Marc Wengler: «Un certain retard s’est accumulé depuis une vingtaine d’années. Il serait illusoire de penser qu’il est possible de combler ce retard en deux ou trois ans» (Photo: Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA)

Marc Wengler: «Un certain retard s’est accumulé depuis une vingtaine d’années. Il serait illusoire de penser qu’il est possible de combler ce retard en deux ou trois ans» (Photo: Jan Hanrion / Maison Moderne Publishing SA)

Le directeur général des CFL est en première ligne pour gérer les effets de l’introduction de la gratuité des transports publics au 1er mars. Une première étape sur le calendrier ambitieux de Marc Wengler (52 ans), qui veut faire entrer la société nationale dans une autre dimension d’ici 2024.

Comment vous sentez-vous, un peu plus d’un mois avant le début de la gratuité des transports en commun?

Marc Wengler. - «Sur le plan de l’organisation, nous sommes prêts. Le 1er mars sera un grand jour pour les transports publics dans le pays et un signal clair à l’international quant à la volonté d’un gouvernement en la matière. Mais la gratuité n’est pas tout. En parallèle, le gouvernement continue d’octroyer des budgets importants pour faire évoluer l’offre de transports publics en fonction de la croissance du pays.

De quelle réserve de capacité disposez-vous pour accueillir des voyageurs supplémentaires en cas de succès de l’initiative?

«Nous aurons la livraison de deux rames supplémentaires à la mi-2020, sachant que l’axe nord-sud est relativement tendu aux heures de pointe. L’ensemble de notre matériel roulant est actuellement en service. L’augmentation de la capacité globale est prévue jusqu’en 2024. Le nouveau matériel sera livré à partir de 2022. Nous sommes dans une phase intermédiaire durant laquelle nous projetons, par exemple, avec nos voisins français, dans le cadre de l’accord intergouvernemental, d’allonger les trains lorsque les quais de la gare centrale auront été agrandis.

La question du rôle des contrôleurs a-t-elle été définitivement réglée avant l’entrée en vigueur de la gratuité des transports publics?

«Je précise qu’il y aura toujours des contrôles pour la 1re classe, qui restera payante. Nous allons pour réorienter les missions des contrôleurs vers plus d’accueil et d’information à la clientèle. Ceci mènera à une réorganisation de la prise en charge et de l’orientation des usagers, avec plus de personnel présent sur les quais. Il en sera de même pour le personnel qui était occupé aux guichets.

Nos équipes seront formées pour entrer en contact de façon proactive avec les usagers. Elles seront aussi équipées d’une tablette pour informer les navetteurs, mais aussi pour faire remonter de l’information en temps réel. C’est une autre manière de prendre en charge. La présence statique derrière la vitre d’un guichet très peu fréquenté n’avait plus de sens dans la majorité de nos gares.

Combien d’employés sont concernés?

«90 personnes étaient occupées aux guichets. 16 personnes seront déplacées, notamment à la gare centrale et à Belval, où des guichets resteront ouverts. Indépendamment de la gratuité, les sujets de l’affectation du personnel à nos guichets et de la manière dont nous vendons nos billets allaient être tôt ou tard à l’ordre du jour.

Depuis 2005, nous avons connu une augmentation de 75% du nombre de voyageurs.
Marc Wengler

Marc WenglerAiguilleur en chefCFL

Il est souvent question d’un «rattrapage» que le gouvernement doit opérer en matière d’infrastructures, faute d’anticipation par les gouvernements précédant 2013. Constatez-vous ceci également à votre niveau?

En effet, un certain retard s’est accumulé depuis une vingtaine d’années. Il serait illusoire de penser qu’il est possible de combler ce retard en deux ou trois ans, mais nous sommes sur le bon chemin avec la modernisation et l’extension de notre réseau ainsi que l’investissement dans du nouveau matériel. Nous nous sommes engagés sur un très ambitieux à moyen terme pour réaliser des travaux d’infrastructure qui, en termes d’envergure, représentent — toute proportion gardée — plus que le double de la moyenne européenne. Le tout sur un réseau à l’échelle du pays et en limitant, autant que possible, les répercussions sur l’offre de transport.

