière du yuan. A priori, la Chine ne manipule donc pas son cours de change pour améliorer la compétitivité de ses exportations. 

Le cours de change de la devise chinoise par rapport au dollar américain n’est pas entièrement déterminé par les forces du marché, à la différence de la parité euro-dollar par exemple. Dernièrement, le marché des changes a réagi à la décision des Américains d’augmenter les taxes sur les importations de produits chinois. Selon la théorie économique, le taux de change doit s’ajuster afin de compenser la perte de compétitivité émanant de l’instauration de taxes douanières. En Chine, le compte des capitaux restant relativement fermé, ces forces de marché font face à des obstacles. Par conséquent, le cours de change ne s’ajuste pas dans la même ampleur que s’il était totalement fluctuant et si les sorties de capitaux n’étaient soumises à aucun contrôle.

Le cours de change de la devise chinoise par rapport au dollar américain n’est pas entièrement déterminé par les forces du marché.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

La Chine a connu des sorties de capitaux importantes en 2015-2016 en raison des craintes qui planaient sur la santé de l’économie chinoise. Durant cette période, la banque centrale chinoise a dû intervenir sur le marché des changes afin d’endiguer la dépréciation de sa devise, ce qui a réduit ses réserves de change d’à peu près un quart. Depuis lors, le gouvernement chinois a renforcé les contrôles de capitaux, si bien qu’il est aujourd’hui beaucoup plus compliqué pour les particuliers et entreprises chinoises d’échanger leur yuan contre des devises étrangères.

Ces mesures plus strictes atténuent aujourd’hui les pressions de dévaluation pesant sur la devise chinoise. Un relâchement des contrôles de capitaux existants pourrait entraîner des sorties de capitaux plus importantes, les particuliers chinois souhaitant diversifier leur patrimoine, qui est principalement investi dans des actifs domestiques en renminbi.

Depuis la fin de l’année passée, la Chine a pris des mesures monétaires et fiscales pour redynamiser son économie en perte de vitesse. Les politiques protectionnistes américaines n’ont cependant fait qu’accentuer la décélération de l’économie chinoise. Face à la querelle commerciale qui s’enlise, la Chine utilise désormais sa devise pour contrer les effets négatifs du protectionnisme américain sur l’activité économique chinoise. Mais en laissant sa devise se déprécier, la Chine n’augmentera pas la demande globale du monde, à la différence d’un plan de relance fiscal par exemple, ou d’une hausse de l’endettement du secteur privé.

Une dépréciation du yuan fait augmenter mécaniquement le prix des importations pour les sociétés chinoises.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Le président américain a déclaré maintes fois qu’il souhaitait une dépréciation du dollar. Or, cela est difficilement réalisable sans l’aide de la banque centrale américaine, qui est censée rester indépendante de l’organe politique. Les «guerres de change» sont un jeu à somme nulle: ce qu’un pays gagne en compétitivité, les autres le perdent forcément. De ce fait, la dépréciation de la devise chinoise, non seulement par rapport au dollar, mais aussi par rapport à d’autres devises émergentes, est un facteur négatif pour les entreprises asiatiques et européennes qui écoulent sur les marchés internationaux des produits concurrents aux entreprises chinoises. De plus, les droits de douane entravent le commerce mondial et détruisent de la demande.

La dépréciation du yuan devrait toutefois rester limitée. La majeure partie des importations de la Chine sont redevables en dollars. Dès lors, une dépréciation du yuan fait augmenter mécaniquement le prix des importations pour les sociétés chinoises. De plus, le taux de change reste un facteur sensible dans les négociations commerciales avec les États-Unis. Si la Chine venait à dévaluer sa devise de manière importante, l’administration américaine prendrait des contre-mesures potentiellement plus dévastatrices, ce que la Chine veut éviter. Jusqu’à présent, les rétorsions chinoises à l’encontre des États-Unis sont restées mesurées.

Quoi qu’il en soit, la dépréciation de la devise reste une arme redoutable dans l’arsenal de la Chine si la dispute commerciale devenait hors contrôle.