Dominique Dubois estime qu’on est face à une crise économique qui sera supérieure à celle de 1929. (Photo: Quaero Capital SA)

Dominique Dubois estime qu’on est face à une crise économique qui sera supérieure à celle de 1929. (Photo: Quaero Capital SA)

Habitués à rencontrer leurs clients pour leur présenter de nouveaux produits et faire le point sur l’évolution de leurs investissements, les gestionnaires de fonds ont dû s’adapter au confinement. Pour cette cinquième rencontre, le point avec Dominique Dubois, directeur général de Quaero Capital Luxembourg SA. 

Quelles ont été les premières réactions de vos clients lors de l’apparition de la crise sanitaire et de la crise boursière?

Dominique Dubois. – «La surprise. La plupart d’entre eux n’ont pas bien compris immédiatement l’impact sur les marchés boursiers. L’ampleur du choc boursier a été brutale et rapide. Beaucoup ont d’abord voulu stabiliser les choses en mettant en place un ‘business continuity plan’, puis prendre du recul pour mieux comprendre les marchés. Dans un second temps, certains on fait du trading lors du mini-rallye qui a suivi le choc de la mi-mars.

Qu’en est-il maintenant?

«C’est la prudence qui prévaut, et beaucoup de clients ont déjà fait une croix sur 2020 pour se reporter déjà sur 2021.

Comment avez-vous procédé pour maintenir le contact avec vos clients dans ces circonstances?

«Nous avons très rapidement mis en place des conférences téléphoniques hebdomadaires de 45 minutes avec nos clients en mettant en avant une stratégie d’investissement propre, chaque semaine. Avec, comme point nouveau, la mise en place, en introduction des conférences téléphoniques, d’un point global de type macro, d’une durée de 20 minutes, suivi des commentaires de gestion du gérant. Nous avons constaté un doublement de nos auditeurs par rapport à la période d’avant la crise Covid-19 et une forte demande pour avoir une vision globale macroéconomique.

Nous avons également mis en place une lettre de confinement hebdomadaire avec un commentaire macro/ESG, et sur les faits marquants de chacune de nos stratégies d’investissement.

Avec, en surplus, les contacts téléphoniques et les e-mails, je pense que nos clients voient que nous sommes également présents quand les choses vont moins bien, et ceci est très important.

Par ailleurs, nous communiquons également via les réseaux sociaux, et notre site internet est en permanence alimenté par de nouvelles informations.

Définitivement, il y aura un avant et un après-Covid-19 au niveau de la communication avec nos clients.
Dominique Dubois

Dominique Duboisdirecteur généralQuaero Capital Luxembourg SA

Comment a évolué ce contact avec le client?

«Nous leur communiquons beaucoup d’informations via e-mails, mais nous les contactons moins par téléphone. Le fait de travailler à domicile rend nos clients moins disponibles pour des contacts téléphoniques. À la différence d’autres sociétés de gestion, nous gardons un lien très fort avec nos clients, qui sont plus que des relations professionnelles, car nous les connaissons depuis longtemps. Cette proximité est un atout pour notre société. Il est clair que nous avons particulièrement mis en avant deux de nos stratégies d’investissement, qui ont été très résilientes durant la crise, à savoir le secteur des infrastructures cotées et celui des énergies renouvelables.

Cette crise laissera-t-elle des traces en ce qui concerne la communication avec vos clients?

«Définitivement, il y aura un avant et un après-Covid-19 au niveau de la communication avec nos clients.

Les mesures de confinement vous imposent-elles plus de travail?

«Les journées ont été longues au début, car nous avons dû nous adapter et travailler différemment, d’une manière plus digitale. Maintenant, le rythme est ‘normal’, et nous avons compris comment nos clients travaillaient et voulaient interagir avec nous.

Vous attendez-vous à un retour rapide à la normale?

«Non, je pense que nous sommes au début d’une crise économique qui sera supérieure à celle de 1929. Il faut savoir que la crise de 1929 a duré plus de quatre ans. Toutefois, il faut relativiser: nous ne pouvons pas comparer 1929 à 2020, et il faut également constater que la réponse des banques centrales a été très rapide et importante.

Nous avons appris de la crise de 2008, et c’est peut-être cela qui nous permettra d’avoir une reprise plus rapide. Je ne crois pas en une reprise en V, mais plutôt en U, très prolongée. À ce jour, personne ne sait encore quand nous sortirons totalement du déconfinement, et de quelle ampleur sera l’impact sur l’économie mondiale. Les résultats du deuxième trimestre des entreprises seront certainement un premier bon indicateur, avec, probablement, des douches froides au niveau des résultats. Mais les investisseurs espèrent le début d’une reprise progressive de l’activité à partir de mai à l’échelle mondiale, d’où le récent rebond boursier porté par la perspective d’un déconfinement.

Quels sont les scénarios possibles?

«Actuellement, le FMI dresse trois scénarios. Une hypothèse rose, avec un repli de 3% du PIB mondial cette année si le confinement s’arrête au premier semestre. Une piste grise, avec une chute de 6% de l’activité en 2020 en cas de prolongation de la crise sanitaire jusqu’à décembre. Enfin, un scénario noir, si la crise se poursuivait en 2021. Alors, la croissance pourrait chuter de 8% l’an prochain au lieu de rebondir.

Boursièrement, trois scénarios se dessinent également. Optimiste (20% de probabilités), avec une hausse de 10% des marchés en se basant sur le fait que la guerre sanitaire sera gagnée. Les laboratoires cherchent un vaccin et finiront par le trouver. La fabrication intensive de masques et de tests va permettre de protéger toute la population. Les banques centrales et les États ont mis des milliers de milliards d’euros ou dollars sur la table pour soutenir le système financier et les entreprises afin d’éviter une destruction inévitable de l’appareil productif. Les scénarios gris (45% de probabilités) envisagent une stabilisation des marchés. Les bonnes nouvelles sont neutralisées par les mauvaises. Les déceptions en provenance des entreprises sont compensées par les discours rassurants des chefs d’État et des gouverneurs de banques centrales inondant le marché de liquidités. Enfin, l’hypothèse noire (35% de probabilités): les marchés s’enfoncent nettement sous leurs niveaux actuels, car le marché estime que le déconfinement est trop lent ou trop rapide, laissant poindre le risque d’une deuxième vague épidémique. La reprise économique s’en trouverait retardée. Le risque est très grand dans les semaines à venir.

Si nous sommes prudents à très court terme, nous devenons plus optimistes à moyen et long terme. Les milliards injectés dans les marchés vont doper le cours des actions comme après la faillite de Lehman Brothers. La bourse ne résiste pas aux charmes des banquiers centraux. Jamais!»