À la mi-décembre, le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) communiquait sur son intention de laisser les taux directeurs inchangés tant que le niveau de l’inflation ne reviendrait pas à 2% dans la zone euro. Le communiqué de presse laissait même entendre que les taux directeurs pourraient encore descendre à «des niveaux plus bas».
Quelques jours plus tard, les chiffres publiés par l’office européen des statistiques Eurostat indiquaient que le taux de l’inflation au sein de la zone euro s’élevait à 5% sur un an, suite à une montée de 26% des prix de l’énergie au cours de l’année écoulée. Un record à la hausse inédit en 25 ans qui est venu rajouter de l’incertitude des marchés quant à la politique monétaire de la BCE.
Nous pensons que l’inflation va baisser cette année et qu’elle passera sous notre objectif de 2% en 2023 et 2024.
Suite aux inquiétudes soulevées par les derniers chiffres de l’inflation dans la zone euro, la BCE a tenu à réagir en publiant sur son site web une interview de Philip R. Lane, un membre de son directoire et ancien gouverneur de la Banque centrale d’Irlande. Bien qu’il reconnaisse que «le chiffre de 5% de l’inflation en décembre est inhabituellement élevé», Philip R. Lane tend à rassurer: «Nous pensons que l’inflation va baisser cette année et qu’elle passera sous notre objectif de 2% en 2023 et 2024».
Malgré la récente poussée de fièvre historique de l’inflation, la BCE n’a pas pour autant été surprise. C’est ce qu’indique Philip R. Lane en expliquant que le chiffre annoncé fin décembre se retrouve «dans la marge d’erreur» attendue par la BCE. «Nous savions que nous aurions une concentration des pressions sur les prix à la fin de l’année 2021, en particulier en raison de la forte poussée des prix de l’énergie», précise-t-il, rappelant que «la politique monétaire est basée sur le moyen terme».
Pas de relèvement des taux en 2022
Ni surprise ni inquiète par la montée de l’inflation, la BCE a décidé de ne pas changer son fusil d’épaule. Elle n’augmentera pas ses taux directeurs d’aussitôt vu qu’elle n’attend pas de baisse de l’inflation en dessous de son objectif de 2% avant 2023 ou 2024. «Les critères permettant de relever les taux d’intérêt ne sont donc pas réunis», souligne Philip R. Lane.
Face aux attentes des marchés d’une éventuelle hausse des taux d’intérêt dans la zone euro avant la fin de l’année, le flou risque de régner encore quelque temps. À cet égard, l’ancien gouverneur de la Banque centrale irlandaise explique que la BCE n’est pas encore en mesure d’y répondre positivement en raison d’un manque de clarté quant à l’interprétation de l’inflation sous-jacente.
La pandémie rend plus difficile l’interprétation des indicateurs de l’inflation sous-jacente.
L’inflation sous-jacente, une série d’indicateurs qui excluent les produits à prix volatils et qui subissent des mouvements très variables, doit d’abord témoigner d’une progression suffisante avant de permettre à la BCE de se positionner sur un éventuel relèvement des taux d’intérêt en 2022. Malheureusement, «la pandémie rend plus difficile l’interprétation des indicateurs de l’inflation sous-jacente», déplore Philip R. Lane. Il faudra donc attendre encore un peu avant que la banque centrale puisse «filtrer les effets de la pandémie».
Une différence d’approche entre la Fed et la BCE
Pour évaluer l’inflation sous-jacente, la BCE garde un œil sur les coûts de la main-d’œuvre qui ont tendance à évoluer de manière «persistante» et «graduelle». Quant à l’énergie, elle peut «monter et descendre de manière volatile», explique Philip R. Lane, qui rajoute qu’un «mouvement significatif de la source persistante et sous-jacente de l’inflation est peu probable, à moins que vous ne voyiez les salaires augmenter considérablement».
Alors que l’inflation de base aux États-Unis devrait atteindre 2,7% en 2022, la Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé, de son côté, qu’ plus tôt et plus rapidement que prévu. De ce fait, la Fed a déjà prévu trois hausses en 2022 et trois autres en 2023. Le risque serait donc d’avoir un dollar américain plus fort au détriment de l’euro avec les taux de la BCE qui sont encore en attente.
Justifiant la position de la BCE, Philip R. Lane explique que la différence est «très nette» avec les États-Unis où l’«on estime que l’inflation ne se stabilisera pas à l’objectif d’environ 2% à moins d’un resserrement de la politique monétaire». L’approche reste donc différente du côté de la BCE où l’«on s’attend à ce que l’inflation revienne à l’objectif, mais aussi à ce qu’elle retombe en dessous».