Michel-Édouard Ruben (Fondation Idea) réfute l’idée que le conflit entre Washington et Pékin ait déjà eu un impact réel sur la croissance mondiale. (Photo: Archives Maison Moderne)

Michel-Édouard Ruben (Fondation Idea) réfute l’idée que le conflit entre Washington et Pékin ait déjà eu un impact réel sur la croissance mondiale. (Photo: Archives Maison Moderne)

La guerre économique entre les États-Unis et la Chine devrait s’éterniser. Senior economist à la Fondation Idea, Michel-Édouard Ruben décrypte dans un article qu’il vient de publier les enjeux visibles et cachés de cette nouvelle guerre froide.

L’accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis a clairement modifié les relations économiques internationales. Il ne se passe plus une semaine sans rebondissement dans les négociations entre Washington et Pékin pour trouver une solution à la guerre commerciale déclenchée par les États-Unis il y a 18 mois.

Depuis, les marchés s’interrogent, tremblent, et le conflit larvé entre les deux premières puissances économiques mondiales est devenu la justification de toutes les mauvaises performances enregistrées.

Cette guerre, c’est «cow-boy versus Shaolin» estime Michel-Édouard Ruben, senior economist à la Fondation Idea, qui vient de titrer de cette manière .

Pour l’économiste, il faut arrêter de croire que Trump a uniquement lancé cette croisade pour tenter de réduire le déficit commercial américain. «Si c’était le but, ce serait un échec», argumente-t-il. «Malgré la taxation des produits chinois, le déficit commercial des États-Unis a atteint un niveau record de 887 milliards de dollars en 2018 et pourrait encore se dégrader.»

Le discours au lance-pierre de Trump face à Xi Jinping a donné les coudées franches aux Européens pour critiquer les pratiques commerciales chinoises. (Photo: Shutterstock)

Le discours au lance-pierre de Trump face à Xi Jinping a donné les coudées franches aux Européens pour critiquer les pratiques commerciales chinoises. (Photo: Shutterstock)

L’idée défendue par Michel-Édouard Ruben est que Trump entend surtout éviter que la Chine vienne concurrencer l’hégémonie économico-technologique des États-Unis.

Il montre aussi dans son article que les tensions commerciales entre les deux géants n’ont pas pesé sur la croissance mondiale autant qu’on tente de le faire croire. «Les exportations chinoises vers les USA représentent environ 3,5% du PIB chinois et les exportations US vers la Chine représentent environ 1% du PIB américain. Les droits de douane supplémentaires américains et chinois sur leurs exportations respectives ne concernent grosso modo que 3% des importations mondiales», pointe-t-il. «Cela n’a pas beaucoup d’effets négatifs actuellement sur la croissance mondiale, comme en témoignent les derniers chiffres de prévisions du FMI ou de la Commission européenne qui n’ont, en fait, été révisés qu’à la marge.»

Il est à craindre que l’affrontement qui se joue entre les États-Unis et la Chine débouche sur une situation durable d’équilibres instables.
Michel-Édouard Ruben

Michel-Édouard Rubensenior economistFondation Idea

Par contre, les menaces franches de Trump face à son homologue chinois Xi Jinping ont donné les coudées franches aux Européens pour exprimer plus explicitement leur mécontentement face aux barrières chinoises contre le multilatéralisme. Au point que la Chine a fini par opérer différentes ouvertures par rapport aux investissements directs étrangers.

Un autre pari fait par l’économiste, c’est l’idée que ce conflit commercial ne se réglera pas en une fois par une double signature au bas d’un accord. «Il est à craindre que l’affrontement qui se joue entre les États-Unis et la Chine débouche sur une situation durable d’équilibres instables où se succéderont menaces, sanctions, compromis et répits de plus ou moins longue durée, plutôt que sur une résolution définitive de leurs différends.»

Pour que l’UE puisse peser de son poids, il est plus nécessaire que jamais qu’elle puisse parler d’une seule voix.
Michel-Édouard Ruben

Michel-Édouard Rubensenior economistFondation Idea

Dans cette guerre froide commerciale, l’Europe doit en tout cas faire attention de ne pas devenir le champ de bataille entre Pékin et Washington. «Mais pour que l’UE puisse peser de son poids, il est plus nécessaire que jamais qu’elle puisse parler d’une seule voix», insiste encore Michel-Édouard Ruben.

En retard d’un point de vue technologique face aux deux grands pôles mondiaux, elle doit miser sur sa capacité à imposer des normes. La réglementation aura en effet une valeur très importante par rapport à la révolution technologique en cours. L’Europe peut donc avoir un rôle actif à jouer.