Malgré une reprise économique plus rapide que prévu, la zone euro affiche un ratio de la dette publique par rapport au PIB de près de 100%. (Photo: Shutterstock)

Malgré une reprise économique plus rapide que prévu, la zone euro affiche un ratio de la dette publique par rapport au PIB de près de 100%. (Photo: Shutterstock)

À la suite de la publication des résultats de l’endettement public dans la zone euro, les États membres vont devoir se positionner sur l’avenir de la politique budgétaire européenne. Bien que troisième meilleur élève en matière de discipline budgétaire, le Luxembourg devra choisir entre rallier le camp conservateur de son voisin allemand ou celui des progressistes de la France.

Le début de la présidence française de l’Union européenne remet le pacte de stabilité sur le devant de la scène. En vue de son premier conseil des ministres des Finances européen, Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances, annonçait la semaine dernière que «les règles européennes actuelles sur la dette publique sont obsolètes» face à un groupe de médias européens la semaine dernière. À cette occasion, Bruno Le Maire a invité ses confrères européens à réfléchir à une nouvelle posture en matière de politique budgétaire: «La frugalité ou la dépense, c’est un débat dépassé.» Et il ajoutait: «Il faut un pacte, il faut des règles communes, mais ce doit être un pacte d’abord de croissance. La croissance vient avant la stabilité.»

Les règles européennes actuelles sur la dette publique sont obsolètes. La frugalité ou la dépense, c’est un débat dépassé. Il faut un pacte, il faut des règles communes, mais ce doit être un pacte d’abord de croissance. La croissance vient avant la stabilité.
Bruno Le Maire

Bruno Le Maireministre français de l’Économie et des Finances

De tels propos de la part de Bruno Le Maire font écho à ceux du commissaire européen aux affaires économiques, Paolo Gentiloni, qui proposait en novembre dernier de réformer le pacte de stabilité qui plafonne les déficits publics à 3% du produit intérieur brut (PIB) et interdit aux États membres d’avoir une dette publique supérieure à 60% de leur PIB. De la sorte, Paolo Gentiloni souhaiterait fixer des objectifs de dette individualisés par pays.

La crainte que l’on peut avoir est que cela devienne un blanc-seing à une dépense publique de plus en plus élevée avec, du coup, moins d’argent pour l’économie de marché, moins de possibilités de financement pour les opérateurs économiques et un risque d’inflation.
Philippe-Emmanuel Partsch

Philippe-Emmanuel PartschassociéArendt & Medernach

Pour sa part, Philippe-Emmanuel Partsch, associé chez Arendt & Medernach, spécialisé notamment en droit bancaire et financier européen, précise qu’il y a une opportunité «à affiner les critères de Maastricht, à les nuancer, voire à les compléter en vue d’une meilleure qualité de la gestion publique». Ce dernier, qui est aussi professeur de droit à l’Université de Liège, souligne qu’il faudrait alors éviter une situation incontrôlable: «La crainte que l’on peut avoir est que cela devienne un blanc-seing à une dépense publique de plus en plus élevée avec, du coup, moins d’argent pour l’économie de marché, moins de possibilités de financement pour les opérateurs économiques et un risque d’inflation.»

Une reprise économique plus rapide que prévu

Il faut toutefois rappeler que les règles de rigueur budgétaires imposées aux États membres ne sont plus appliquées depuis mars 2020 en raison de la clause dérogatoire du traité de Maastricht. Cette dernière apporte donc un peu de répit aux gouvernements européens dans la gestion de la crise économique liée à la pandémie de Covid. Cette dérogation temporaire devrait être levée à la fin de 2022.

Les espoirs de mettre un terme à la clause dérogatoire en matière de discipline budgétaire prennent tout leur sens dans le contexte où les chiffres publiés par la Commission européenne à l’automne 2021 témoignaient de la capacité de l’économie européenne à se remettre plus rapidement que prévu de la récession. «Une frénésie de dépenses a propulsé la croissance de la consommation privée à 3,3% en glissement trimestriel au deuxième trimestre de 2021», notait le communiqué de presse. Ce qui fait qu’au cours de l’été 2021, l’économie européenne a également retrouvé son niveau de production prépandémique.

Néanmoins, les prévisions de la Commission européenne ne misaient pas sur une réduction du déficit public global de l’Union à 6,6% à la fin de 2021, à cause des aides encore élevées accordées aux ménages et aux entreprises. Tablant sur une reprise économique suivie d’une phase d’expansion, l’exécutif européen prévoit alors une réduction de moitié du déficit budgétaire, le ramenant à 3,6% du PIB en 2022 et à 2,3% en 2023.

Parmi les meilleurs élèves

Malgré tout, la nuance est de mise en politique budgétaire, car la Commission européenne rappelait que les dépenses courantes financées par les États devraient encore augmenter en 2022, «signe que les gouvernements ont augmenté leurs dépenses au-delà de l’aide d’urgence». En effet, le ratio de la dette publique par rapport au PIB dans la zone euro atteignait 98,3% fin octobre, selon les chiffres de l’office européen des statistiques Eurostat.

Les chiffres publiés par Eurostat révèlent des résultats nettement contrastés entre les États membres. Alors que la moyenne de la zone euro reste en dessous de 100% de dette publique par rapport au PIB, sept États ont dépassé ce seuil. C’est le cas de la Grèce (207,2%), l’Italie (156,3%), le Portugal (135,4%), l’Espagne (122,8%), la France (114,6%), la Belgique (113,7%) et Chypre (112%). À l’opposé, les trois pays présentant les dettes publiques les plus faibles sont l’Estonie (19,6%), la Bulgarie (24,7%) et le Luxembourg (26,2%).

Les États qui ont un déficit et une dette publique élevés ne représentent qu’une minorité aujourd’hui en Europe.
Philippe-Emmanuel Partsch

Philippe-Emmanuel PartschassociéArendt & Medernach

Les disparités en matière de dette publique au sein de la zone euro laissent entrevoir une difficulté, pour la France et la Commission européenne, à convaincre l’ensemble des États membres de rafraîchir les principes du pacte de stabilité. «Les États qui ont un déficit et une dette publique élevés ne représentent qu’une minorité aujourd’hui en Europe», rappelle Philippe-Emmanuel Partsch, précisant qu’il n’est donc pas encore acquis que le reste de l’Europe embrayera sur la proposition française.

La posture du Luxembourg

De son côté, le Luxembourg, dans la liste des trois meilleurs élèves européens en matière d’orthodoxie budgétaire, fait largement mieux que l’Allemagne qui s’en sort avec un ratio de dette de 69,7% par rapport à son PIB. Le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, estimait d’ailleurs récemment qu’il est «temps de reconstruire des marges de manœuvre budgétaires», précisant défendre une réduction de la dette souveraine.

Du coup, le Luxembourg, présentant un bien meilleur résultat, se retrouve entre ses deux principaux voisins, la France et l’Allemagne, qui adoptent des postures opposées sur l’avenir de la stabilité budgétaire européenne. À ce sujet, Philippe-Emmanuel Partsch estime qu’il est peu probable que le Luxembourg prenne une position autant en pointe que l’Allemagne ou les Pays-Bas contre des projets d’assouplissement.

Un petit pays doit d’autant plus être attentif à de tels équilibres, car il suffit finalement pour lui d’une difficulté importante pour se retrouver avec un déficit public, voire une dette publique élevée.
Philippe-Emmanuel Partsch

Philippe-Emmanuel PartschassociéArendt & Medernach

Le fait pour le Luxembourg d’être coté avec un AAA, d’avoir une dette et un déficit tous deux réduits sont des éléments positifs. Cela étant, l’associé d’Arendt & Medernach appelle à ne pas perdre de vue que le Luxembourg reste un petit pays. En ce sens, «un petit pays doit d’autant plus être attentif à de tels équilibres, car il suffit finalement pour lui d’une difficulté importante pour se retrouver avec un déficit public, voire une dette publique élevée», explique Philippe-Emmanuel Partsch en rappelant le souvenir de pays d’Europe centrale en bonne situation budgétaire mis à mal aussitôt l’arrivée de la crise bancaire en 2008.