Pour Jeff Da Costa, si les inondations n’ont fait aucun décès au Luxembourg, «c’est de la chance, pas le résultat d’une bonne planification».  (Photo: Simon Verjus/Maison Moderne)

Pour Jeff Da Costa, si les inondations n’ont fait aucun décès au Luxembourg, «c’est de la chance, pas le résultat d’une bonne planification».  (Photo: Simon Verjus/Maison Moderne)

Chercheur en hydrologie pour RSS-Hydro et doctorant à l’Université de Reading, le Luxembourgeois Jeff Da Costa pose un regard très critique sur la gestion des inondations du mois de juillet. Le modèle devrait selon lui être totalement revu.

Le discours officiel indique que la gestion des inondations des 14 et 15 juillet derniers a été satisfaisante. Une conclusion à laquelle vous vous opposez depuis le départ… 

«Le Luxembourg embellit toujours les choses au lieu de tirer des conclusions productives. Pour moi, le travail de l’État est de protéger sa population, et il ne l’a pas fait dans le cas présent. Quand on parle d’évacuation, c’est déjà trop tard. L’évacuation est le dernier recours. Nous n’avions en réalité aucune stratégie pour faire face à des événements comme ceux que nous avons connus en juillet. 

Les autorités affirment avoir reçu une alerte le 10 juillet, mais concernant le Rhin. L’alerte pour la Sûre est arrivée plus tard. Mais ce n’était que des indications et difficiles à interpréter, car des données différentes venaient de plusieurs pays?

«Pour moi, ce ne sont que des excuses. L’EFAS (système européen d’alerte pour les inondations) avait déjà envoyé des avertissements aux zones qui allaient être touchées les 9 et 10 juillet en leur disant que quelque chose de très grave se préparait. Le Luxembourg dit avoir reçu la notification beaucoup plus tard que l’Allemagne et la Belgique, mais le fait est que la notification était bien là. Si chez ses voisins, un chaos total est annoncé, le Luxembourg doit en tenir compte, ce n’est pas une île qui sera épargnée par miracle, c’est assez évident… Ne rien faire et attendre que ça arrive était absurde.

Cela traduit un manque de compétences, car, si en tant qu’État, on a besoin qu’on nous montre 3.000 panneaux avec écrit ‘alerte’ pour comprendre que quelque chose se passe, c’est qu’il existe un manque flagrant d’expertise, de recherche et d’investissement.

Il faut de plus s’interroger sur la manière dont on doit informer les gens et surtout leur apprendre quoi faire avec ces informations.
Jeff Da Costa

Jeff Da Costachercheur en hydrologieRSS-Hydro

Le bilan humain a cependant été très léger…

«Que personne ne soit mort au Luxembourg, c’est de la chance, pas les effets d’une bonne planification. Les directives du pays sont complètement dépassées. Il faut de plus s’interroger sur la manière dont on doit informer les gens et surtout leur apprendre quoi faire avec ces informations. Or, au Luxembourg, nous ne sommes nulle part à ce niveau. La mission de l’État est de préparer les citoyens afin qu’ils sachent quoi faire une fois que l’alerte est donnée. C’est un strict minimum qui n’a pourtant même pas eu lieu.

Une analogie est possible avec l’alarme incendie: tout le monde fait des tests pour que, si un jour elle se déclenche, chacun sache quoi faire et comment.

Qu’aurait-il fallu faire?

«La vraie question est: ‘Doit-on attendre un désastre total avant de donner l’alerte?’

Une fois que l’information d’une inondation arrive, je pense que dire aux gens deux ou trois jours à l’avance de retirer leur voiture si elle se trouve aux alentours d’une rivière et de la garer plus haut ou de prendre leurs affaires de valeur et de les monter un étage plus haut sont des choses pour lesquelles on n’a ni besoin d’un doctorat ni d’aucun diplôme. C’est tout simplement du bon sens.

Il faut revoir tout le modèle.

C’est en cours: le Luxembourg a annoncé un nouveau système d’alerte pour 2022. Vous êtes expert en la matière, consulté par de nombreux médias, chercheur universitaire spécialisé dans ce domaine… Avez-vous été sollicité pour apporter votre éclairage?

 «Malheureusement, non… Pourtant, mes recherches sont là pour aider le Luxembourg.

On doit arrêter de se demander à quoi ressemblera le monde dans 20 ans: on le sait déjà.
Jeff Da Costa

Jeff Da Costachercheur en hydrologieRSS-Hydro

Mais vos critiques doivent être peu appréciées…

«Je ne vise personne via mes propos. Mais, selon moi, il faut pouvoir reconnaître ses erreurs pour améliorer les choses. Mon rôle en tant que scientifique est de me ‘dépolitiser’ du problème, et de mettre en avant des faits pour provoquer un changement. 

Finalement, ces inondations sont-elles le résultat du réchauffement climatique?

«La réponse n’est finalement pas très importante et pas très pertinente. Le réchauffement climatique est une réalité incontestable, ce n’est plus le futur, mais le présent. Une étude sur les inondations de juillet a déjà été effectuée et le lien avec le réchauffement climatique a été établi. L’intensité des pluies est plus élevée alors que les périodes de sécheresse influent sur la capacité du sol à retenir l’eau. Ce sont des réalités avec lesquelles on doit vivre, et qui entraîneront d’autres événements, comme ces inondations, dans le futur. Plutôt que d’évoquer le réchauffement climatique, on doit s’y adapter et s’y préparer.

On doit arrêter de se demander à quoi ressemblera le monde dans 20 ans: on le sait déjà. Ce qu’on doit faire maintenant, c’est nous adapter à la situation. Malheureusement, on avance avec des œillères en ce qui concerne l’avenir alors qu’on a tout ce qu’il faut pour faire beaucoup mieux.»