Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Les marchés financiers traversent une période de turbulences. Moins à cause de Vladimir Poutine que de l’action des banques centrales. La souffrance des actions dépendra de l’ampleur et de la durée de la lutte contre l’inflation.

Les marchés financiers traversent une période de turbulences. L’ennemi numéro 1 des marchés n’est pas le président russe, mais bien les banques centrales. Les actions américaines sont devenues volatiles en fin d’année dernière, lorsque la Fed a annoncé une accélération du rythme de réduction des achats d’actifs. Ensuite, la Fed a commencé à lever son taux directeur et a même déclaré qu’elle débuterait le mois prochain le processus de diminution de la taille de son bilan, connu sous le nom de «retrait de liquidités».

 Le réveil des banques centrales face à la montée et à la persistance de l’inflation est tout à fait compréhensible. Ces dernières veulent à tout prix éviter une situation dans laquelle l’augmentation des prix deviendrait un phénomène autoréalisateur. Leur priorité a profondément changé en l’espace d’un an, passant du soutien à la reprise économique à travers une politique monétaire souple, à la stabilité des prix.

Par conséquent, les attentes des investisseurs quant aux augmentations des taux directeurs des principales banques centrales ont été revues significativement à la hausse au cours des derniers mois. Du côté américain, les investisseurs ne s’attendaient, en septembre dernier, qu’à une hausse de taux de 0,25% de la Fed en 2022. En décembre, ils en anticipaient trois. Aujourd’hui, après une élévation cumulée de 0,75% des taux courts depuis le début du cycle de resserrement monétaire, les marchés s’attendent à ce que le taux directeur atteigne 3% dans les 12 prochains mois. La progression importante des taux longs reflète ces révisions d’attentes des marchés quant à la politique monétaire.  

Vers un retour de l’attentisme chez les banquiers centraux

 Si les marchés actions peuvent absorber une augmentation modérée et progressive des taux longs, a contrario, ils digèrent mal un ajustement trop rapide de ceux-ci. La faiblesse des marchés actions depuis le début d’année peut, en grande partie, être expliquée par la contraction des multiples de valorisation. En effet, lorsque les taux d’intérêt grimpent, les valorisations des actions baissent mécaniquement en raison de l’effet «taux d’actualisation». L’invasion russe en Ukraine a déclenché un nouveau choc inflationniste qui impacte négativement les perspectives de croissance économique, mais ne peut expliquer à elle seule la chute récente des actions. La hausse des taux longs due au discours plus agressif des banquiers centraux en est la principale responsable.

Dès lors, cette tendance de compression des multiples de valorisation des actions devrait s’estomper lorsque les banques centrales, et la Fed en particulier, adapteront leurs discours. Certains éléments pourraient conduire la Fed à devenir plus prudente plus tard dans l’année. La perte importante du pouvoir d’achat des ménages ainsi que le renchérissement passé du coût du crédit devraient, dans les prochains mois, commencer à peser sur les dépenses des consommateurs. À son tour, un affaiblissement de la demande interne allégera les hausses salariales et les pressions inflationnistes domestiques que la Fed tente de freiner.

 La Fed pourrait donc adopter une position plus attentiste plus tard dans l’année – après avoir augmenté ses taux à plusieurs reprises – afin d’éviter un atterrissage brutal de l’économie américaine. Cela constituerait une surprise pour les marchés, qui s’attendent à une hausse cumulée du taux directeur de l’ordre de 2,25% au cours des 12 prochains mois. Les chiffres d’activité, d’inflation et du marché du travail des mois à venir dicteront l’orientation future de la politique monétaire, des taux longs, et par corollaire, des valorisations auxquelles les investisseurs sont prêts à payer les actions. Rien n’est certain pour autant. Si la Fed s’entête dans sa lutte contre l’inflation, les actions pourraient bien continuer de souffrir.