Franz Clément a véritablement remis à plat toutes les composantes du dialogue social et la manière dont celui-ci s’organise. (Photo: Blitz Agency)

Franz Clément a véritablement remis à plat toutes les composantes du dialogue social et la manière dont celui-ci s’organise. (Photo: Blitz Agency)

Franz Clément, chercheur au Liser, publie «Le dialogue social au Luxembourg. Acteurs, institutions et procédures», alors qu’une importante tripartite aura lieu vendredi 3 juillet. Une spécificité luxembourgeoise largement décryptée dans son ouvrage.

C’est un pur hasard du calendrier: Franz Clément, docteur en sociologie et chercheur au Liser, publie aux éditions Larcier «Le dialogue social au Luxembourg. Acteurs, institutions, procédures», alors qu’une importante tripartite aura lieu vendredi 3 juillet. «Ce n’est évidemment pas voulu. J’ai déposé mon manuscrit à la fin du mois de janvier, avant le confinement», explique Franz Clément à Paperjam. 

Les relations professionnelles au Luxembourg, Franz Clément connaît bien. Il y a d’ailleurs consacré sa thèse défendue en 2011 à Paris. «J’ai donc beaucoup publié sur ce sujet. Il s’agissait ici de compiler mes travaux et d’effectuer une mise à jour.»

Après une introduction qui sert de mise en contexte historique, politique et sociétal, le livre se décompose en trois parties, elles-mêmes comprenant plusieurs chapitres. La première décrit les grands acteurs du dialogue social et leur mode de fonctionnement. Franz Clément y aborde aussi le droit de grève et la liberté d’action syndicale. La seconde s’intéresse aux institutions du dialogue social du pays, avec un focus particulier mis sur le Conseil économique et social ainsi que sur le comité de coordination tripartite. Enfin, la dernière partie est consacrée aux particularités du dialogue social luxembourgeois, avec un intérêt particulier pour le contexte de la Grande Région et le phénomène des travailleurs frontaliers.

Quelle était votre ambition au moment de vous atteler à la rédaction de cet ouvrage?

Franz Clément. – «Il s’agissait de remettre à plat ce que l’on sait au niveau du dialogue social au Luxembourg, de refaire le point. En tenant évidemment compte des 220.000 frontaliers, chiffre en croissance. En cela, le Luxembourg est un cas unique en Europe, d’autant plus encore que le pays s’inscrit dans la Grande Région.

Il y a aussi une spécificité historique au dialogue social au Luxembourg?

«Il est en effet très ancien, car il est né en 1924 lors de la création des chambres professionnelles. On peut donc parler d’une traduction longue.

Avec cette autre particularité qu’est la tripartite?

«Qu’on doit appeler ‘comité de coordination tripartite’ et qui a notamment produit d’excellentes choses dans les années 70 lors de la crise de la sidérurgie. Ce n’est donc pas une surprise de le voir convoqué maintenant, suite à la crise sanitaire, car c’est un outil très souple pour une gestion de crise. Avec une grande différence. Contrairement à la France, à la Belgique et même à l’Allemagne, où on a attendu que la voiture percute le mur de plein fouet avant d’agir, le Luxembourg avait très bien anticipé la crise de la sidérurgie. Je ne vais pas dire que cette crise avait été du coup indolore, mais ses effets limités.

Cela n’a pas été possible ici. Tout le monde a été pris de court.

Depuis 1924, le Luxembourg – on ne s’en rend sans doute pas assez compte – a eu un personnel politique de qualité, tous partis confondus.
Franz Clément

Franz ClémentchercheurLiser

Ce comité de coordination tripartite est-il finalement le reflet du «pragmatisme» luxembourgeois?

«Je crois vraiment que c’est cela. Et qu’ainsi le Luxembourg a réussi des choses qui n’ont pas abouti ailleurs. C’est un petit pays où on sait se serrer les coudes quand il le faut, passer au-dessus des clivages.

Pour cela, il faut les outils pour mener le dialogue. Mais n’est-ce pas aussi une affaire d’hommes et de femmes de bonne volonté?

«Et depuis 1924, le Luxembourg – on ne s’en rend sans doute pas assez compte – a eu un personnel politique de qualité, tous partis confondus. Cela s’est traduit dans les faits. Être un petit pays, cela veut aussi dire que tout le monde se connaît. Quand cela est bien mis à profit, c’est une force.

Ce comité de coordination tripartite a d’ailleurs été si efficace que l’on a élargi ses prérogatives…

«Son cadre a un peu évolué depuis 1977 et sa mise en place. On l’a donc en effet utilisé pour d’autres choses que ce pour quoi il avait été prévu. Un exemple: dans les années 90, quand les différents pays ont dû remettre au niveau européen leurs plans nationaux pour l’emploi, au Luxembourg cette mission a été confiée à la tripartite. Grâce à cette capacité à faire évoluer les institutions en dehors d’un cadre donné, on ménage un dialogue social efficace et cela fait régner la paix sociale. Le meilleur contre-exemple, c’est la France. Là, on va d’abord dans la rue manifester puis on se met autour de la table. Au Luxembourg, c’est exactement l’inverse. Ce qui explique que les manifestations sont rares.

Ce qui étonne parfois, c’est que ce comité de coordination tripartite permet finalement de devenir de réels décideurs…

«Les corps sociaux deviennent dans ce cadre de vrais décideurs, en effet. Il est arrivé à plus d’une reprise que le gouvernement leur dise: mettez-vous d’accord entre vous. Syndicats et patronat sont alors de réels législateurs.

Et tous sont toujours très attentifs au phénomène des frontaliers…

«On l’a encore beaucoup entendu ces derniers temps: sans les frontaliers, le pays ne peut pas tourner. C’est d’ailleurs pour cela que les frontaliers ont aussi voix au chapitre dans le cadre du dialogue social. Notamment via la Chambre des salariés. Lors des dernières élections sociales, 9 Belges, 5 Français et 3 Allemands y ont été élus. Certes, la représentativité n’est pas proportionnelle au nombre de frontaliers dans le pays. Mais ils sont tout de même impliqués ainsi dans le dialogue social.

Cela aussi c’est assez unique?

«Pouvoir être élu dans une institution comme la CSL, sans résider au Luxembourg, sans avoir la nationalité luxembourgeoise, sans parler le luxembourgeois… c’est unique au monde, selon moi. Et son influence est réelle. Dans le cadre du débat sur l’assurance dépendance, le gouvernement a revu totalement sa copie suite à l’avis de la CSL.» 

Le nouveau livre de Franz Clément vient de sortir de presse. (Photo: Éditions Larcier)

Le nouveau livre de Franz Clément vient de sortir de presse. (Photo: Éditions Larcier)