D’ici cinq ans, nous projetons de rattraper ce retard. Entre-temps, l’ensemble des parties prenantes participe à un exercice de réflexion à long terme afin d’éviter la reproduction de la même erreur. Nous sommes donc co-acteurs, avec les responsables ministériels et les autres acteurs de la mobilité publique, de la réflexion en cours pour nous projeter dans l’avenir des transports en commun et, plus largement, de la mobilité au Luxembourg.

Comment s’articule votre vision à cinq ans, baptisée «Vision 2024»?

«Son volet conceptuel joue beaucoup sur la ponctualité et la capacité, avec l’extension de cette dernière, mais aussi une offre d’horaires plus robuste. Nous sommes confrontés à une saturation avec des goulots d’étranglement à l’entrée de la gare centrale en provenance de Bettembourg et de Rodange notamment, ce qui explique pourquoi la nouvelle ligne vers Bettembourg est capitale. Nous devions gérer six lignes principales sur quatre quais à la gare.

Cela marchait aussi longtemps que la cadence n’augmentait pas trop, mais, depuis 2005, nous avons connu une augmentation de 75% du nombre de voyageurs. Nous avons, durant cette période, fait beaucoup d’efforts pour assurer une fluidité maximale avec ces goulots d’étranglement. En investissant dans nos lignes, en construisant deux quais supplémentaires à la gare centrale et en ayant acheté du nouveau matériel roulant en 2018 — le plus gros contrat de notre histoire —, nous avons marqué un premier pas important vers une amélioration de la situation.

Le client est au centre de nos préoccupations.
Marc Wengler

Marc WenglerAiguilleur en chefCFL

Comment allez-vous précisément éviter le phénomène du goulot d’étranglement?

«Jusqu’à présent, le nombre de quais et l’organisation des lignes faisaient que chaque problème rencontré sur une ligne était potentiellement contagieux pour une autre. Outre la construction des deux nouveaux quais, les nouvelles lignes seront desservies de façon indépendante pour réduire les risques de contagion.

Comprenez-vous le ras-le-bol qu’expriment parfois les navetteurs face aux aléas des transports?

«Le client est au centre de nos préoccupations. Bien évidemment, son opinion nous intéresse. Néanmoins, il faut tenir compte du fait que le rattrapage du retard accumulé ne se comble pas d’un jour à l’autre. Je rappelle que les CFL ont réussi à faire face à la croissance rapide de la fréquentation de nos lignes (+ 75% en 15 ans). Notre plus grand défi sera d’offrir le meilleur service possible dans le contexte d’un nombre important de travaux à réaliser à court terme. En cinq ans, nous aurons tourné un chapitre important vers une qualité et une capacité de service nettement améliorées.

Quel est le premier bilan de 2019 sur le front des retards?

«Nous avons amélioré notre taux de ponctualité d’un point de pourcentage, soit un taux de 90%. J’y vois le résultat de la mise en place depuis 2015 d’un management de qualité avec une structure et un service dédiés. Cette approche nous permet d’assurer un suivi rigoureux de toutes sortes de retards, de suppressions…

Qu’en est-il au niveau du nombre de passagers?

«Nous dépasserons les 25 millions, soit une croissance qui dépasse les 7%. La principale ligne en termes de croissance en 2019 est le Sillon lorrain. Cette hausse doit toutefois être relativisée, car nous avions connu beaucoup de fermetures de lignes en 2018 à cause des travaux, et donc moins de passagers. Il faut lire ce résultat en partie sur deux ans, mais nous constatons tout de même une augmentation quasiment sur toutes les lignes.

Les ennuis commencent lorsque vous devez combiner vos activités avec celles de vos voisins? Avec des trains frontaliers qui entrent et sortent chaque jour du pays…

«Je n’ai pas trop tendance à montrer du doigt qui que ce soit. Nous nous focalisons sur notre périmètre de contrôle avec nos ambitions, sans verser dans le fatalisme. Mais nous ne voulons pas nous dédouaner de toute responsabilité sur les éléments exogènes qui ont des conséquences au Luxembourg. Nous discutons activement avec nos confrères, que nous rencontrons régulièrement.

Est-il envisageable que d’autres gares frontalières entrent dans votre réseau à l’instar d’Audun-le-Tiche en France et Athus en Belgique?

«Ce n’est pas à l’étude.»

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