Au Luxembourg, 30% des enfants de 7 à 12 ans possèdent leur propre équipement et sont vulnérables à une exposition à des contenus non appropriés. Et près de 70% des parents n’exercent aucun contrôle ni ne mènent aucune discussion au sujet de leur activité. (Photo: Shutterstock)

Au Luxembourg, 30% des enfants de 7 à 12 ans possèdent leur propre équipement et sont vulnérables à une exposition à des contenus non appropriés. Et près de 70% des parents n’exercent aucun contrôle ni ne mènent aucune discussion au sujet de leur activité. (Photo: Shutterstock)

Le Parlement européen a adopté, mardi, des dérogations à la directive ePrivacy au nom de la lutte contre les pédophiles, dérogations qui permettent une surveillance généralisée des communications électroniques, e-mails et messageries instantanées. La vie privée est sacrifiée, alertent ses défenseurs.

Les statistiques sont à vomir. En 2020, comme les hackers, les pédophiles ont profité du Covid-19 pour s’en donner à cœur joie sur internet: 

- 4 millions d’images et de vidéos qui mettent en scène de la maltraitance d’enfants ont été signalées l’an dernier (contre 725.000 en 2019), contenus principalement hébergés en Europe, dont 95% de contenus signalés par Facebook et diffusés via Messenger, ainsi que 1.500 pédophiles supposés qui ont essayé de séduire des enfants en ligne pour obtenir photos, vidéos ou diffusions en live;

- Le nombre de plaintes à propos de ce type de matériel est passé d’un million en 2010 à 17 millions en 2019;

- Mais le nombre de signalements a baissé de 51% depuis 2021 avec le changement de règles protectrices du RGPD vers la directive ePrivacy. Le RGPD permettait déjà, sur une base volontaire, de monitorer certains contenus;

- Le basculement des administrations au mode remote et la réduction des effectifs a rendu la lutte inefficace,

- Les échanges de matériel pédopornographiques en peer-to-peer ont explosé, comme la présence des pédophiles sur le darkweb;

- La présence renforcée des enfants sur les réseaux sociaux, sur les sites de jeux vidéo en ligne et sur les applications de messagerie pour cause de confinement s’est accompagnée de l’arrivée jugée inquiétante de pédophiles qui ont mis à jour leurs compétences pour se mêler aux discussions – comme dans le cadre des Zoombombings, quand l’application de vidéoconférence américaine a été prise d’assaut par des inconnus dans des réunions de classes scolaires;

- Et, pour couronner le tout, les technologies mises en œuvre par les géants ont été jugées  qui a précédé le vote aux dérogations, sans compter que celles qui sont chiffrées de bout en bout et ne pourront pas être couvertes par le dispositif. Des technologies étudiées (Microsoft PhotoDNA, Microsoft Project Artemis, Facebook PDK et Facebook TMK+PDQF utilisés pour Messenger, Whatsapp et Instagram, Thorn’s Safer), seule Microsoft PhotoDNA a réussi l’évaluation, même si les résultats des autres ne sont pas si mauvais.  

Une solution temporaire, un fâcheux précédent

Totalement tétanisée par l’explosion du phénomène, l’Union européenne a décidé d’accorder des dérogations à la directive ePrivacy pour trois ans… qui mettent fin à la protection de la vie privée en ligne au nom de la protection de l’enfance en considérant qu’elles respectent le cadre de son action.

C’est ce que souhaitait . «Chaque seconde et chaque enfant compte», a déclaré Maud de Boer-Buquicchio, présidente de Missing Children Europe et ancienne rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. «Nous ne pouvons pas laisser la loi sur la protection de la vie privée l’emporter sur la nécessité de scanner et de supprimer le contenu d’abus d’enfants.»

Le règlement adopté mardi au Parlement européen par 537 eurodéputés, dont les Luxembourgeois (indépendante), (DP), Isabel Wiseler-Santos Lima (CSV) et (CSV), prévoit l’analyse a priori de toute correspondance privée via des outils d’intelligence artificielle – de reconnaissance de mots et des images – qui resteront officiellement sous surveillance humaine. Cela alors même que 72% des personnes qui ont répondu au sondage de l’initiative ChatControl, emmenée par le député européen des Pirates Patrick Breyer apparenté au groupe des Verts, sont contre.

Pour ce dernier, 86% des signalements seront non pertinents, mais se traduiront par «le transfert» de données privées à des organismes tiers et des autorités nationales de police ou de justice.

Un des deux gendarmes de la donnée en Europe, le Contrôleur européen de la protection des données, a fait part de ses doutes, , soulignant que la protection de la vie privée reste la pierre angulaire des droits fondamentaux en Europe, que des mesures doivent être prises pour garantir que des abus soient évités et que la durée de cette exception (jusqu’à 2025) n’est pas proportionnée à l’objectif. Dans les faits, l’exception s’arrêtera d’ici là, quand les autorités se seront mises d’accord sur un autre dispositif.

«La proposition est si mal écrite qu’elle laisse la porte grande ouverte à l’abus de pouvoir, aux faux positifs et à la surveillance globale de toutes nos communications privées. De plus, rien ne prouve que de telles mesures seraient même efficaces et de nombreux critiques pensent (moi, y compris) qu’elles pousseraient simplement ces activités à la clandestinité, les rendant beaucoup plus difficiles à détecter», s’était plaint Alexander Hanff, une victime de ces déviances. «La proposition semble également favoriser les technologies héritées par rapport aux technologies de pointe ou émergentes qui chercheraient à préserver la vie privée tout en détectant les abus.»

Même le rapporteur européen du projet, Birgit Sippel, a bien changé: elle qui : «Il est totalement exclu que nous acceptions un quelconque nivellement par le bas. Nous n’accepterons aucune tentative de sape des niveaux actuels de protection des données et de la vie privée.»

«Nous nous sommes battus avec acharnement pour améliorer la proposition et la mettre en conformité avec les normes de protection des données existantes. Nous avons ajouté des mesures de protection, telles qu’une meilleure information des utilisateurs ou l’introduction d’une période de conservation des données de 12 mois. Nous voulons des informations plus directes aux autorités européennes et avons réussi à ce que les prestataires de services travaillent en étroite collaboration avec les autorités nationales de protection des données. Celles-ci peuvent interdire des technologies hostiles aux droits fondamentaux», a dit la députée socialiste allemande, cette semaine, au Parlement européen.

Une surveillance de masse inefficace

«Le résultat est un balayage aléatoire des communications, et ce n’est ni une réponse proportionnée ni une réponse efficace au crime», lui a répondu Cornelia Ernst (La Gauche). «Ce qui est réalisé est quelque chose de complètement différent: c’est une surveillance de masse des communications, et c’est illégal. Les fournisseurs de services de messagerie tels que Facebook sont désormais chargés d’analyser le contenu et les métadonnées de toutes les communications à la recherche de matériel connu et inconnu, ce qui signifie que des masses d’images totalement non suspectes sont également affectées, sont enregistrées, et que les gens sont également sous le soupçon général, qui sont complètement innocents, et par ordre de grandeur.»

«La politique ne consiste pas à choisir entre le mal et le bien, mais plutôt à trouver le bon équilibre quand parfois il y a deux choses différentes que nous aimerions réaliser ou protéger. Par exemple, à la fois la vie privée et bien sûr la sécurité des enfants», a aussi dit la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson.