Les spécialistes du secteurs plaident eux aussi pour un mix de la mobilité. (Photo: Anthony Dehez)

Les spécialistes du secteurs plaident eux aussi pour un mix de la mobilité. (Photo: Anthony Dehez)

Monsieur Kontz et Monsieur Pirsch, on n’a jamais autant parlé aujourd’hui de toutes les nouveautés qui attendent l’automobile et d’une transformation sans pareille de ce secteur. Évolution ou révolution ?

Benji Kontz - Je pense que c’est une évolution qui a commencé il y a bien longtemps. Si l’on regarde la voiture telle qu’elle était il y a 100 ans, ou même 50 ans, 20 ans, voire 10 ans, elle n’a plus rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui. Elle a énormément évolué, tant au niveau de ses équipements, de son confort et de sa sécurité que de son design.

Ce mouvement va continuer. Les efforts de recherche et de développement auprès des constructeurs sont très importants.

Ernest Pirsch - Une révolution non, mais une évolution oui, et dont la rapidité s’accentue ces derniers temps. Le véhicule a énormément progressé, comme tout le reste d’ailleurs. Si l’on regarde tout ce qui s’est fait ces dernières années, au niveau environnemental notamment, les normes d’émissions en matière de taux de rejet de dioxyde de carbone (CO2) ou d’oxydes d’azote (NOx) ont beaucoup évolué.

Pour les moteurs diesel, on est passé en une vingtaine d’années de rejets autorisés en NOx de 800mg/km avec la norme Euro 1 à 80mg/km avec la norme Euro 6, qui est la plus récente. 

La voiture de demain est-elle une voiture électrique, une voiture autonome ou est-ce les deux ?

Benji Kontz - Je crois qu’on doit dissocier les motorisations de ce qu’on appelle aujourd’hui la voiture autonome. Car cette dernière peut être motorisée par toutes les technologies possibles.

Et la voiture autonome n’est pas toujours autonome à 100% non plus. Aujourd’hui, on roule dans des voitures qui ont une certaine autonomie, puisque la voiture fait déjà beaucoup de choses, qu’elle ne faisait pas avant, à la place du conducteur.

En termes de régulation de vitesse, d’aide au stationnement, de tenue de route ou encore de lecture de la signalisation routière, il y a déjà de nombreux outils de sécurité qui équipent les véhicules mis sur le marché aujourd’hui.

On a donc fait un grand pas ces 10 dernières années vers cette voiture autonome.

Maintenant, en termes de motorisation, on parle beaucoup aujourd’hui de l’électrique en tant que motorisation alternative, mais je pense que c’est une alternative parmi d’autres. Ce n’est pas nécessairement la solution finale.

Ce qui est important, c’est que chaque conducteur puisse choisir la voiture qui lui convient le mieux, c’est la seule manière de faire en sorte de polluer le moins possible.

Benji Kontz, président de l'Association des distributeurs automobiles du Luxembourg (Adal)

Ernest Pirsch - À la House of Automobile, nous restons dans une approche neutre. Ces derniers temps, on diabolise beaucoup le diesel – voire l’essence – mais ces moteurs à combustion se vendent toujours très bien, et nous considérons qu’ils ont encore de l’avenir.

Et je pense moi aussi que tout est fonction des besoins des conducteurs. Miser uniquement sur une seule source d’énergie, c’est être «à côté de la plaque». On ne peut pas tout électrifier!

Il faut aussi songer à l’hydrogène qui est une solution d’avenir qui finira par arriver et se faire une place, avec l’avantage qu’il n’y aura pas de batterie à recycler.

Pour l’instant, nous sommes un peu les moutons noirs du troupeau, ce qui n’a pas lieu d’être. Et je me répète: les moteurs à combustion ont encore de l’avenir.

Ce qui va venir, c’est un mix sain de tout ce qui existe. Et pour ce qui est des motorisations qu’on appelle «alternatives», je préfère les qualifier de «complémentaires». Car tout dépend des besoins de tout un chacun.

Vous parliez de motorisations complémentaires, mais c’est un fait que l’électrique est devenu un axe de développement majeur auquel s’attellent les constructeurs…

Benji Kontz - Ce qu’il faut d’abord dire, c’est que tous les acteurs, accompagnés par la politique, recherchent avant tout à réduire l’impact de la pollution générée par les transports sur l’environnement. Et ce qu’il faut dire aussi, c’est que c’est la politique qui a imposé l’électrique et que ce ne sont pas les constructeurs qui l’ont nécessairement choisi.

L’électrique est la manière la plus simple de répondre au moteur à combustion, car c’est une motorisation qui n’est pas compliquée. Par ailleurs, selon l’objectif fixé, il faut être certain que cette électricité soit «propre».

Dans ce sens, il est évident qu’aujourd’hui les voitures ne pourraient pas toutes être électriques, car cela poserait des problèmes de production ou encore de réseaux. D’où la nécessité que toutes les motorisations continuent à cohabiter.

Chaque motorisation a ses avantages et ses inconvénients. Ce qui est important, c’est que chaque conducteur puisse choisir – selon son usage – la voiture qui lui convient le mieux, c’est la seule manière de faire en sorte de polluer le moins possible.

Ernest Pirsch - La politique a poussé l’électrique comme elle avait poussé à une époque le diesel. Mais n’oublions pas que tant qu’il y aura des véhicules, il y aura de la pollution, ne fût-ce qu’au stade de leur production. Mais cela vaut pour chaque produit, et il ne faut donc pas se focaliser là-dessus. Cela mène les consommateurs dans la mauvaise direction et cela leur fait peur.

On a fait une année record l’an dernier, certes, mais au cours de l’Autofestival en début d’année, on a remarqué que les gens ne savaient pas très bien quoi acheter. D’où cette approche neutre de la part de la House of Automobile pour bien informer les clients et, selon leurs besoins, bien les guider. C’est la seule manière d’obtenir des résultats par rapport aux objectifs définis.

En faisant peur aux gens, la seule chose qu’on puisse obtenir, c’est qu’ils n’achètent pas de nouveau véhicule et qu’ils gardent leur ancien, plus polluant.

Benji Kontz - Il y a eu beaucoup de doutes insufflés dans la tête du consommateur parce qu’il y a eu des messages différents qui lui ont été adressés, souvent contraires les uns par rapport aux autres. On a longtemps fait la promotion du diesel, via différents canaux, avant de le bannir tout d’un coup. Cela a créé une forme d’insécurité chez nos clients.

La voiture de demain pourra donc toujours être un diesel ?

Benji Kontz - Bien sûr, parce qu’un diesel d’aujourd’hui est beaucoup moins polluant qu’un diesel d’il y a cinq ans, et même qu’il y a deux ans. Le diesel reste le moteur à combustion avec les émissions de CO2 les plus faibles. Sachant qu’il est important de bien préciser de quoi on parle. Rejets de CO2, rejets de NOx: on ne peut pas tout diminuer non plus, les uns étant liés aux autres.

Ernest Pirsch - Si vous faites beaucoup de route, le bilan écologique d’un moteur diesel est souvent meilleur que celui d’un moteur à essence. Avec moins de CO2 pour le diesel, et encore 20mg/km de NOx de différence en faveur de l’essence. Il faut savoir ce que l’on veut. Avant, on ne parlait que de CO2, et non de NOx. Et maintenant, on ne jure plus que par le NOx, en insinuant que le diesel pollue plus. Mais l’un dans l’autre, le fait est qu’un diesel n’est pas beaucoup plus polluant qu’un moteur à essence. 

Pensez-vous que l’on connaîtra un jour la fin des moteurs thermiques ? Et si oui, à quelle échéance ?

Ernest Pirsch - Non. Tant qu’il y aura du pétrole, il y aura des moteurs à combustion. Même si d’autres motorisations vont gagner des parts de marché.

Mais quand on parle avec les constructeurs, et leurs ingénieurs, cette fin de carburants fossiles n’est pas programmée.

Benji Kontz - Il ne faut pas non plus exclure des solutions écologiques avec un moteur thermique qui peut également fonctionner à l’hydrogène. C’est une solution «zéro émission» sur base d’un moteur développé depuis plus de 100 ans et donc à la pointe de la technologie. Ce sont des pistes qui ont déjà été évoquées, mais qui n’ont pas abouti par manque de support politique.

Pensez-vous que le conducteur soit prêt pour cette évolution ? Et, concernant la voiture autonome, à ne plus conduire ou presque ?

Ernest Pirsch - On n’en est qu’au début de l’histoire. C’est vrai que les gens s’informent et s’intéressent. Et que certains affirment vouloir garder la mainmise sur leur conduite. Mais je crois que c’est une évolution logique et que, quand il n’y aura plus de choix, les choses s’imposeront d’elles-mêmes, par la volonté de la politique.

Par ailleurs, les évolutions technologiques – qui mèneront à la voiture autonome dans quelques années –, le grand public en raffole. Et surtout les jeunes. Le monde change dans tous les domaines. On va vers une digitalisation 4.0 et il en va de la même logique pour les véhicules.

Après, reste à savoir quels véhicules autonomes vont sortir. Certains seront entièrement autonomes, alors que dans d’autres, le conducteur pourra encore interférer.

Reste aussi à voir ce qu’il en sera de la responsabilité en cas d’accident avec un autre véhicule ou un piéton, sur base d’une ou plusieurs décisions prises par un système informatique... D’où des discussions ouvertes auprès des compagnies d’assurances.

Il est sûr et certain qu’il y aura de plus en plus de concurrence. Mais de là à ce que des marques traditionnelles disparaissent du marché, je n’y crois pas.

Ernest Pirsch, président de la House of Automobile (HOA)

Benji Kontz - De la voiture peu autonome à celle qui le sera entièrement, l’évolution se fera du premier vers le dernier degré d’autonomie. Aujourd’hui, tous les constructeurs ou presque ont de quoi réaliser et produire ce véhicule à la pointe de la technologie. Mais ce qu’il manque pour sa mise en série, ce sont les textes légaux qui diffèrent d’un pays à l’autre, et qui ont besoin d’une harmonisation, d’une adaptation pour décider justement des responsabilités en cas d’accident ou de sinistre.

L’occupant, et encore plus le conducteur, d’une voiture autonome va pouvoir passer son temps à d’autres choses comme répondre à ses e-mails, regarder sur un écran sa série préférée ou faire un Skype avec un ami lointain. Les constructeurs sont-ils engagés dans une bataille des contenus ?

Ernest Pirsch - D’un point de vue technologique, ce véhicule sera à la pointe. Ce sera à la fois un bureau et un salon ambulants. Les possibilités sont nombreuses. Mais une nouvelle fois, le conducteur sera-t-il hors conduite, contraint de ne plus interférer, de ne plus rien faire ? On ne le sait pas encore.

Tous les tests qui ont lieu actuellement se font sur des voies dédiées. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y aura une phase de cohabitation entre véhicules classiques et véhicules autonomes qui pourra être assez dangereuse, toujours au niveau des responsabilités.

Concernant ces éventuels contenus, comment les constructeurs comptent-ils s’adapter ? Avec l’aide des géants des télécoms, des spécialistes du web, des équipementiers ?

Ernest Pirsch - Ils sont déjà en étroite collaboration avec Google, Microsoft et ainsi de suite. Les constructeurs font appel, pour travailler ensemble, aux géants de l’informatique qui ont une place de plus en plus importante dans le secteur de l’automobile.

Benji Kontz - Aujourd’hui, on voit déjà que la téléphonie mobile et l’internet sont dans les voitures. Il n’y a donc rien de nouveau. Certains considèrent déjà leur véhicule comme leur bureau puisque même s’ils sont au volant, ils peuvent diriger un certain nombre de choses via leur seule voix.

Les constructeurs ne doivent-ils pas craindre que ces géants, des télécoms ou de l’informatique, n’investissent encore davantage dans la voiture pour finalement prendre leur place ?

Ernest Pirsch - On en parle déjà! Apple a évoqué un véhicule que la société souhaitait construire seule. Et on a aussi vu Tesla, qui est apparue et qui n’était pas présente avant.

Il est sûr et certain qu’il y aura de plus en plus de concurrence. Mais de là à ce que des marques traditionnelles disparaissent du marché, je n’y crois pas. Contrairement à des joint-ventures, qui se mettront en place.

Les gens qui travaillent dans l’informatique ont plus intérêt à travailler avec les constructeurs qu’à travailler contre eux. 

Chacun son métier, mais ensemble ?

Benji Kontz - Oui, je le pense. On voit aujourd’hui que certains se sont aventurés dans la voiture parce qu’ils avaient peut-être une certaine technologie à promouvoir. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont devenus spécialistes de la construction automobile.

Les sociétés qui échouent, tant pis pour elles. Et celles qui obtiennent un certain succès, on observe qu’elles deviennent rapidement victimes de ce succès parce que, quelque part, la construction automobile est compliquée. Ce n’est pas quelque chose qu’on apprend en quelques années à peine.

Il n’y a pas tant de constructeurs automobiles que cela dans le monde. Cela démontre que c’est tout sauf facile de se lancer et d’obtenir des niveaux de qualité suffisants.

Ernest Pirsch - Regardez Tesla! C’est une vraie réussite, mais ils ont dû composer avec une chute de leurs bénéfices liée à des difficultés de production de leur dernier modèle.

Quand on n’a qu’une seule technologie à proposer, on est un peu sur un fil… Les constructeurs, eux, sont actifs dans toutes les motorisations, dont le moteur à combustion, depuis très longtemps, qui est et sera encore leur cheval de bataille pendant des années.

Selon moi, ne miser que sur une chose est très dangereux. Quant à miser sur plusieurs choses, ces sociétés n’ont pas l’expérience nécessaire.

À l’heure où le tram vient d’être mis en service et après que le ministre du Développement durable et des Infrastructures a beaucoup insisté sur le développement des transports en commun, comment imaginez-vous le mix à venir de la mobilité au Luxembourg ?

Ernest Pirsch - Ce n’est pas parce que nous travaillons dans le secteur automobile que nous sommes contre le principe de la multimobilité et la cohabitation des différents modes de transport, qui d’ailleurs est nécessaire.

Toutefois, même si les résidents utilisent un peu plus les transports en commun, avec l’évolution démographique régulière que connaît le pays, il y aura toujours un peu plus de voitures sur nos routes.

Aujourd’hui, 80% des kilomètres effectués par les résidents se font en voiture et deux sur trois se rendent à leur travail grâce à leur véhicule.

Donc oui à la multimobilité, mais il faudra également penser aux infrastructures routières, puisque les véhicules resteront primordiaux.

Benji Kontz - Je pense que c’est comme pour les motorisations des voitures. Il faut pouvoir choisir comment se déplacer. À pied, à vélo, en transport en commun ou en voiture. Il faut une panoplie de choix. Et si les transports publics offrent aujourd’hui ou à l’avenir davantage de confort, nous disons tant mieux, car dans les villes, c’est certainement un atout.

Mais la voiture reste le moyen de transport le plus flexible, et il est important que ceux qui souhaitent pouvoir continuer à l’utiliser puissent le faire.

Il faut une cohabitation entre les différents modes de transports, car les transports publics ne pourront jamais remplacer la

mobilité individuelle. Cela ne changera pas. Ce qui va changer, c’est la manière dont la voiture sera utilisée au quotidien.

L’évolution que connaît aujourd’hui la voiture va-t-elle changer le garage ou la concession de demain ?

Ernest Pirsch - Les concessions vont changer elles aussi. Au niveau de leur surface, c’est encore difficile à dire. Dans les grandes villes, pour des questions de place, il y aura peut-être moins d’espaces d’exposition mais avec des choix qui pourront se faire davantage grâce au digital. La voiture autonome, possiblement synonyme de moins d’accidents, pourrait aussi contribuer à réduire la taille des carrosseries.

Se pose aussi la question de ce que ces concessions vendront dans le futur. Avec la multimobilité, serons-nous fournisseurs de mobilité en général ? Allons-nous continuer à vendre, dans 20 ans, des véhicules aux clients finaux, ou des abonnements avec les constructeurs et les villes ? À long terme, beaucoup de choses vont évoluer, dont le métier. Ça, c’est certain. Mais les concessionnaires vont rester, ne fût-ce que pour entretenir ces véhicules.

Benji Kontz - Ce qui restera à coup sûr également, c’est le conseil et le service. Car la voiture n’est pas un produit de consommation comme un autre. Cela reste un investissement, et on ne l’achète donc pas n’importe où et n’importe comment. Le conseil et le service resteront donc toujours utiles, d’autant plus quand on entre dans une ère où la voiture prend une certaine autonomie et qu’il faut donc éduquer son conducteur et lui expliquer ce qu’elle fait et ce qu’elle ne fait pas. Avant, cela prenait une vingtaine de minutes à peine. Aujourd’hui, cela prend déjà trois fois plus de temps, au moins.

Dans cette évolution vers la voiture de demain, quel rôle ont à jouer les pouvoirs publics pour accompagner ce processus ?

Benji Kontz - La politique joue un rôle important. Et ce qui compte pour nous est qu’elle garde une approche constante, qu’elle ne change pas de cap en cours de route. Il nous faut, ici comme ailleurs, des législations durables.

Ernest Pirsch - La politique est d’autant plus importante que c’est elle qui fixe les règles. Pour autant qu’elle ne se focalise pas sur le court terme – comme c’est encore trop souvent le cas en général – mais qu’elle sache aussi voir les moyen et long termes.

Il est aussi important que l’on puisse bien dialoguer avec le pouvoir politique, comme c’est le cas ici au Luxembourg. Avec le ministère du Développement durable et des Infrastructures, nous travaillons ensemble, nous cherchons ensemble des voies d’avenir communes.